La culture de l'inflation |
À l’écoute de nombreuses interventions publiques
et à la lecture d’articles sur l’inflation et la
déflation commis par d’éminents économistes, en
tant que libertarien, permettez-moi de vous
offrir mon opinion et de soulever quelques
questions à ce sujet.
Je pense que les
problèmes actuels de notre société sont la
conséquence d’un modèle fondé sur la promotion
unilatérale de ce que je nomme la « culture de
l’inflation », à savoir sa prétendue validité
scientifique et morale en tant que politique
socio-économique, monétaire et fiscale soutenue
par la classe dirigeante et relayée par le monde
intellectuel, notamment les économistes
mainstream (Krugman, Stiglitz, Piketty…). Mais
quel est l’impact de l’inflation sur la
redistribution des richesses ? Et tout d’abord,
comment la définir ? De quoi résulte-t-elle ?
Quelles sont ses conséquences sur notre vie de
tous les jours et nos comportements ? Comment en
sommes-nous arrivés à une situation aussi
problématique, voire inextricable, quant au
niveau de la dette publique ? Existe-t-il une
autre voie ?
Le 20ème siècle a vu la consécration du rôle
des banques centrales dans l’exercice du
monopole de l’émission de monnaie accordé par
l’État. Sous la domination de la pensée
économique keynésienne et le relais pris par les
néo-classiques, l’enseignement économique a dès
lors fait la part belle à l’ingénierie sociale
et la planification. Mais ceci était fortement
restreint par
l’étalon-or. Utilisé depuis plus de quatre
mille ans, l’or était un frein naturel – son
extraction étant difficile et sa rareté relative
évidente – dans l’expansion de l’intervention de
l’État, la dette publique et le dévoiement de la
monnaie. Ce moyen d’échange issu de la
coopération volontaire et de l’ordre spontané
entre les individus (lire Les origines de la
monnaie de
Carl Menger à ce sujet) fut mis de côté par
les autorités étatiques, soucieuses de ne plus
avoir le moindre frein à l’expansion de leurs
pouvoirs et de leurs plans.
L’inflation est une phénomène économique
caractérisé par une hausse générale des prix,
nous enseigne-t-on. En fait, ceci est la
conséquence. La cause en est l’expansion de la
masse monétaire. À quantité plus ou moins égale
de biens et de services et à demande de monnaie
constante, une augmentation de la quantité de
monnaie a pour résultante une hausse des prix.
Il est en fait plus correct de parler de perte
de pouvoir d’achat de la monnaie, la quantité de
biens et de services échangeables étant moindre
à montant égal. Je ne ne nie pas que, à quantité
égale de monnaie, sans manipulation de la masse
monétaire, certains prix peuvent monter. Mais
cela reflète avant tout les choix des
consommateurs et la rareté relative des biens
produits. Ceteris paribus, l’expansion
de la masse monétaire est génératrice
d’inflation à demande constante de monnaie. Le
panier de la ménagère s’en trouve donc moins
rempli. Il n’y a rien d’ésotérique là-dedans.
Cependant, il est important de noter que
l’impact sur les prix ne se fait pas de manière
égale et homogène. Les premiers receveurs de la
monnaie nouvellement créée ex nihilo
bénéficient d’un effet d’aubaine car ces
utilisateurs peuvent acheter des biens et des
services dont les prix n’intègrent pas ou peu
les informations relatives à l’expansion de la
masse monétaire. Ceci se fait au détriment des
utilisateurs suivants qui, eux, devront
supporter la hausse des prix. Ils devront même
très probablement renoncer à certains achats
devenus trop onéreux. Ce modèle est
particulièrement avantageux pour ceux qui
s’endettent et surconsomment contre ceux qui
produisent, épargnent et font preuve de
frugalité. En effet, les éternels débiteurs
voient le niveau de leur dette fondre au
fur-et-à-mesure que l’inflation s’instille dans
la société, provoquant des comportements
irresponsables dans la gestion des affaires
comme du ménage.
Et l’on retrouve cette fuite en avant dans la
gestion du budget de l’État qui, au gré des
déficits, favorisera l’accroissement de la dette
publique. Cette dernière est une dette, une
énorme ardoise que l’on reporte sur les
générations futures. Celles-ci étant
prétendument signataires d’un fantomatique
contrat social qui ne m’a jamais été produit,
cette pratique a reçu le nom douteux de
solidarité intergénérationnelle dans la
novlangue. Comment ne pas voir dans un tel
comportement irresponsable une forme ouverte de
servitude ? Ce modèle sert en fait l’État, ses
politiques, ses bureaucraties et satellites, les
banques centrales et privées, les groupes de
pression et toute une oligarchie contre les
classes moyennes et travailleuses ainsi que
contre les générations futures incapables de se
défendre.
|
« L’inflation est une
phénomène économique caractérisé par une hausse générale des
prix, nous enseigne-t-on. En fait, ceci est la conséquence.
La cause en est l’expansion de la masse monétaire. » |
Ceci est d’autant plus alarmant et illégitime
(même si tout le système repose sur une base
légale) que le maintien d’un tel système
pro-inflation nécessite la mise en place d’une
société du contrôle des libertés individuelles.
