Charlie Hebdo : des victimes plus méritantes que
d'autres |
Chaque fois qu'un événement tragique se produit et que nos médias de
masse le rapportent (car ce ne sont pas toutes les tragédies qui
méritent d'être rapportées, selon eux), leur interprétation s'accommode
généralement bien avec l'agenda de l'élite politique. George Orwell ne
se trompait pas quand il disait que le langage politique, lequel est
régurgité par nos médias, sert à faire paraître les mensonges pour des
vérités et à rendre les meurtres acceptables. On va parler d'attentats
et de terrorisme lorsque des individus ou des groupuscules commettent
des actes de violence, mais lorsque nos gouvernements (des groupes
d'individus se donnant le droit moral exclusif de commettre des actes de violence) le
font, les mots employés sont différents. On parle alors
d'interventions, de guerres pour de nobles causes, parfois même de missions humanitaires et civilisatrices.
Il n'est certes pas étonnant qu'une organisation comme l'État, fondée
sur un double standard de moralité, puisse dénoncer quelque chose comme
le terrorisme ‒ qui par définition se veut l'utilisation de la violence
dans un but de terroriser afin d'imposer certaines politiques ou
revendications ‒, alors que ça correspond parfaitement à son modus
operandi. Orwell disait aussi que dans des temps de tromperie
généralisée, dire la vérité est un acte révolutionnaire…
L'attentat contre l’hebdomadaire Charlie Hebdo a fait réagir
beaucoup de gens et de plusieurs façons. Ma première réaction, après
avoir trouvé cela tragique, en a été une de colère ‒ car je savais dès
le départ que les réactions de la majorité des politiciens et des médias
seraient profondément dégoûtantes d'hypocrisie et d'opportunisme. Je
suis libertarien-anarchiste parce que j'accepte le principe de
non-agression et la propriété privée. Je crois donc à la totale liberté
d'expression. L'attentat contre Charlie Hebdo viole complètement
ces principes. C'est aussi le cas des « attentats » (interventions)
de
nos gouvernements qui tuent des milliers (voire des millions) de
gens au Moyen-Orient et dans le Tiers-Monde depuis des années. Je suis aussi athée et
considère les religions comme étant généralement nuisibles; je pense
néanmoins que l'étatisme est encore plus dangereux comme idéologie.
Dans les pays occidentaux, il s'en est suivi une réaction quasi
hystérique pour s'opposer à cette violence et défendre la liberté
d'expression. Médias, politiciens et une partie importante de la
population ont joint le mouvement, ou comme on dit en anglais: « have joined the bandwagon ». Je ne suis pas choqué de voir un mouvement de
masse s'opposer à la violence et défendre la liberté. Non. Ce qui me
choque, c'est de voir qu'il y a une réaction presque uniquement parce que
ça se produit dans le monde occidental. Ça me choque
parce que des événements semblables avec une ampleur et une fréquence
beaucoup plus grande se produisent aussi dans le reste du monde
et nos médias en parlent beaucoup moins, surtout lorsque nos
gouvernements en sont en bonne partie responsables. Ça me choque de voir
nos politiciens verser hypocritement des « larmes » au nom de la paix et
de la liberté quand en fait ils vont utiliser cet événement pour
justifier leurs guerres impériales au Moyen-Orient et aussi pour
attaquer nos libertés ‒ ce qui tragiquement semble encore bien
fonctionner puisqu'un sondage récent révélait
qu'une majorité de Québécois soutenaient ces mesures.
C'est aussi choquant de voir nos mêmes politiciens hypocrites pleurer la
mort du roi d'Arabie Saoudite, un régime théocratique, médiéval et cruel
qui alimente certainement le terrorisme dans le monde, au moment même où ils
nous parlent de liberté en lien avec une attaque motivée par la religion
musulmane.
Mon éveil politique s'est produit avec les attentats du 11 septembre
2001. Comme beaucoup de gens, j'ai été touché et effrayé par cet
événement. Cependant, je me demandais pourquoi des gens pouvaient
détester les États-Unis au point de faire ça? J'ai donc appris que
depuis la fin de la Seconde Guerre mondiale,
les interventions impérialistes
par les États-Unis avaient causé la mort de
dizaines de millions
de gens. J'ai aussi appris que selon Jean Ziegler, ex-rapporteur à l'ONU
pour le droit à l'alimentation, la famine tuait
100
000 personnes par jour.
Même si Ziegler est évidemment un socialiste, je n'ai aucun doute que la
famine dans le Tiers-Monde est en bonne partie le résultat des
interventions occidentales qui n'ont absolument rien à voir avec le
libre marché et le capitalisme. Mais à l'époque, dans les médias, on
parlait presque toujours des attentats du 11 septembre qui avaient causé
la mort de 3000 Américains et qui, par la suite, avaient servi à
justifier l'invasion de l'Irak, de l'Afghanistan et d'autres pays du
Moyen-Orient ou d'Afrique dans lesquels des centaines de milliers de
personnes supplémentaires sont mortes.
