Hyperlien: http://www.quebecoislibre.org/15/151215-3.html Cécile Philippe détient un doctorat ès sciences économiques de l’Université Paris-IX Dauphine et un Desup en gestion des entreprises dans les pays en développement. C’est au sein d’un think tank américain qu’elle a terminé sa thèse portant sur les théories de l’information et l’émergence d’un marché de l’information sur Internet. De retour en Europe, elle a créé en 2003 l’Institut économique Molinari, dont elle assure depuis la direction. Auteure d’un grand nombre d’articles publiés dans des journaux aussi bien francophones qu’anglophones, elle a publié en 2007 son premier livre aux Éditions JC Lattès intitulé « C’est trop tard pour la terre », puis, en 2014, Trop tard pour la France? Osons remettre l’État à sa place, aux Éditions Manitoba/Les Belles Lettres. Alors que le premier s’intéresse aux questions d’environnement et cherche à mettre fin à un certain nombre de mythes, en particulier celui qui consiste à croire que réglementation et taxation vont de pair avec amélioration de l’environnement, le second s’intéresse à la crise financière et au rôle que joue l’État dans nos vies. Début 2015, elle publie 50 matinales pour réveiller la France, aux Éditions Manitoba/Les Belles Lettres. Il s’agit d’un recueil de chroniques réalisées pour Radio classique par différents auteurs autour du thème « Idées neuves ». Pourriez-vous commencer par nous rappeler votre parcours intellectuel, universitaire et professionnel? En particulier pourriez-vous revenir sur les raisons qui vous ont successivement poussée à fonder l’Institut économique Molinari, à mettre en place l’Université d’automne en économie autrichienne et à écrire vos deux essais respectifs sur le développement durable et sur le modèle français? Après un bac B d’économie, j’ai intégré l’université Paris-Dauphine afin d’y faire ce qu’on appelait à l’époque une maîtrise de sciences de gestion. Je n’y ai pas trouvé mon bonheur. Entre le modèle IS-LM, la théorie néoclassique et la théorie de la valeur travail chez Marx, je n’arrivais pas à trouver de réponse à ma grande question: comment fonctionnent le monde et nos institutions. Du coup, j’ai multiplié les démarches entrepreneuriales en suivant le cursus création d’entreprise, en participant à un raid humanitaire en Afrique et en voyageant en Asie. C’est alors que j’ai eu l’idée de suivre, toujours à Dauphine, un Desup de gestion des entreprises dans les pays en développement. Grand bien m’en a pris. Car outre le fait d’être entourée dans le cadre de ce diplôme d’élèves de différentes nationalités – notamment africains et asiatiques, aussi intéressants que sympathiques –, j’ai eu aussi la chance cette année-là (en 1998) de découvrir l’école d’économie autrichienne. En effet, le professeur Pascal Salin enseignait alors un cours d’économie internationale et il nous mentionna des auteurs comme Friedrich A. Hayek, Ludwig von Mises, etc. Ce fut comme un déclic. Moi qui n’avais qu’une chose en tête depuis mon entrée à l’université – la quitter pour trouver un job –, je ne pouvais plus envisager de m’arrêter en si bon chemin. Il fallait que j’en sache plus maintenant que j’avais trouvé ce qui faisait sens pour moi. Du coup, j’ai enchaîné avec un DEA au Centre d’analyse économique de l’Université Aix-Marseille III. J’y ai passé une année passionnante avec des professeurs comme Gérard Bramoullé, Jacques Garello, Jean-Pierre Centi et cela m’a décidé à faire une thèse à Paris sous la direction de Pascal Salin. En toute dernière année de thèse, je me suis vu offrir une bourse privée (la Rowley Fellowship) par le Mises Institute et il n’en fallu pas plus pour que je m'envole vers les États-Unis. Je suis restée à Auburn (Alabama) environ un an et demi et cette expérience au sein d’un think tank a été très marquante pour moi. En effet, cet Institut fêtait en 2002 ses 20 ans et je restais ébahie devant le travail accompli. Ayant moi-même une fibre intellectuelle et entrepreneuriale, je me suis alors dit que l’idéal serait de conjuguer les deux en créant à mon retour en Europe un think tank