En effet, l’échange volontaire est
progressivement balayé par le recours à la force
publique pour capter la rente d’État qui nous
semble due au détriment des autres et évincer
les « concurrents » potentiels. On assiste donc
à des comportements asociaux alimentés par un
instinct grégaire et un esprit de convoitise. La
préférence temporelle va crescendo en faveur de
la consommation immédiate dans un environnement
où, tel qu’énoncé par le sophisme de
Montaigne, tout ce que qui est gagné se fait
au détriment de l’autre. Et l’autre, c’est vous
et moi. C’est la femme de ménage qui survit avec
de maigres titres-services. C’est le chômeur en
fin de droit – et à qui on interdit en fait de
travailler – qui se retrouve acculé dans des
activités rendues illégales (mais néanmoins
légitimes). C’est l’ouvrier qui se demande s’il
arrivera à boucler les fins de mois une fois que
son salaire aura subi les ravages de la
fiscalité et de l’inflation. C’est le petit
pensionné qui panique au vu de la hausse des
prix des denrées alimentaires quand le paiement
de sa pension publique devient incertain et que
son livret d’épargne lui rapporte un intérêt
proche de 0%.
Une autre caractéristique de la hausse de la
masse monétaire, à demande de monnaie constante,
c’est d’abaisser le taux d’intérêt. Et ceci a
pour objectif de permettre à l’alcoolique de la
dette d’éviter la gueule de bois des lendemains
de veille et de prolonger l’ivresse. C’est le
credo de l’appareil d’État et de son système de
financement qui opère ainsi, via l’inflation en
tant que politique fiscale, une redistribution
de la richesse en faveur des plus nantis et des
plus proches du pouvoir central. L’impasse de ce
système dont l’aboutissement est le niveau
abyssal de la dette publique, des taux
d’imposition abusifs et des engagements en
termes de dépenses sociales intenables à court
terme est en fait la résultante de ce que je
peux nommer maintenant la crise de la
culture de l’inflation. Nous sommes au
point de rupture, acculés devant des choix
difficiles. Soit nous continuons ainsi et nous
taperons le mur sous peu inéluctablement, soit
nous optons pour un nouveau paradigme : la
déflation.
La déflation est-elle un monstre comme nombre
d’économistes à la mode nous la décrivent ? Du
point de vue des bénéficiaires du système abject
que nous avons décrit ci-dessus, c’est en effet
une situation cauchemardesque. Elle va mettre un
terme à leur hégémonie et à leurs privilèges
dérivant du captage de la rente publique via la
séduction du pouvoir central et le dévoiement de
la monnaie.
De mon point de vue, elle est donc un
bienfait qui nous permettra de revoir les
fondements de notre société et d’envisager une
voie pérenne, celle du respect de l’échange
volontaire, de la coopération sociale, des
libertés individuelles et du fruit du travail de
chacun.
La déflation opère en fait une redistribution
des richesses mais dans l’autre sens. Elle
sanctionne le débiteur au bénéfice de
l’épargnant. Elle désavantage le rentier public
au profit du travailleur frugal. Elle est une
charge supérieure pour l’éternel endetté. Elle
est un frein naturel pour les comportements à
risques recourant à l’effet de levier.
Elle est surtout la résultante d’un système
de monnaie saine, c’est-à-dire basé sur un actif
librement choisi comme l’or ou l’argent. La
masse monétaire étant ainsi sous contrôle, à
production supérieure de biens et de services,
la déflation est un bienfait qui permet à tout
utilisateur de ressortir avec un panier mieux
garni et de ne pas craindre pour l’érosion de
son livret d’épargne avec le temps. L’étalon-or
est aussi un frein naturel à l’expansion de
l’État et à la perte de nos libertés
individuelles.
Mais cette voie exige énormément de courage
dans la réintroduction de la flexibilité par l'entremise de:
- la refonte générale de la fiscalité,
- la réforme complète du droit du travail
dans une logique de libre négociation entre
employeurs et salariés,
- la promotion de l’entrepreneuriat et de
l’échange volontaire dans le respect du
libre contrat,
- la fin de la monnaie-papier et
l’abolition du monopole d’émission de la
banque centrale,
- l’abolition des privilèges de castes et
rentes publiques de situation.
Nous devons donc apprendre à coopérer tout en
nous passant progressivement de l’État.
*Article publié le 17 septembre 2015
sur Contrepoints. |
|
Du même
auteur |
▪
La théorie fallacieuse de la pénibilité du travail
(no
316 – 15
novembre 2013)
▪
Pourquoi l'État n'a pas à se mêler des arts et de la
culture
(no
312 – 15
juin 2013)
▪
La Gironde au 14e siècle: un exemple
méconnu de libéralisme
(no
151
– 15 février 2005)
▪
Le pessimisme subventionné
(no
32
– 6 mars 1999)
▪
L'euro, aspiration réelle des peuples
européens?
(no
29
– 23 janvier
1999)
▪
Plus...
|
|
Première
représentation écrite du mot « liberté » en Mésopotamie,
environ 2300 av. J.-C. |
Le Québécois Libre
En faveur de la liberté individuelle, de l'économie de
marché et de la coopération volontaire depuis 1998.
|
|