Bien-pensants contre Royalmount: la phobie des grands
espaces commerciaux |
La nouvelle de l’heure pour l’élite bien-pensante québécoise en ce mois
de mai 2015?
Des promoteurs projettent de construire
un vaste quartier commercial à Montréal, le Royalmount, au
croisement des autoroutes 15 et 40, dans la lignée de
ce qui s’est fait à Brossard.
L’événement a motivé le député Amir Khadir d’y aller d’un
sermon dans le Huffington Post Québec,
soutenu par
des écolos, des
allergiques du shopping et
des conservateurs nationalistes.
Des groupes politiques s’activent pour
empêcher sa réalisation.
Ce genre de récits alarmants n’est pas nouveau. Dédé Fortin en a
fait
une chanson populaire et ses
racines remontent à aussi loin que le 19e siècle. À l’époque, autant les
curés que les révolutionnaires voyaient dans l’essor d’une industrie de
masse soit
un « lieu de perdition », soit
un piège menant à la concentration du capital. C’est un vieux refrain
que des individus cultivés réactualisent contre la modernité économique.
Ce discours se compose de plusieurs éléments:
- Le mépris du consommateur. Choisir un produit et l’acheter
sont des actes superficiels. Ils indiquent un vide de sens
comparativement à des passions plus nobles comme participer à la
démocratie, passer du temps entre amis ou réfléchir aux grandes
questions philosophiques.
-
La peur des grosses institutions commerciales. Les commerces
sont trop gros. L’individu y perd le contrôle et la raison. Les contacts
s’y effritent. Les rapports sociaux deviennent mécaniques. Par
contraste, la petitesse des entreprises de quartiers est un gage de
chaleur et de contacts humains.
-
La peur des pénuries. Ce genre d’écosystème consomme trop de
ressources et n’en ajoutent pas. L’environnement immédiat des gens se
vide pour les remplir. À la fin, c’est la faillite généralisée.
-
La peur des apparences. Les consommateurs sont pris au piège
par la petitesse de leur individualité, sous le modèle du
dilemme du prisonnier.
Lorsqu’ils collaborent plutôt collectivement (en syndicat), ils
découvrent comment ce choix est nul.
-
Le double standard. Ceux qui formulent ces critiques ne le
font qu’envers les systèmes « commerciaux » et non les autres. Par
exemple, les gestes qui composent l’État moderne comme voter,
manifester, étudier, s’organiser en groupes de pression, travailler pour
la fonction publique, discourir dans un journal sont jugés nobles,
humains, durables et éclairés.
Que doit-on penser?
Le mépris du consommateur
Regarder une masse en mouvement de haut, la juger dépourvue d’âme,
puis militer pour la sauver à coup d’interdits n’est pas la marque d’un
esprit profond, mais d’un chauvinisme agressif et bête digne des pires
curés d’antan.
Ces gens ne comprennent pas le magasinage. Selon eux, la fille qui
dépense de l’argent pour des vêtements à la mode est sans intériorité et
celui qui se promène chez IKEA est sous hypnose. En réalité, c’est ce
moralisateur qui a trop peu d’imagination pour en comprendre la
signification profonde. Se rendre jolie, s’adapter au regard des gens,
se démarquer d’un public au moyen d’une robe conçue par un designer de
renom sont des gestes chaleureux, personnels et créatifs. La même chose
est vraie d’agencer les meubles de son salon pour y vivre des moments de
confort. Par-dessus tout, la recherche d’un tel plaisir sophistiqué
n’est pas un gaspillage, mais un puissant stimulant qui en amène à se
dépasser dans les services qu’ils offrent à leur communauté en échange.
Au-delà de ces débats, l’essentiel est que tous ces gens vivent
pacifiquement sans forcer personne à faire comme eux, contrairement à
nos bien-pensants.
La peur des grosses institutions commerciales
Derrière la peur des grands espaces commerciaux se cache une
incompréhension profonde des sources de notre liberté. Selon les
anticapitalistes, nous nous sommes émancipés des préjugés de nos
ancêtres grâce à l’action bienveillante d’associations politiques
courageusement dressés contre des traditions moyenâgeuses.
|
« Nos bien-pensants se forment
des cauchemars à la vue d’un immense quartier commercial,
mais fabulent en contemplant l’État moderne. » |
En fait, l’invention du train, de l’automobile, de la radio, puis de la
télévision ont vraisemblablement pesé plus lourd dans la balance.
