Fête des Patriotes: l'art de confondre des fouteurs de
trouble avec des héros |
Le lundi qui précède le 25 mai a été consacré par l’Assemblée nationale
Journée des Patriotes.
Sous la direction du Parti québécois, nos politiciens ont choisi comme
héros nationaux des individus violents et armés motivés à tuer ceux qui
se mettaient sur leur chemin. Bien sûr, les événements nous sont
présentés autrement. Nous étions alors sous le contrôle d’un peuple
étranger motivé à nous assimiler et une « avant-garde révolutionnaire »
s’est battue pour nous en libérer. Par ce geste, ils ont posé les
premiers jalons de la démocratie québécoise.
Cette idéalisation des Patriotes devrait pourtant nous laisser songeur.
Accepterions-nous, aujourd’hui, que le parti élu à l’Assemblée nationale
rassemble des milliers de jeunes, les fanatise avec des slogans
effrayants sur le Canada, leur fournisse des armes et les encourage à
abattre des policiers au péril de leur vie? Quelques fanatiques en mal
de gloire, peut-être, mais pas l’écrasante majorité d’entre nous.
Pourquoi alors prendre le même genre de tuerie du passé et en faire un
jour férié?
Probablement parce que nos institutions politiques ont besoin d’asseoir
leur légitimité sur un sacrifice légendaire. Ce n’est pas nouveau. Le christianisme s’est fondé sur la crucifixion du fils de Dieu. La France
et les États-Unis ont également marqué la naissance de leur État moderne
par un gigantesque bain de sang, chantant
des
hymnes meurtriers
en leur honneur. J’imagine que la mort héroïque inspire de la grandeur
d’âme. La recette est bonne alors pour enchanter les institutions de
contrôle qui en découlent, et permettre aux bien-pensants de nous
rappeler que des gens sont morts pour elles. Nous ne voulons pas répéter
l’expérience, mais tant que ce jeu est situé dans un passé fort
lointain, c’est pittoresque.
Il est important de jeter un éclairage différent sur ces événements, car
ce genre de récit illustre bien comment nous interprétons ce qui entoure
le pouvoir politique de fables dangereuses.
Il faut d’abord comprendre que la monarchie britannique n’était pas un
régime totalitaire dont le projet était d’assimiler des peuples. Des
journalistes anglophones le souhaitaient, et des francophones le
craignaient, mais cela n’avait que peu à voir avec la réalité. Cette
autorité reposait sur
une
tradition de limitation du pouvoir
par une assemblée, une institution juridique et une culture plutôt
libérale. En tant que puissance coloniale, l’Angleterre tissait des
alliances avec les aristocraties et élites locales de manière à
sécuriser son commerce dans le monde.
Ensuite, sa présence au Canada découle en partie des agressions
constantes que les représentants du roi de France commettaient contre
ceux qui traitaient la fourrure en Amérique. Ce racket se faisait au
bénéfice du petit groupe de seigneurs entourant la cour de l’intendant à
Québec et non des coureurs des bois canadiens qui leur faisaient
concurrence. Bien sûr, dans ce combat, il y a eu la déportation des
Acadiens et les incendies de Wolfe dans son avancée vers Montréal en
1760, mais il est important de garder à l’esprit l’ensemble de la
situation.
Des soldats de France avaient brûlé des villages et tué leurs habitants
dans une guerre précédente,
nourrissant des réactions de haine en Nouvelle-Angleterre. Ensuite,
ils
avaient laissé leurs alliés amérindiens massacrer des milliers de
personnes désarmées au fort William Henry.
Les familles canadiennes ordinaires étaient
acculées à la famine par la mainmise de Bigot sur l’économie,
dans une colonie transformée en camps militaire. La victoire des Anglais
aux plaines d’Abraham était-elle une libération? La question se pose.
D’autre part, les autorités de Londres ont été timides de la Conquête
jusqu’à 1838. Par peur des Américains,
elles ont concédé à l’Église catholique et aux seigneurs d’ici la
mainmise sur le Canada en leur reconnaissant leurs privilèges légaux.
