La confusion des autorités face à la jeunesse militante |
Nous avons vécu
dernièrement au Québec une vague de « grèves » étudiantes ayant pour objectif
de protester contre « l’austérité » et « les hydrocarbures ».
L’événement a été (et continue de l’être) hautement médiatisé et discuté
dans les radios et les journaux. Le récit tourne autour de bavures
policières et de jeunes cagoulés qui entrent dans les classes pour y
sortir les étudiants.
Les débats portent sur la nature démocratique ou légale de ce mouvement,
sur le rapport à l’autorité et le conflit de générations.
La grille
d’opposition classique entre la gauche et la droite s’y déploie. D’un
côté,
la jeunesse incarne directement la voix du peuple contre des
institutions politiques ploutocrates corrompues ayant perdu toute
légitimité.
Elle affirme sa liberté contre des autorités traditionnelles
oppressantes: le patronat, le patriarcat, le gouvernement. Elle prêche
le renversement de l’ordre établi. De l’autre côté (ici,
ici
et
ici),
ces mouvements sont décrits comme symptomatiques d'une perte de leadership
des enseignants qui ont la responsabilité de transmettre des valeurs de
respect à l’autorité. C’est le signe que la nouvelle génération sombre
dans le culte de l’enfant-roi et qu’elle se croit tout permis. Le
gouvernement et les tribunaux sont légitimes, donc nous devons y obéir.
La police est alors admirée comme étant le seul groupe qui agit pour ramener l’ordre.
Voilà un cas où je suis franchement en désaccord avec la droite autant
que la gauche. Mes raisons dépassent largement le contexte québécois. Je
vois dans cette dichotomie une faille majeure dans la manière dont
l’Occident moderne se raconte son histoire.
Le récit d’une jeunesse qui change le monde en combattant les forces de
l’ordre, en occupant les rues, en manifestant ses idéaux contestataires
date d’aussi loin que
la Révolution française,
si ce n’est pas plus. Il s’est déployé au 19e siècle dans des événements
comme
la commune de Paris
et divers combats d’affirmation nationale (ici
et
ici).
Il s’est renforcé de
la lutte contre la guerre du Viêt-Nam
et de
mai 68.
Tous ces symboles ont servi à construire un idéal romantique de la
jeunesse fougueuse, combative et éclairée qui brasse un monde adulte qui
s’encrasse dans le confort, la peur, l’ignorance et la servilité.
Cet
archétype stimule d’une génération à l’autre de nombreuses personnes qui
désirent devenir elles aussi des héros. Elles veulent « apporter leur
contribution » à une révolution perpétuelle du pouvoir. Ce phénomène ne
réinvente pas la roue. C’est une tradition qui se reproduit de façon
aussi prévisible que le lever et le coucher du soleil. Lorsque les ténors
d’une droite conservatrice et élitiste comme Denise Bombardier en appellent
à un passé idyllique où les jeunes écoutaient leurs aînés, ils ne se
rendent pas compte que c’est exactement ce qu’ils font en allant dans
les rues. Ils appliquent le catéchisme du ministère de l’Éducation sur
l’idéal citoyen et les vertus de la Révolution tranquille.
Par ailleurs, cette jeunesse militante ne s’oppose pas aux autorités, mais
les appuient fanatiquement. Pour le comprendre, nous devons avoir une
vue d’ensemble de la modernité occidentale et non regarder en autiste
les potins de notre petit village.
Au cours des deux derniers siècles, nous avons assisté à une
transformation des structures de légitimation du pouvoir politique.
Auparavant, le clergé et la noblesse s’attribuaient au nom d’une
rhétorique de droit divin un rôle de leadership auprès du peuple, se
présentant à lui comme garant de l’ordre. Par la suite, une nouvelle
caste dirigeante s’est formée à partir d’un idéal de réorganisation
démocratique
et scientifique
de la société. Les États modernes sont nés, articulés autour de
« programmes sociaux » visant à éclairer les masses, protéger les
travailleurs de l’exploitation, garantir des soins à tous, égaliser les
chances, moraliser les échanges et sauver la planète de catastrophes
écologiques. Il en est résulté une nouvelle structure de contrôle mis en
place par des fonctionnaires, munis du pouvoir de nous taxer et de nous
régir massivement. L’autorité n’a pas disparu, mais a changé sa
stratégie de relation publique. Ce phénomène n’est pas québécois, mais
occidental.
Actuellement, ce vieux modèle est menacé dans son financement.
Ses activités coûtent si cher que les représentants qui sont élus pour
le diriger
peinent à trouver des moyens pour verser des salaires à ceux qui le font
fonctionner.
C’est dans ce contexte que
des théoriciens ont mis de l’avant un concept « d’austérité » et que les
enseignants, les syndicats et les journalistes se sont donnés comme
mission de le diffuser auprès des masses. L’objectif est de les
conditionner à demander de nouvelles taxes, en suggérant que celles-ci
ne viseront que le 1% des plus riches. Derrière cette rhétorique, il n’y
a pas une contestation, mais un renforcement de l’ordre établi.
C’est le pouvoir des fonctionnaires sur le reste des gens qui est
monétairement remis en cause, et ceux-ci se battent pour le protéger.