qui serait dédié aux questions d’analyse des politiques publiques. C’est ce que j’ai fait en 2003: en même temps que je soutenais ma thèse, je créais l’Institut économique Molinari. Après, tout est question d’opportunité et de rencontres. Au Mises Institute, j’ai eu la chance de rencontrer Guido Hülsmann qui depuis est devenu professeur à l’Université d’Angers. Dès la création de l’IEM, j’ai par ailleurs créé un séminaire « Action humaine » qui consistait à décortiquer et analyser l’ouvrage de Ludwig von Mises. Il rassemblait des personnes comme Marian Eabrasu, Gabriel Gimenez-Roche, Nikolay Gertchev, etc., avec lesquels j’ai noué des liens amicaux et intellectuels durables. Ensemble, avec le soutien du créateur du site Internet 24hGold, tout aussi féru que nous d’économie autrichienne, nous avons pu réaliser un rêve: mettre sur pied une Université d’automne visant à initier les jeunes et les moins jeunes à ce courant de pensée économique sans doute trop méconnu et que je crois néanmoins fondamental à la compréhension du monde qui nous entoure. En panne depuis trente ans, le marché du travail français fait l’objet d’une attention particulière de votre part dans votre récent ouvrage Trop tard pour la France? De nos jours, il semble être communément admis que le chômage, d’une manière générale, doit sa raison d’être à deux phénomènes bien distincts. Le chômage dit classique résulte de la décision prise par les entreprises de limiter les embauches, au motif qu’elles jugent le coût du travail trop élevé ou les rigidités sur le marché du travail trop importantes; et ce, malgré la demande potentiellement soutenue qui leur est adressée. Coexistant avec ce premier type de chômage, le chômage dit « keynésien » provient quant à lui de débouchés anticipés insuffisants. Dans les limites imposées par les capacités de production disponibles, le volume de la production s’adapte en effet au volume de la demande qui est anticipé par les entreprises. Il n’est pas garanti que ce volume anticipé par les entreprises soit suffisant pour embaucher tous ceux qui souhaiteraient trouver du travail au taux de salaire en vigueur. À cet égard, le remède qui s’impose pour résorber le chômage (notamment en France) est de relancer la demande – via la manipulation des taux d’intérêt, la hausse des dépenses publiques ou la redistribution des revenus; et non point simplement d’assouplir les contraintes juridiques pesant sur le marché du travail. Comment résumeriez-vous votre position sur cette vision des choses mainstream? Effectivement, je consacre un chapitre entier au marché du travail français dans Trop tard pour la France? Je suis d’ailleurs convaincue que s’il est une réforme à faire en premier, c’est bien de s’attaquer à ses trop nombreuses rigidités. Il n’est pas surprenant que la France soit classée en la matière en 113ème position sur 142 pays par le Forum économique mondial. Notre marché du travail cumule tous les handicaps: un Smic élevé, une durée légale du travail stricte, un monopole de l’assurance chômage, un niveau de protection de l’emploi extrême sans oublier des charges sociales et des aides élevées. Ma position concernant la vision que vous exposez est de rappeler qu’il y a en fait une certaine compatibilité entre ce que Keynes écrivait et ce que vous appelez la vision classique. En effet, les keynésiens partent du principe qu’il y a une certaine rigidité des salaires à la baisse. Par conséquent, il faut en quelque sorte leurrer les travailleurs en leur offrant des salaires nominaux plus élevés mais qui, au final, se révèlent des salaires réels plus faibles, permettant aux entreprises de « sauver les meubles. » Sauf que ce n’est qu’une façon d’avouer que le marché du travail ne fonctionne justement pas comme un marché. Les offres et les demandes ne se rencontrent pas librement, ce qui empêche l’émergence de contrats satisfaisant les attentes des employeurs comme des demandeurs d’emploi. La liste des atteintes portées par l’actuel droit du travail à la liberté contractuelle et à la liberté d’association est extrêmement longue: « La liberté