Retour sur la tragédie de Lac-Mégantic |
Voilà près de deux ans maintenant qu’un train pétrolier, échappant à
tout contrôle, venait dévaster le centre-ville de Lac-Mégantic, faisant
près de 50 morts. Depuis, les mesures de contrôle ont été resserrés et
de nouvelles normes de sécurité ont été mises en place pour faire face,
notamment, à la hausse du transport ferroviaire de pétrole. Le problème
est que ces normes vont augmenter les risques pour les usagers et les
gens qui habitent près des chemins de fer plutôt que de les diminuer.
Train de mesures
Une courbe de voie ferrée est conçue de manière à
minimiser la contrainte horizontale sur le rail qui provient de
l'inertie de rotation du train. On peut agir sur deux paramètres, à
savoir le rayon de courbure de la voie – plus celui-ci est grand moins
il y a d'inertie et de forces – et l'inclinaison du rail. De façon
optimale, à vitesse donnée, il est possible de trouver toute une série
de paramètres qui permettent de réduire presque à zéro les forces
latérales. Pour des raisons économiques, il vaut mieux un rayon
relativement faible et une inclinaison assez élevée. Il y a cependant
une certaine marge (limitée) qui est prise en compte pour permettre à
des trains de passagers de se déplacer à une vitesse autre que celle
optimale, pour des raisons de confort notamment.
La très large majorité des voies ferrées en Amérique du Nord
sont conçues pour une vitesse de 60 milles* à l’heure.
Si la vitesse est sensiblement en dehors de celle pour laquelle le rail
est conçu (que ce soit à la hausse ou à la baisse), la contrainte
horizontale sur le rail est augmentée, ce qui entraîne à terme plus de
fatigue et un taux de rupture plus élevé. Le second problème est que la
position d'équilibre sur le rail est différente, faisant sensiblement
plus frotter la roue sur le côté du rail – usant plus rapidement ces
deux éléments, ce qui augmente là aussi le risque de rupture.
Afin de protéger les gens, les lois ont été
modifiées pour réduire la vitesse des trains de matières dangereuses.
Une vitesse de 50 milles à l'heure a donc été imposée de manière
générale, avec une réduction à 40 milles à l'heure dans les
centres-villes de 100 000 habitants ou plus. Or, c'est là, par la loi,
qu’on impose au matériel ferroviaire d'être le plus sollicité.
Le gouvernement américain maintient
une base de données sur les accidents ferroviaires depuis 1975. Il y
indique beaucoup de choses dont la ou les causes majeures des accidents
et le nombre de morts et de blessés. Sur 77 000 accidents, entre janvier
1975 et mars 2015, le National Transportation Safety Board (qui enquête
sur les accidents de transports aux États-Unis) a déterminé près de 160
000 causes majeures pour ces accidents. De ces causes, seules 2,6% sont
liées à la vitesse alors que 36,5% sont liées à la voie elle-même. En
voulant réduire les risques de déraillements par la vitesse, on augmente
sensiblement les risques de déraillement par détérioration des voies.
Dire qu'il y a moins d'accidents qui se produisent à basse vitesse ne
revient pas à dire que réduire la vitesse de manière permanente
diminuera le nombre d'accidents.
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« Les meilleures intentions du
monde ne peuvent faire de nos élus des êtres omniscients qui
connaissent tout. Dans ce cas-ci (comme dans plusieurs
autres), ils ont écrit toute une série de lois sans vraiment
en juger les conséquences. » |
Question d’épaisseur
On a beaucoup parlé de l'obligation faite aux
transporteurs ferroviaires de modifier ou de changer leurs
wagons-citernes transportant du pétrole pour les rendre plus résistants
en cas d'impact. Concrètement, leur épaisseur passera de ½ pouce à 9/16
pouce (12,7 à 14,3 mm), on renforcera les valves, on ajoutera une couche
isolante et on ajoutera aux extrémités un écran de protection contre les
impacts. On obligera aussi les fabricants à normaliser les citernes.
