1984 d'Orwell n'était pas censé être un manuel de
philosophie* |
Rappelez-vous les trois slogans qui régissent la
dictature orwellienne:
• La guerre, c'est la paix.
•
La liberté, c'est l'esclavage.
•
L'ignorance, c'est la force.
Guillaume Bernard, maître de conférences à l'ICES,
vient d'en inventer un quatrième: « Le libéralisme, c'est le socialisme »!
Comment peut-on arriver à confondre la liberté et la
folle idéologie qui réglemente nos vies jusqu'aux plus petits détails?
Notre maître de conférences a réussi ce tour de force
dans un article paru dans Valeurs Actuelles fin mai
2015, intitulé « Malentendus courants sur le
libéralisme ». Tout part d'une équation par amalgame:
le libéralisme serait une philosophie libertaire
hédoniste et relativiste... ce que serait également
le socialisme.
De là, le libéralisme, c'est le socialisme.
Un
malentendu sur le libéralisme
L'auteur entretient un malentendu sur le
libéralisme, habituellement entendu à gauche:
celui-ci postulerait ou fonderait ses arguments sur
l'hypothèse d'individus égoïstes, matérialistes et
auto suffisants, affranchis de toute norme morale,
de toute espèce d'ancrage dans une réalité morale
naturelle. Cette idée répandue dans le clergé, y
compris au plus haut sommet de sa hiérarchie (comme
le montre encore une fois la dernière encyclique du
Pape François), est une idée fausse.
À l'encontre de cette caricature, le libéralisme
classique ne se confond ni avec l'hédonisme, ni avec
une indifférence à l'égard du bien ou du mal et
encore moins avec le socialisme.
Une philosophie du pouvoir limité
La plupart des libéraux s'accordent avec la
tradition occidentale issue de la philosophie
grecque pour dire qu'il existe une rationalité
morale et que le bien et le mal ne sont pas des
notions arbitraires, relatives à l'opinion ou à
l'époque. Ainsi le vol détruit le principe de la
propriété, fondée sur le travail c'est-à-dire sur le
libre exercice de nos facultés.
Pour les libéraux, à la différence des socialistes,
il existe donc un droit antérieur à la formation de
l'État, un ensemble de principes généraux que la
raison peut énoncer en étudiant la nature de
l'homme.
Ce droit s'impose au pouvoir, qui doit dès lors
le respecter. Les lois édictées par l'autorité
politique n'ont force obligatoire que selon leur
conformité au droit naturel. Et si les citoyens
possèdent par nature certains droits fondamentaux,
ces droits ne peuvent être ni octroyés, ni supprimés
par la loi.
Le libéralisme, pas une théorie morale complète
Mais le libéralisme, contrairement au socialisme,
n'a jamais eu la prétention d'être une théorie
morale complète, ni une philosophie de la vie ou du
bonheur. Guillaume Bernard se trompe en affirmant
que « le libéralisme est un tout », c'est-à-dire une
sagesse globale. Il est seulement une théorie
politique, incluant une morale politique, qui traite
du rôle de la violence et des limites du pouvoir.
Puisque les hommes ont des penchants criminels (ce
qui rejoint l'idée chrétienne de péché), il faut les
empêcher de nuire. Mais il est également nécessaire
de limiter le pouvoir et d'empêcher la tyrannie. Si
tous les hommes étaient bons, l'État serait
superflu. Mais si, à l'inverse, comme le
reconnaissent les libéraux et les conservateurs, les
hommes sont souvent malveillants, alors on doit
supposer que les agents de l'État eux-mêmes, qui
détiennent le monopole de la violence, constituent
une menace potentielle. C'est Locke contre Hobbes,
Constant contre Rousseau.
Par conséquent, ce qu'un individu n'a pas le droit
de faire – voler, menacer, tuer –, un État n'a pas le
droit non plus de le faire. Si le fait de spolier
autrui est immoral pour un individu, cela vaut
également pour ceux qui exercent l'autorité
politique. Les libéraux pensent que le commandement
biblique « Tu ne voleras pas » s'applique à tous
sans exception. Il s'agit d'une éthique universelle
qui s'applique également aux institutions sociales.
Un vol reste un vol, même s'il est légal.
L'individu, seul agent moral
Il faut également entendre la défense libérale de
l'individu en ce sens que celui-ci est le seul agent
moral. Les notions de bien et de mal moral, de
droits et de devoirs n'ont de sens que pour des
personnes singulières, non pour des collectivités
abstraites. Seul l'individu humain agit, pense,
choisit, seul il est sujet de droit. Ainsi parler de
« droits des homosexuels » n'a pas de sens, pas plus
que de parler de « droits des catholiques ».