du travail est supprimée avant seize ans et après un âge variable selon les catégories mais autoritairement fixé; les clauses du contrat de travail sont définies à l’avance; le travailleur est obligé subséquemment de cotiser à un régime d’assurance vieillesse dont les termes lui sont imposés et de participer à un système de protection contre le chômage; les heures de travail sont définies par le législateur […]; le contrat individuel n’a pas force obligatoire si ses clauses diffèrent de celles du contrat type des conventions collectives, qui, de plus, peuvent être étendues par décision administrative à des entreprises qui ne sont initialement pourtant pas parties – l’existence même de ces conventions constituant en soi une atteinte à la liberté du travail puisqu’elles imposent des ententes horizontales obligatoires entre travailleurs et firmes. »(1) Si on arrivait à faire fonctionner le marché du travail normalement, on parviendrait sans doute à diminuer fortement le chômage, au point de l’amener à ce qu’on appelle son niveau naturel, comprenant le chômage dit volontaire. De plus, les remèdes préconisés par Keynes créent sans doute beaucoup plus de problèmes qu’ils n’en résolvent puisque la manipulation des taux d’intérêt est à l’origine des cycles économiques et des graves crises financières qui secouent nos sociétés. Nous y reviendrons. Il existe encore un troisième facteur auquel on impute couramment (à l’instar du prix Nobel Maurice Allais) la responsabilité du chômage: à savoir la mondialisation des échanges marchands. Le raisonnement qui sous-tend cette assertion peut se formuler comme suit: Dans le contexte de la mondialisation des échanges entre des pays caractérisés par des niveaux de salaires différents, plus le salaire minimal (déterminé par les forces du marché ou fixé par la loi) est élevé dans les pays développés, et plus les importations en provenance des pays à bas salaires sont favorisées. Ces importations sont certes compensées en valeur par des exportations. Cependant, la compétition des travailleurs dans les pays développés avec les pays à bas salaires détruit nécessairement des emplois – à moins que le patronat ne réussisse à procéder à une baisse du coût du travail. Dès lors, la mondialisation des échanges mène soit à une hausse du chômage, s’il y a rigidité des salaires, soit au nivellement vers le bas des salaires (et à une explosion des inégalités de revenu), s’il y a flexibilité des salaires. Grâce aux délocalisations et aux importations en provenance des pays à bas salaires, les consommateurs peuvent cela dit acheter des produits meilleur marché. En contrepartie de cette baisse des prix, les consommateurs doivent cependant subir la perte de leur emploi ou la baisse de leurs salaires. Ce sont tout à fait ces conséquences qu’on peut observer en France depuis trente ans. Que rétorqueriez-vous à cette analyse en vogue? Pour répondre à votre question, je crois qu’il faut d’abord bien comprendre que l’échange dans nos sociétés est à la fois indispensable et source de grande richesse. Comme je l’explique dans mon livre, les capacités de l’homme isolé sont limitées, aussi bien dans le temps que dans l’espace. Il lui est impossible de produire tout ce dont il a besoin. En effet, il lui est indispensable d’échanger avec les autres pour satisfaire ses besoins. Ce phénomène nous est devenu tellement familier et habituel que nous ne nous réjouissons plus de trouver sans difficulté de quoi manger, lire ou s’habiller. Nous en sommes même rendus à un point où nous pouvons nous permettre d’être très exigeants en la matière. De même que nous ne nous étonnons pas de pouvoir respirer, nous restons de marbre devant le miracle qui s’accomplit sous nos yeux, à savoir que des milliers d’individus œuvrent chaque jour à notre confort matériel et à notre bien-être psychique. Or, force est de constater que si nous devions aujourd’hui tenter de nous procurer par nous-mêmes ce que nous utilisons et consommons chaque jour, nous nous rendrions compte que ce serait tout simplement mission impossible. Songeons simplement à ce qu’il