Les immigrants protestants d’ici,
qui
étaient à l’origine des réfugiés de guerre
et non des conquérants,
voyaient ainsi le pouvoir anglais les abandonner au profit du clergé et
de l’aristocratie canadienne-française.
Du point de vue du « petit peuple » canadien-français et de ses curés, la
principale raison derrière
la mise sur pied d’un Parlement élu en 1791
était la volonté du pouvoir anglais de lever des taxes. C’est donc dire
que de 1763 à 1791, la monarchie anglaise n’avait même pas le pouvoir de
se financer à même notre travail. Par la suite, le gouverneur cherchait
constamment à obtenir l’accord des députés francophones simplement pour
financer de façon autonome ses minces activités. Cette prudence n’était
pas due à sa bonté, mais au fait qu’étant dirigée par des étrangers
relativement faibles, la population d’ici était moins prompte à lui
obéir (illustrant
la théorie de H-H Hoppe
concernant les avantages de la monarchie sur la démocratie). Les
autorités se faisaient donc relativement plus discrètes pour éviter une
révolte.
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« Il faut comprendre que la
monarchie britannique n’était pas un régime totalitaire dont
le projet était d’assimiler des peuples. Des journalistes
anglophones le souhaitaient, et des francophones le
craignaient, mais cela n’avait que peu à voir avec la
réalité. » |
Pour couronner le tout, les Patriotes n’étaient pas des héros. À
l’origine, ce mouvement est né de députés francophones désireux de faire
payer les taxes aux commerçants anglais plutôt qu’aux seigneurs
canadiens-français. Ils ont mis sur pied
un organe de presse
qui a stimulé les ressentiments ethniques pour favoriser leur élection.
Pendant plus de 20 ans, ils ont fait campagne pour avoir un droit de
veto sur les finances du gouverneur. Ils en ont fait à répétition un
argument pour coaliser des appuis. Louis-Joseph Papineau est alors
arrivé pour fanatiser les foules. Lorsque les passions de celles-ci se
sont transformées en émeute, il s’est enfui aux États-Unis.
Est-ce que la cause en valait la peine? Non. C’est l’Angleterre qui a
mis sur pied un Parlement ici face à la résistance d’un peuple
canadien-français content de simplement payer la dîme à leur curé. Les
premiers bénéficiaires de ce geste ont été les députés francophones qui
se sont vu alloués des pouvoirs inexistants avant. En reconnaissance de
ce cadeau de Londres, qu’ont-ils fait? Ils ont demandé de contrôler la
totalité des finances de la province, sans même excepter le conseil du
gouverneur, dont les dépenses étaient insignifiantes. Tout cela se
déroulait dans un contexte où l’Église catholique contrôlait les écoles,
les hôpitaux, les orphelinats, les mœurs (ce qui compte) face à un roi
qui peinait à faire payer la moindre activité de ses représentants ici.
Vu sous cet angle, les Patriotes ne se battaient pas pour libérer les
Canadiens français, mais pour légitimer les taxes de Londres moyennant
plus de pouvoir pour eux.
Loin de moi l’idée que cette époque était parfaite, mais les rebelles
d’alors se trompaient de cible lorsqu’ils prétendaient faire progresser
notre peuple vers la liberté. Plutôt que de s’attaquer à la monarchie
britannique, ils auraient mieux fait de combattre l’emprise du clergé
catholique qui représentait alors la véritable structure de contrôle
conservatrice sur nous. Malheureusement, maintenant comme avant,
l’oppression est plus difficile à percevoir lorsqu’elle provient du
voisinage.