L'égalité des droits ne peut être fondée que sur
l'appartenance à l'espèce humaine et non sur
l'appartenance à une communauté ou à un groupe
collectif.
Enfin et surtout, il n'est pas possible de
comprendre l'essence de la philosophie politique
libérale, si on ne comprend pas qu'elle a toujours
été historiquement définie par une rébellion
authentique contre l'immoralité de la violence
étatique, contre l'injustice de la spoliation légale
et du monopole éducatif ou culturel.
Une anthropologie réaliste
Mais ce qui différencie les libéraux des utopistes,
c'est qu'ils n'ont pas pour but de remodeler la
nature humaine. Le libéralisme est une philosophie
politique qui affirme que, en vertu de la nature
humaine, un système politique à la fois moral et
efficace ne peut être fondé que sur la liberté et la
responsabilité.
Une société libre, ne mettant pas de
moyens légaux à la disposition des hommes pour
commettre des exactions, décourage les tendances
criminelles de la nature humaine et encourage les
échanges pacifiques et volontaires. La liberté et
l'économie de marché découragent le racket et
encouragent les bénéfices mutuels des échanges
volontaires, qu'ils soient économiques, sociaux ou
culturels.
|
« Le libéralisme,
contrairement au socialisme, n'a jamais eu la prétention
d'être une théorie morale complète, ni une philosophie de la
vie ou du bonheur. Guillaume Bernard se trompe en affirmant
que “le libéralisme est un tout”, c'est-à-dire une sagesse
globale. » |
Quiconque a lu un peu les libéraux, anciens ou
modernes, Turgot, Say, Bastiat, Mises ou Hayek, sait
en effet, que pour eux: 1) l'intérêt personnel ne
peut se déployer librement que dans les limites de
la justice naturelle et 2) le droit ne se décide pas
en vertu d'un contrat, mais se découvre dans la
nature même de l'homme, animal social, doué de
raison et de volonté. On est alors très loin de la
caricature donnée par l'article de Guillaume
Bernard.
Les entrepreneurs anticipent les besoins des
consommateurs
Les libéraux, il est vrai, accordent à l'intérêt
une large place dans le développement de ce monde.
Mais ils voient en lui le plus puissant et le plus
efficace des stimulants lorsqu'il est contenu par la
justice et la responsabilité personnelle. Le fait
que les entrepreneurs soient avant tout guidés par
leur intérêt, loin de conduire à l'anarchie, permet
de canaliser les intérêts. Cela les oblige à prendre
en compte et à anticiper les besoins des
consommateurs. Pour réussir, il faut être à l'écoute
des besoins de la société.
En revanche, l'un des objectifs principaux des
socialistes est de créer (en pratique par des
méthodes violentes) un homme nouveau acquis au
socialisme, un individu soumis dont la fin ultime
serait de travailler au service du collectif. Pour
les socialistes, en effet, les hommes ne sont que
des matériaux inertes qui ne portent en eux ni
principe d'action, ni moyen de discernement.
Partant de là, il y aura entre le législateur et
l'humanité le même rapport qu'entre le potier et
l'argile. La loi devra façonner les hommes en
fonction d'une idéologie imposée d'en haut. Comme le
dit bien Jean-Paul II: « Là où l'intérêt individuel
est supprimé par la violence, il est remplacé par un
système écrasant de contrôle bureaucratique qui
tarit les sources de l'initiative et de la
créativité. » (Jean-Paul II, Centesimus Annus,
1991).
De fait, il y a beaucoup plus d'avidité et de
cupidité dans le socialisme que dans le libéralisme.
Dans une économie socialiste, il n'y a que deux
moyens d'obtenir ce qu'on désire: le marché noir
ou la combine politique. Dans une économie de marché
libre, la façon la plus efficace pour les personnes
de poursuivre leur amour de la richesse est de
servir les autres en proposant des biens utiles et à
bon prix.
