La liberté économique améliore le bien-être humain | Version imprimée
par Yanick Labrie et Bradley Doucet*
Le Québécois Libre, 15 mars 2015, no 330
Hyperlien: http://www.quebecoislibre.org/15/150315-3.html


Lorsqu’il est question de liberté économique, les chiffres dressent un constat très cohérent même si, aujourd’hui encore, ce constat n’est pas apprécié à sa juste valeur. En effet, depuis la crise financière de 2008, la notion de libre marché a été fortement critiquée. Pourtant, un fait incontournable demeure : plus grande est la liberté économique qu’un gouvernement laisse à sa population, mieux celle-ci se portera, non seulement sur le plan du bien-être matériel de base mais aussi sur le plan des indicateurs sociaux et individuels du bien-être humain – la santé, l’éducation et le bonheur, par exemple. Cela est vrai que l’on compare des pays et régions entre eux ou que l’on suive leur évolution dans le temps.

La présente Note économique fournit un bref survol de ce qu’est la liberté économique. Elle examine ensuite certaines des données démontrant les puissants effets positifs qu’entraîne l’octroi aux individus d’une plus grande liberté d’interagir entre eux sur le marché.

Portrait de la liberté économique

Il existe deux publications annuelles qui rendent compte de l’évolution de la liberté économique à travers le monde : le rapport Economic Freedom of the World (EFW)(1) de l’Institut Fraser et l’Index of Economic Freedom (IEF)(2) de la Heritage Foundation. Bien que les calculs ne soient pas simples, ces deux publications mesurent, de manières légèrement différentes, la taille des gouvernements nationaux et le degré d’intervention de ces gouvernements dans divers aspects de l’économie. Les fondements de la liberté économique tels que les définit le rapport EFW sont 1) le choix personnel, 2) l’échange volontaire coordonné par les marchés, 3) la liberté d’entrer et de faire concurrence sur les marchés et 4) la protection des personnes et de leurs biens contre l’agression(3).

À l’échelle mondiale, les nouvelles sont bonnes. Le score moyen de liberté économique tel que mesuré par le rapport EFW est passé de 5,32 sur 10 en 1980 à 5,78 en 1990, 6,72 en 2000 et 6,84 en 2012(4). L’IEF révèle une tendance similaire à la hausse, son score mondial moyen étant passé de 57,6 sur 100 dans son édition de 1995 à un sommet de 60,4 dans son édition de 2015(5).

Pour ce qui est des meilleurs et des pires pays, les plus récentes éditions des deux rapports citent les mêmes noms que d’habitude : Hong Kong et Singapour obtiennent les grands honneurs tandis que des pays comme la Corée du Nord, le Venezuela, le Zimbabwe et Cuba ferment la marche. Le Canada se classe parmi les 10 meilleurs selon les deux indices, au 6e rang dans l’IEF et au 7e dans l’EFW. Ces résultats sont notablement plus élevés que ceux des États-Unis, qui se classent au 12e rang(6).

Les deux rapports ont effectivement constaté au cours de la dernière décennie une baisse des résultats de nos voisins du Sud censément obsédés par la liberté. Que doit-on blâmer pour ce recul des États-Unis? Les rapports identifient des facteurs tels que l’expansion rapide de la dette, la règlementation excessive, l’exercice plus étendu des pouvoirs d’expropriation, la non-reconnaissance des droits de propriété des créanciers lors du sauvetage de l’industrie automobile et l’accroissement des barrières commerciales non tarifaires et des restrictions à l’investissement étranger(7).

Bien-être matériel de base

La liberté économique rend les gens plus riches. À mesure qu’elle s’est étendue ces deux dernières décennies, le monde devenant « modérément libre » dans l’ensemble, le PIB réel mondial a augmenté d’environ 70 %. En même temps, la proportion de la population mondiale vivant dans la pauvreté a été réduite de moitié(8). Ceci signifie que des centaines de millions de gens se sont littéralement tirés de la pauvreté au cours des vingt dernières années, grâce au moins en partie à l’accroissement de la liberté économique.

Si nous comparons entre pays, il est manifeste que les individus vivant là où il y a plus de liberté économique tendent à toucher un revenu moyen substantiellement plus élevé. Les pays parmi les 25 % jouissant de la plus grande liberté économique ont généré un PIB moyen par habitant de 39 899 $ en 2012, en comparaison de 20 937 $ pour ceux du deuxième quartile le plus libre, de 9245 $ pour ceux du troisième et de 6253 $ pour ceux du dernier(9) (voir Figure 1).

Les pays offrant une plus grande liberté économique tendent aussi à profiter d’une croissance économique plus rapide. Au cours des deux dernières décennies, en allant du quartile le plus libre au quartile le moins libre, les économies du monde ont crû à un taux annuel fort respectable de 3,69 %, un assez bon 3,15 %, un taux légèrement plus bas de 2,81 % et un taux très bas de 1,09 %. Pour placer ces chiffres en contexte, précisons qu’une économie croissant à un rythme annuel de 3,69 % doublera en moins de 20 ans tandis qu’une économie qui croît à un taux annuel de seulement 1,09 % mettra presque 64 ans pour y arriver(10).