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«
Il y aura probablement toujours des individus violents motivés par des
idéologies ou des religions. Cependant, dans un monde où l'État et ses
interventions violentes ne serviraient pas de catalyseur,
ils seraient beaucoup moins nombreux. » |
Plusieurs de ces interventions se poursuivent toujours et le Canada a
désormais des soldats en Irak pour combattre l'État islamique, ce qui à
mon avis ne peut qu'attirer plus de haine à notre égard. Parfois une
bombe ou le missile d'un drone tue des gens
lors d'un mariage. Mais nos
médias continuent à nous parler du terrorisme et à nous dire que c'est
le vrai problème. J'avais rapidement été choqué et dégoûté par ce
double standard. Je le suis tout autant par la réaction démesurée qui a
eu lieu après l'attentat contre Charlie Hebdo.
Pourquoi être étonné que des gens dans le Tiers-Monde et dans beaucoup
de pays musulmans détestent l'Occident au point d’appuyer ou de
commettre des attaques terroristes quand depuis des décennies, nos
gouvernements interviennent chez eux pour installer des dictateurs,
faire des coups d'État, bombarder, et que nos médias mettent presque
toujours l'accent sur la mort de quelques occidentaux quand ils
parlent de choc entre les deux « civilisations »? Mais attention,
selon le ministre conservateur Blaney,
faire l'apologie du terrorisme pourrait devenir un crime.
La fabrique de l'opinion publique est un livre de Noam Chomsky
qui explique très bien cette hypocrisie flagrante de la part des médias
et des gouvernements. Chomsky démontre plusieurs cas de couvertures
médiatiques qui choisissent de mettre l'accent sur des victimes plus
méritantes que d'autres lorsque ça avantage leur gouvernement. Il
démontre, par exemple, les cas de religieux assassinés par des
gouvernements dans les années 1980. Lorsque la victime est assassinée
par le gouvernement polonais communiste, qui est ennemi des États-Unis,
la couverture médiatique est évidement beaucoup plus grande que lorsque
les victimes sont assassinées par des dictatures d'Amérique centrale,
qui sont alliées avec les États-Unis. Cette pratique malhonnête se
poursuit de nos jours et la réaction à l'attentat contre Charlie
Hebdo en est un bel exemple.
Personnellement, je ne crois pas que l'Islam radical et le terrorisme
qui y est relié soient une grosse menace pour la sécurité mondiale et la
liberté d'expression. Ce sont la plupart du temps des symptômes et des
résultats du vrai problème que sont l'État et l'impérialisme occidental
‒ je vous recommande d'ailleurs un excellent article sur le sujet écrit
par Martin Masse: « La
guerre contre le terrorisme que nous perdons ».
Il y aura probablement toujours des individus violents motivés par des
idéologies ou des religions. Cependant, dans un monde où l'État et ses
interventions violentes ne serviraient pas de catalyseur, ils seraient
beaucoup moins nombreux. Le fascisme et le communisme auront
probablement toujours quelques adeptes frustrés et envieux. Mais un
événement comme la Première Guerre mondiale a été un excellent
catalyseur pour augmenter le nombre de leurs supporteurs.
L'attentat contre Charlie Hebdo n'était probablement pas une
réaction directe à l'impérialisme au Moyen-Orient puisque les auteurs
ont revendiqué l'attaque en lien avec des caricatures dénigrant leur
religion. Je pense néanmoins qu'on ne peut analyser le phénomène du
terrorisme relié à l'Islam radical sans considérer l'impérialisme
occidental qui alimente la haine, quand il ne finance pas directement
des groupes terroristes lorsque ces derniers luttent contre un État
rival.
J'ai la conviction que si l'on veut un monde plus libre, plus
harmonieux et moins violent, on doit d'abord appeler les choses par leur
vrai nom, à savoir que ce que font nos gouvernements est l'équivalent de
l'attaque contre Charlie Hebdo et que
ça ne fait qu'engendrer haine et désir de vengeance. Aussi, il est clair
que nos médias sont trop souvent des prostitués au service de ces mêmes
gouvernements, dont le rôle n'a presque plus rien à voir avec le
journalisme honnête. Finalement, les doubles standards entre la mort
tragique de deux catégories d'individus lorsque ça sert un agenda
politique contribuent eux aussi à engendrer le cercle vicieux de la
haine et de la violence.
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auteur |
▪
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(no
326 - 15 novembre 2014)
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Première
représentation écrite du mot « liberté » en Mésopotamie,
environ 2300 av. J.-C. |
Le Québécois Libre
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