Cette opération vise à enlever les contraintes résiduelles qui restent
dans l'acier après qu'on l'ait mis en forme et soudé, ce qui amène la
citerne à avoir le maximum de résistance possible si elle subit un
impact. Les contraintes résiduelles de fabrication s'ajoutant à celles
de l'impact réduisent en effet la marge de résistance dont dispose la
citerne en cas de collision. Le tout coûtera à l'industrie autour de 2,5
milliards de dollars durant les 10 prochaines années. Pour quel
résultat? Une belle dose de poudre aux yeux pour l'essentiel. Voici
pourquoi:
1) L'énergie nécessaire pour percer un trou dans
une pièce est proportionnelle à l'épaisseur de celle-ci, au périmètre du
trou et à la limite élastique du matériau.
2) L'énergie d'un objet en mouvement est
proportionnelle à sa masse et à sa vitesse au carré.
3) Le percement ou non d'une citerne à vitesse et
épaisseur données dépend de plusieurs facteurs: la pression à
l'intérieur du réservoir, qui réduit la résistance de la citerne à
mesure qu'elle monte, la grosseur de l'obstacle sur lequel le wagon
s'arrêtera, qui augmente la possibilité de perforation à mesure que les
dimensions de l'obstacle diminuent et l'angle que fait l'obstacle avec
la paroi de la citerne – un angle de 90° étant le meilleur pour la
résistance de la paroi. Cependant, les calculs faits à l'aide de la
méthode des éléments finis démontrent qu'une citerne d'un demi-pouce
d'épaisseur commencera à être en danger de fracturer lors d'un accident
à 10 milles à l'heure, et celle d'un pouce à 15 milles à l'heure (voir
ces documents du Département des transports des États-Unis
ici ou
ici). Les vitesses autorisées étant de 40 à 50 milles à l'heure, les
côtés devraient avoir entre 8 et 12 pouces d'épaisseur et les
extrémités, entre 10 et 16 pouces pour garantir leur intégrité lors d'un
impact! C'est ridicule puisque cela empêcherait de transporter quoi que
ce soit compte tenu de la limite de poids de ces wagons. L'ajout d'un
seizième de pouce ne changera pratiquement rien, sauf qu’il permettra au
gouvernement de dire qu’il a « fait » quelque chose pour ses citoyens.
Quoi? Mystère.
Risque zéro
Certes, les étatistes aiment donner au
gouvernemaman la grande mission de détourner le maximum de ressources
productives vers des secteurs improductifs via lois et règlements de
toute sorte. Donc, à moins de considérer que de forcer les compagnies à
dépenser de manière improductive comme une vertu, il n'y a pas
grand-chose là.
Nous avons besoin de ce que transportent ces
wagons, peu importe ce que peuvent faire ou dire nos chers
gaucho-environnementalistes. Transporter le pétrole sur les routes
causerait encore plus de morts et de blessés, en plus de les détériorer
plus rapidement. Certes, le transport du pétrole par pipeline serait
probablement mieux pour la sécurité de gens, mais la situation est
bloquée pour le moment…
Les meilleures intentions du monde ne peuvent faire
de nos élus des êtres omniscients qui connaissent tout. Dans ce cas-ci
(comme dans plusieurs autres), ils ont écrit toute une série de lois
sans vraiment en juger les conséquences. Les nouvelles règles sont plus
dangereuses que les anciennes, même si, a priori, il semblerait
que non. En plus, le Bureau de la sécurité des transports du Canada et
le National Transportation Safety Board – qui sont censés protéger le
grand public – se sont contentés de dire ce que les gouvernements qui
les paient attendaient d'eux, comme toutes les agences gouvernementales
du monde d'ailleurs, et n'ont absolument pas protesté contre les
nouveaux règlements. Pitoyable.
* Note aux lecteurs hors Amérique du Nord: Plusieurs industries
nord-américaines, dont les chemins de fer, continuent d'utiliser le
système de mesures impériales anglaises. Ce texte utilise ces valeurs.
(1 mille = 1609m; 1 pouce = 2,54cm; 1 pied = 12 pouces = 30,48cm)
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auteur |
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