Comment? En permettant aux individus de vivre et de socialiser en dehors
du contexte restreint de la paroisse. Bref, en accédant à des espaces
d’échanges et de choix plus grands. C’est de cette manière que la
perspective des gens s’est élargie et non grâce à des sermons cultivés
entendus au cégep.
De nombreux produits me sont disponibles parce qu’il existe un réseau
d’affaires d’envergure internationale capable de faire converger un
nombre gigantesque de consommateurs et de producteurs. La quantité d’à
peu près n’importe quoi dans le
Quartier Dix30, chaleur
humaine incluse, est énormément plus grande que dans mon quartier:
Pointe St-Charles. Sans voiture pour m’y rendre, j’ai moins de choix. Si
la rue à côté de chez moi se vide de commerces, c’est parce que je
possède un moyen d’en sortir rapidement pour aller dans un lieu plus
prospère, contrairement au 19e siècle. Oui, certains secteurs de
Montréal sont assez riches pour connaître une telle diversité, mais cela
ne signifie pas que tout le Québec peut être arrangé ainsi.
La peur des pénuries
Prévoir des pénuries en discourant sur la société assis sur son fauteuil
après avoir lu quelques livres n’est pas la marque de la clairvoyance,
mais du délire. Personne ne peut raisonnablement prétendre suivre l’état
des ressources mondiales et leur utilisation.
Le problème origine d’un acharnement à vouloir tout ramener à ce dont
l’individu peut avoir conscience. Les grands espaces commerciaux
échappent à notre entendement, donc nous voulons y substituer une
structure d’organisation plus simple: une association politique et
quelques coops. Au-delà, nous ne concevons que le chaos.
Pourtant, c’est en réduisant des systèmes complexes à la petitesse de
notre esprit que nous créons les pénuries que nous souhaitons prévenir.
Je ne sais pas comment le Quartier Dix30 a pu se développer de manière
aussi prospère, mais cela a fonctionné. Si un projet semblable consomme
trop, il coûtera trop cher et échouera. Ce seront les investisseurs qui
y perdront leurs épargnes en en ayant assumé librement le risque.
La peur des apparences
Ceux qui se présentent à nous comme des sages sont convaincus de voir
les ressors secrets dissimulés derrière les dynamiques commerciales. Les
personnes moyennes ont l’air de choisir, mais elles sont conditionnées
et restreintes dans leurs opportunités dans des jeux de coulisses ou par
des lois historiques subtiles.
Pourtant, jusqu’à preuve du contraire, un chat est un chat et non un
robot téléguidé par des extraterrestres. Un choix est un choix et non
une illusion mise de l’avant par des néolibéraux assoiffés d’argent. Un
vaste espace commerciale est un vaste espace commerciale et non une
trappe à cons. Un individu qui y imagine des drames est un individu qui
y imagine des drames et non un vieux sage sur sa colline.
Le double standard
Nos bien-pensants se forment des cauchemars à la vue d’un immense
quartier commercial, mais fabulent en contemplant l’État moderne. Pour
eux, payer des taxes sous la contrainte est un acte de générosité.
Étudier pendant des années un programme uniforme et obligatoire dans des
salles de classe est une manière d’ouvrir son esprit. Décider vaguement
d’à peu près tout en mettant une croix sur un bulletin de vote sans
jamais en voir le prix exprime notre volonté. Augmenter sans cesse les
budgets d’organismes inaptes à remplir leurs missions est une solution.
S’endetter collectivement via un gouvernement est un investissement. Un
fonctionnaire incompétent dans le service à la clientèle est un
serviteur du public.
Il est important de garder ces bizarreries en tête afin d’évaluer la
qualité de leurs discours. Ces gens se montrent peu sensibles à la
grandeur d’âme, à la dignité humaine, à la saine gestion des ressources
et à la clairvoyance. Ce qu’ils disent et ce qu’ils font n’est pas
congruent. L’État moderne est plus abrutissant, plus grand, plus
coûteux, plus individualiste et plus trompeur que le projet Royalmount,
mais cela ne les trouble aucunement. La vérité est que ces bien-pensants
préfèrent un système qui stimule leur imagination moralisatrice à un
autre qui lui impose des limites mesurables en prix et en salaire. Que
nos écoles publiques encouragent ce genre de lunatiques, et que nos
journaux les embauchent, devraient nous inspirer du scepticisme.
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Première
représentation écrite du mot « liberté » en Mésopotamie,
environ 2300 av. J.-C. |
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