La propriété privée c'est la protection des plus
faibles
La propriété est d'abord une condition nécessaire
à ce que le philosophe Robert Nozick appelle « l'espace moral » de la personne. La nature morale de
l'être humain exige que la liberté de choix soit
protégée pour que chacun puisse exercer pleinement
son jugement et ses responsabilités. Et cet objectif
de protéger, cet espace moral de choix individuel,
est mieux servi par une société de libre marché, qui
respecte la propriété. Notre tâche principale est
d'agir de façon optimale, c'est-à-dire à réaliser
notre nature humaine, aussi complètement que
possible dans les circonstances de notre vie. Et
seule une société libre, qui protège le droit de
propriété, peut permettre d'atteindre cet objectif.
La propriété est aussi ce qui permet un comportement
« prudent » (au sens de la vertu morale) vis-à-vis
du monde naturel et social. Enfin et surtout, elle
bénéficie aux pauvres car elle leur permet
d'utiliser leurs dons et leurs compétences dans un
marché ouvert à la concurrence.
Dans le christianisme, l'homme est appelé à servir
les autres, spécialement les plus faibles. Or la
meilleure façon, la plus productive et la plus
juste, d'aider les pauvres est précisément la
liberté pour chacun d'exercer la profession ou
l'activité de son choix. Une société libre est une
société dans laquelle chacun est libre d'utiliser
les informations, même imparfaites, dont il dispose
sur son environnement pour poursuivre ses propres
fins.
Des possibilités très grandes de sortir de la
pauvreté
Certes, dans une société libre, les revenus sont
inégaux, mais les possibilités qu'ont les gens de se
sortir de la pauvreté extrême sont très grandes
parce qu'on peut gagner en servant les intérêts
d'autrui et que la richesse des uns bénéficie, à
terme, aux autres. Le libre marché est un formidable
mécanisme naturel de redistribution des richesses
car c'est un jeu à somme positive, l'échange est
gagnant-gagnant quand il est consenti.
Enfin, l'économie de marché libre est un système qui
permet de ce fait à la philanthropie de s'exercer
mieux que dans tout autre système. Chaque être
humain a une obligation morale d'assistance à
l'égard de ceux qui sont atteints par le malheur.
Mais on ne donne que ce qui est à soi. C'est le
respect du droit de propriété qui rend possible la
charité.
L'égoïsme dans la nature humaine
En conclusion, l'égoïsme n'est pas dans le
libéralisme, comme semble le croire Guillaume
Bernard, il est dans la nature humaine. Le
libéralisme explique seulement que l'intérêt
personnel, canalisé par le droit, peut servir le
bien commun de façon plus efficace et plus juste que
la contrainte de la loi.
En effet, le principe qui a été découvert
progressivement au cours de l'histoire occidentale
et qui a été mis en lumière par les penseurs
libéraux classiques, c'est que la liberté
individuelle est créatrice d'ordre, mieux que
n'importe quelle solution bureaucratique imposée
d'en haut par la coercition. Et cela est vrai, non
seulement sur le plan politique mais aussi sur le
plan économique.
L'allocation des ressources par le
libre jeu de l'offre et la demande est la réponse la
plus productive et la plus efficace aux besoins
humains. Mais c'est aussi le seul système économique
compatible avec une vision morale et religieuse de
l'homme, fondée sur le droit naturel, c'est-à-dire
sur l'idée que les gens ont, par définition, du fait
même de leur présence sur terre, des droits qu'il
est immoral et injuste pour quiconque de violer.
L'État moderne, grand prédateur
Libre à chacun bien sûr de renvoyer dos-à-dos
libéralisme et socialisme, comme le fait Guillaume
Bernard. Mais encore faudrait-il ne pas tomber dans
la vision caricaturale et fausse qu'il fait du
libéralisme. Car il est trop facile de fabriquer un
homme de paille pour mieux le rejeter ensuite comme
quelque chose de vulgaire et d'immoral.
L'État moderne, qu'il soit de droite ou de gauche,
est devenu « le grand prédateur », le grand confiscateur des libertés et des moyens financiers,
promoteur d'un moralisme sans fondement, le tout au
profit d'une mafia de rentiers de la politique. Or
seuls les libéraux ont pu, dans le passé récent,
s'opposer à cette croissance apocalyptique. Et ce ne
sont pas les chrétiens sociaux, ni les
réactionnaires, tous tentés par la forme moderne de
socialisme qu'est l'étatisme, qui ont pu s'opposer à
cette croissance.
*Texte d'opinion publié le 1er juillet 2015
dans le quotidien La Tribune.
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La panarchie, plaidoyer pour la concurrence politique
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Première
représentation écrite du mot « liberté » en Mésopotamie,
environ 2300 av. J.-C. |
Le Québécois Libre
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