Pour ce qui est de la pauvreté, il n’existe aucune corrélation entre la liberté économique et la part de revenu touchée par les 10 % les plus pauvres au sein d’une population. Ces 10 % les plus pauvres obtiennent environ 2,5 % du PIB peu importe le degré de liberté dans un pays(11). Bien entendu, vu la forte corrélation positive entre liberté économique et PIB par habitant décrite ci-dessus, les 10 % les plus pauvres qui habitent dans les pays les plus libres ont une bien meilleure vie en termes absolus. Ces gens peuvent compter sur un revenu moyen de 11 610 $, en comparaison de 3929 $ dans les pays du deuxième quartile le plus libre, 2211 $ dans ceux du troisième quartile le plus libre et à peine 1358 $ dans ceux du quartile le moins libre(12) (voir Figure 2). De toute évidence, les pauvres s’en tirent mieux dans les pays offrant un degré raisonnable de liberté économique que dans les pays moins libres.

On ne peut discuter des changements dans l’évolution de la pauvreté à travers le monde sans au moins signaler que la Chine et l’Inde, les deux nations les plus populeuses de la planète, ont connu une réduction importante de la pauvreté. Même si ces pays demeurent relativement peu libres, ni l’un ni l’autre n’ayant pu se classer parmi les 100 premiers selon les deux indices, ils sont beaucoup plus libres qu’ils l’étaient avant, surtout en ce qui concerne la liberté du commerce. Le score EFW de la Chine s’est amélioré, passant d’un misérable 3,74 en 1980 à un bien meilleur 6,20 en 2012, tout comme celui de l’Inde qui est passé de 4,50 en 1975 à 6,65 en 2012(13). On pourrait difficilement exagérer l’importance des changements qui se sont produits dans ces deux pays, qui ont permis à un nombre phénoménal de gens de vivre une vie considérablement meilleure que leurs parents avant eux.

Indicateurs sociaux et individuels du bien-être humain

Au-delà du confort matériel de base qu’apporte un revenu par habitant élevé et en croissance accélérée, il existe d’autres indicateurs de nature sociale comme la santé et l’éducation qui sont très importants pour le bien-être humain. Les données disponibles montrent que ces indicateurs, eux aussi, présentent une corrélation positive avec la liberté économique. Ceci n’est guère surprenant, vu les corrélations décrites dans la section précédente, puisque hôpitaux et écoles font partie des choses que la prospérité permet de se procurer.

L’espérance de vie est la mesure d’ensemble la plus fondamentale de la santé et, comme on pouvait s’y attendre, elle a progressé à mesure que le monde est devenu plus libre et plus riche. Selon l’Organisation mondiale de la santé, l’espérance de vie à la naissance était de 70 ans en 2012, soit six années de plus qu’en 1990(14). Si l’on compare entre pays, un individu né aujourd’hui dans un pays parmi les 25 % les plus libres sur le plan économique peut s’attendre à vivre en moyenne 79,9 ans, soit 16,7 ans de plus qu’un individu né dans un pays du quartile le moins libre(15).

L’éducation est un autre indicateur social important du bien-être humain. L’Indice de développement humain des Nations unies combine des mesures du niveau d’éducation, de l’espérance de vie et du revenu pour en faire une valeur composée(16). À mesure que le monde est devenu plus libre, cette mesure du développement humain a aussi progressé, passant de 0,56 sur 1 en 1980 à 0,70 en 2013, une amélioration appréciable(17).

Entre pays, la liberté économique présente une forte corrélation avec les valeurs de l’Indice de développement humain. Les pays affichant des scores IEF supérieurs à 80 ont obtenu une valeur moyenne très élevée de 0,91 sur cet indice en 2012. Quant aux pays dont les scores IEF sont inférieurs à 60, la valeur moyenne qu’ils ont obtenue était d’à peine 0,56(18).

Les données nous apprennent qu’en plus d’être plus riches, plus en santé et mieux éduqués, les gens vivant dans des pays offrant une plus grande liberté économique sont aussi plus heureux. Les habitants de pays ayant obtenu un score de plus de 7,5 sur 10 dans le rapport EFW présentent un taux moyen de satisfaction à l’égard de la vie de 7,64, tandis que les habitants de pays ayant obtenu des scores inférieurs à 6 dans ce même rapport présentent un taux moyen de satisfaction de 5,85(19).

Cela pourrait résulter tout simplement de la forte corrélation entre les scores EFW et le PIB par habitant. Après tout, l’argent ne fait peut-être pas entièrement le bonheur mais on peut raisonnablement s’attendre à ce qu’il ait une certaine influence sur la satisfaction à l’égard de la vie(20). Le PIB par habitant a effectivement une incidence considérable sur la satisfaction à l’égard de la vie(21). Néanmoins, même après avoir tenu compte des niveaux de revenu et d’autres variables socioéconomiques, on constate encore des effets positifs(22). Il semble donc que les gens apprécient la liberté non seulement parce qu’elle les rend plus riches mais aussi parce qu’elle les rend tout simplement... libres.