Nos historiens vont analyser les événements en rapportant
le récit de voyage de Lord Durham
ou les éditoriaux de journalistes anglophones qui souhaitaient
l’assimilation de notre peuple. Cependant, ces faits sont mal
interprétés. Les anglophones du Bas-Canada étaient une minorité
qui craignait pour sa liberté d’expression, de commerce et de religion,
entourée d’une majorité docile aux commandes des évêques et des
restes d’une aristocratie seigneuriale française. Si cette affirmation
surprend, c’est parce que nous sommes habitués de confondre faussement
les anglophones en une grande famille unie contre nous. Or, les Anglais
d’ici
ont fui les Anglais des États-Unis
alors que les autorités d’Angleterre étaient plus soucieuses de veiller
à leur amitié avec l’élite francophone d’ici qu’avec eux. Dans ce
contexte, ils étaient réellement en minorité.
En 1838, ces gens-là avaient des voisins armés conditionnés aux
ressentiments ethniques (les Patriotes) disposés à tuer les
représentants de l’ordre pour imposer leur volonté. Disons que c’est une
raison d’avoir peur, dans un contexte où
la révolution est alors connue pour ses tueries collectives.
Lorsqu’ils parlaient de nous assimiler, ils compensaient surtout leur
sentiment d’impuissance dans des fantaisies délirantes de contrôle. Ils
ne planifiaient rien de tangibles. Lord Durham a écrit son rapport
immergé dans cette atmosphère délirante.
J’écris à partir de faits disponibles dans
le second tome de l’Histoire populaire du Québec de Jacques
Lacoursière.
Bien sûr, ni lui, ni aucun historien québécois ne les interprètent à ma
manière, ne les reliant pas comme je le fais dans une théorie critique
de l’État-nation. Il y a une raison à cela. Lorsque nous racontons
l’histoire de notre peuple, nous nous identifions spontanément aux
autorités politiques qui agissent en notre nom. Nous prenons leurs
déclarations comme des paroles d’évangile. Le roi de France, le clergé,
les Patriotes, Jean Lesage, René Lévesque, et ainsi de suite, sont
transformés en prophètes qui menaient notre peuple vers la Terre promise
selon le modèle de Moïse.
Par ce détour, nous nourrissons une attitude dévote envers les
institutions de contrôle. Les historiens sont des individus qui se sont
passionnés pour ces récits enchanteurs dès leur adolescence et qui les
rapportent candidement sans trop de scepticisme.
Pour ma part, je ne respecte pas l’État et n’y voit qu’une institution
de contrôle qui cherche frauduleusement à bien paraître. C’était le cas
en 1838 comme aujourd’hui. J’éprouve aussi de l’empathie pour l’histoire
des Anglo-Québécois. Plutôt que de m’identifier à ces combats, je
préfère m’en tenir à distance. Au temps des Patriotes, je me serais
concentré à servir mon prochain en travaillant, en commerçant et en
laissant les autres et leur propriété tranquille. Je crois que la
plupart des Canadiens français agissait de cette manière.
C’est ainsi qu’au lieu de consacrer
les élucubrations du chevalier de Lorimier devant la potence
et le récit bourré de préjugés d’un lord Durham, nous aurions pu, à la
place, retenir les paroles de repentir de François Nicolas, s’exclamant
face à la mort:
Pères et mères qui élevez des enfants, déclare-t-il, employez donc tout
le pouvoir que vous avez sur vos enfants pour éteindre dans leurs jeunes
cœurs tous ressentiment possibles qu’il peut y avoir entre les personnes
de différents pays ou de différentes croyances. Ne sommes-nous pas tous
enfants d’un même pays? Tous sujets de la même couronne? Et pourquoi
montrer tant de vindication les uns contre les autres? Il faut mettre à
bas tous les préjugés et être tous membres de la même famille. J’ai vu
un temps où je me flattais d’être un sujet britannique, et j’en avais
grand droit dans le temps; mais ce n’est que depuis que des esprits
fanatiques m’ont représenté les choses sous un autre point de vue […].
(Jacques Lacoursière, Histoire Populaire du Québec, De 1791 à 1841,
1996, Le Septentrion, p. 414.)
Bizarrement, la Maison « nationale » des Patriotes
lui attribue d’autres propos… |
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Première
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