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« La jeunesse militante est
confuse. Elle ne se rend pas compte qu’en fin de compte,
elle aura seulement fait de la propagande pour un État
contrôlant qui, pour continuer de payer ses hommes de mains,
trouvera des moyens de plus en plus créatifs de saisir la
propriété des gens ordinaires. » |
Dans ce contexte, que fait la jeunesse militante? Elle récupère le
discours des autorités politiques qui sont les plus directement reliées
à elle: les enseignants. Elle s’en fait la porte-parole. C’est la raison
centrale qui explique la passivité des directions de cégeps et d'universités face à leurs grèves et non une mythique perte de leadership
face à des enfants-rois. Ce phénomène n’a rien de surprenant. Tout au
long des révolutions qui ont vu les anciennes autorités être remplacées
par les nouvelles, la jeunesse a servi de chair à canon, de disciples et
d’étendards pour des adultes en position d’autorité désireux de
renforcir leur rôle de réorganisateurs sociaux. Ici encore, il n’y a
rien de différent sous le soleil. Ce message est éculé. Lorsque la
droite y voit une contestation de l’autorité, elle ne saisit tout
simplement pas qui commande et comment ceux qui dirigent orientent les
étudiants.
Cette erreur de pensée prend encore plus de poids lorsque le patronat,
le gouvernement et les grandes entreprises sont définis à tort comme
ceux qui nous contrôlent. Le premier ministre du Québec, Philippe
Couillard, n’est qu’un médiateur entre les contribuables et ceux au sein
de l’appareil d’État qui veulent se garantir un salaire et un emploi
jusqu’à leur retraite. Il n’est pas vraiment un conducteur en contrôle
d’un véhicule et encore moins l’incarnation d’un peuple. Il fait de son
mieux pour éviter de mal paraître devant les caméras jusqu’à la
prochaine élection et sert de bouc-émissaire aux coalitions de
chialeurs.
Ensuite, les gestionnaires d’institutions commerciales n’ordonnent à personne
d’acheter leur produit ou de travailler pour eux. Ils sont les
représentants des épargnants qui investissent pour leur retraite et des
consommateurs qui choisissent librement leur produit. Ils peuvent jouer
de lobbying pour obtenir des passe-droits, comme n’importe qui dans un
système économique organisé par une autorité centrale, mais ils n’ont
pas inventé ou revendiqué ce mode de fonctionnement, ni ne le commande
sournoisement à partir de réunions secrètes.
Devant ces mouvements sociaux, la jeunesse militante est confuse. Elle
est convaincue de lutter pour la redistribution de la richesse, de
protéger la veuve et l’orphelin et d’obstruer une vaste conspiration
néolibérale menée par Wall Street et les grandes banques. Cependant,
elle ne se rend pas compte qu’en fin de compte, elle aura
seulement fait de la propagande pour un État contrôlant qui, pour
continuer de payer ses hommes de mains, trouvera des moyens de plus en
plus créatifs de saisir la propriété des gens ordinaires.
Cette jeunesse n’imagine pas comment les idéaux qu’elle défend sont
néfastes. Depuis plus de 200 ans, ces efforts de réorganisation de la
société n’ont pas amélioré notre sort. Ce sont des innovations et des
efforts venant d’entrepreneurs, d’épargnants,
d’investisseurs, de vendeurs et de travailleurs libres de leur choix qui
ont fait de notre monde un lieu prospère. Les seules choses que l’État
moderne nous a apportées, c’est de nous imposer une pénible
bureaucratie scolaire qui complexifie inutilement notre entrée sur le
marché du travail, de camoufler une pénurie de soins médicaux derrière
de longues listes d’attente, de construire des routes qui ne mènent
nulle part, qui congestionnent ou qui craquent, de dévaluer notre
monnaie, et de parsemer nos échanges de règles qui éteignent nos
initiatives.
Ce sont les libertariens qui articulent le mieux l’enjeu de ces conflits
et qui en proposent une vision d’avenir. Selon eux, le problème de notre
temps est la taille de l’État, qui est devenu d’une génération à l’autre
de plus en plus envahissant en étouffant les systèmes concurrents dont
la nature résulte de la libre volonté et de la responsabilité des
individus. L’endettement public ne représente pas une menace pour nos
« acquis », mais un nuage noir avant-coureur d’une confiscation massive de
nos propriétés et des libertés qui vont avec elles. La jeunesse
militante qui occupe les rues ne comprend pas ce qui se passe et se bat
pour que ce danger se concrétise.
Le clivage entre la droite et la gauche, ainsi que les vieux clichés
autour des conflits générationnels, méritent d’être repensés. Lorsque la
droite valorise l’autorité d’aînés, elle ne comprend pas le monde à
l’intérieur duquel elle se trouve et réfère à des vieux sages qui
n’existent que dans leur imagination. Les autorités sont à gauche depuis
belle lurette et elles se servent du romantisme révolutionnaire pour
articuler leur propagande. Lorsqu’elles décident de le freiner en jouant
les pragmatiques responsables
à La Presse,
elles ne font pas preuve de sagesse, mais craignent simplement la
banqueroute de cet idéal, qui ne mériterait même pas d’en être un et qui
devrait simplement être remplacé par un libre marché authentique.
Si la jeunesse militante voulait vraiment contester l’ordre
établi, elle gagnerait à étudier la pensée libertarienne en mettant de
côté tous les préjugés que les élites intellectuelles diffusent à son endroit. Vous pouvez être certain
que vous verrez alors le corps
enseignant se mobiliser pour arrêter leurs grèves et se ranger du côté
de la police, dévoilant aux yeux du public leur vrai visage.
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Première
représentation écrite du mot « liberté » en Mésopotamie,
environ 2300 av. J.-C. |
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