Conclusion

Les pays qui encouragent le mieux le bien-être humain sont en général ceux où l’importance cruciale de la liberté économique commençait à être comprise et appréciée il y a deux ou trois siècles. On remarque aussi quelques exceptions notables qui l’ont compris (et ont comblé leur retard) plus récemment – notamment Hong Kong, dont l’ouverture enthousiaste au libre-échange, le non-interventionnisme, la discipline budgétaire, le taux unique d’imposition des particuliers de 15 % et la flexibilité du marché du travail ont permis une multiplication par neuf du PIB réel par habitant au cours des cinq dernières décennies(23).

Cependant, des améliorations sont encore possibles, même dans les pays les plus libres. Nous serions tous plus riches, plus en santé, mieux éduqués et plus heureux si les gouvernements des pays industrialisés, comme ceux des pays en développement, tenaient compte des leçons fondamentales de ces données et adoptaient plus rapidement et assidûment des politiques fondées sur la liberté économique.

Références

1. James Gwartney, Robert Lawson et Joshua Hall, Economic Freedom of the World: 2014 Annual Report, Institut Fraser, octobre 2014.
2. Terry Miller et Anthony B. Kim, 2015 Index of Economic Freedom, The Heritage Foundation et Dow Jones & Company, Inc., janvier 2015.
3. James Gwartney, Robert Lawson et Joshua Hall, op. cit., note 1, p. 1. L’IEF, pour sa part, met en évidence trois principes fondamentaux de la liberté économique qui évoquent des thèmes similaires : la prise en main personnelle de l’individu, la non-discrimination et la libre concurrence. Terry Miller et Anthony B. Kim, op. cit., note 2, p. 11.
4. James Gwartney, Robert Lawson et Joshua Hall, op. cit., note 1, p. 15.
5. Terry Miller et Anthony B. Kim, op. cit., note 2, p. 70.
6. Ibid., p. 4-9; James Gwartney, Robert Lawson et Joshua Hall, op. cit., note 1, p. 8.
7. Terry Miller, Anthony B. Kim et Kim R. Holmes, 2014 Index of Economic Freedom, The Heritage Foundation et Dow Jones & Company, Inc., janvier 2014, p. 31-32; James Gwartney, Robert Lawson et Joshua Hall, op. cit., note 1, p. 15.
8. Terry Miller, Anthony B. Kim et Kim R. Holmes, ibid., p. 50. Le PIB réel mondial en dollars américains de 2005 est passé de 31,7 billions (mille milliards) de dollars en 1993 à 53,7 billions de dollars en 2012, soit une augmentation de 69,4 %. Le pourcentage de la population mondiale vivant dans la pauvreté a chuté, de 43 % en 1990 à 21 % en 2010.
9. James Gwartney, Robert Lawson et Joshua Hall, op. cit., note 1, p. 21. Ces montants sont exprimés en dollars américains 2011 avec parité de pouvoir d’achat (PPA).
10. James Gwartney, Robert Lawson et Joshua Hall, Economic Freedom of the World: 2013 Annual Report, Institut Fraser, septembre 2013, p. 22. Les pourcentages annuels moyens visent les années 1991 à 2011. (Les calculs du temps de doublement ont été établis comme suit : log 2 / log 1,0369 = 19,13 ans et log 2 / log 1,0109 = 63,94 ans.)
11. James Gwartney, Robert Lawson et Joshua Hall, op. cit., note 1, p. 22. Par quartile, en allant du plus libre au moins libre, les proportions sont de 2,78 %, 2,23 %, 2,41 % et 2,48 %.
12. Ibid., p. 22.
13. Ibid., p. 16-17.
14. Organisation mondiale de la santé, Observatoire mondial de la santé, Life expectancy.
15. James Gwartney, Robert Lawson et Joshua Hall, op. cit., note 1, p. 23.
16. La composante éducation de cette valeur est basée sur des mesures du nombre moyen d’années réelles de scolarisation pour les adultes âgés de 25 ans et de la durée attendue de scolarisation pour les enfants en âge d’entrer à l’école.
17. Khalid Malik, Rapport sur le développement humain 2014, Pérenniser le progrès humain : réduire les vulnérabilités et renforcer la résilience, Programme des Nations unies pour le développement, 2014, p. 187.
18. Terry Miller, Anthony B. Kim et Kim R. Holmes, op. cit., note 7, p. 26.
19. James Gwartney, Robert Lawson et Joshua Hall, op. cit., note 10, p. 224, figure 4.4.
20. Betsey Stevenson et Justin Wolfers, « Subjective Well-Being and Income: Is There Any Evidence of Satiation? », American Economic Review: Papers & Proceedings, vol. 103, no 3, mai 2013, p. 598–604.
21. James Gwartney, Robert Lawson et Joshua Hall, op. cit., note 10, p. 223.
22. Ibid., p. 230.
23. Jean-François Minardi, « Hong Kong : un miracle économique qui se poursuit », Note économique, Institut économique de Montréal, novembre 2013. ​

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* Yanick Labrie est économiste à l’Institut économique de Montréal, Bradley Doucet est réviseur et analyste de politiques à l’IEDM.