nous faudrait pour confectionner, par excellence, une pizza à partir de nos seules ressources. La pizza est un produit simple. Elle se compose d’une pâte (un mélange d’eau et de farine), de fromage et de tomates. Il faut aussi la faire cuire. Or, pour disposer de farine, il faut posséder une terre et y avoir fait pousser du blé. Il faut avoir au préalable sélectionné des semences, les avoir plantées et attendre qu’elles poussent pour ensuite les récolter. Le processus est identique pour les tomates. Le fromage, quant à lui, suppose d’avoir du lait et donc des vaches. Celles-ci doivent naître puis grandir pour donner le lait qui permettra alors de faire un fromage. Le four à pain nécessite aussi des matières premières et des compétences pour le confectionner au même titre que le fromage ou la pâte à pain. On l’aura compris, celui qui ne peut pas obtenir d’autres personnes ce qu’il veut consommer, devra attendre des mois avant de pouvoir déguster une pizza. Pendant ce laps de temps, il lui faudra subvenir à ses besoins autrement et surmonter toutes sortes d’obstacles. Ce miracle qui permet d’avoir envie d’une pizza et d’en dévorer une dans l’heure a une explication: la division du travail. Chacun, en se spécialisant, peut augmenter sa productivité et ainsi produire ce qui lui permettra d’acquérir ce que d’autres développent. Donc pour revenir à la mondialisation des échanges, si on reconnaît qu’ils sont seulement une extension de nos échanges locaux et proches, on ne peut que se réjouir de leur extension à une zone géographique plus large, qui plus est si cela nous donne accès à des produits moins chers et plus variés. Car cela libère du pouvoir d’achat qui permet d’acquérir d’autres biens. Mais encore faut-il que ceux-ci soient produits et donc qu’on laisse les entreprises s’adapter aux nouvelles demandes. Le fonctionnement d’une économie de marché repose intrinsèquement sur la création et la destruction simultanées d’emplois. Ce processus est indispensable pour permettre aux entreprises de s’adapter à l’évolution des préférences des consommateurs et aux changements technologiques. Ce faisant, l’économie prospère et le niveau d’emplois peut augmenter et compenser les destructions qui ont nécessairement lieu. Dans un pays comme la France qui cherche avant tout à bloquer les destructions d’emplois, ce processus d’adaptation des entreprises est fortement retardé. On maintient trop longtemps des personnes dans des emplois sans avenir si bien que lorsque l’inéluctable arrive, il leur est parfois extrêmement difficile de s’adapter aux nouvelles offres d’emplois. Vous mentionnez la baisse des salaires provoquée par la concurrence des bas salaires dans les pays émergents, par exemple. C’est vrai pour toute une catégorie d’emplois mais pas pour tous les emplois et la baisse des salaires dans les secteurs concernés ne devrait pas inéluctablement conduire à une baisse de pouvoir d’achat. En effet, si la monnaie conserve sa valeur (à savoir n’est pas inflationniste) et que par ailleurs, nombre de biens et services voient leur valeur baisser, alors les travailleurs moins payés ne s’en trouvent pas forcément moins bien. Divers problèmes viennent de ce que la monnaie (dans tous les pays du monde) est fortement manipulée et perd de sa valeur en alimentant des bulles qui font augmenter les prix comme ceux de logement, de l’énergie (au moins en Europe), etc. L’augmentation du prix de ces biens et services – cruciaux pour le bien-être – fait plus que compenser les baisses d’autres biens et services dont nous pouvons profiter par ailleurs. D’où le malaise. Incriminer la mondialisation et souhaiter le repli nationaliste et protectionniste est cependant très dangereux car cela nous conduirait au pire des mondes, à savoir un monde dans lequel nous subirions les hausses des prix, sans avoir accès à des produits bon marché et plus variés, un monde dans lequel le marché du travail continuerait de dysfonctionner et de générer du chômage, bref une société dans laquelle nous en aurions tous moins pour notre argent. Les pertes d’emplois et le baisses de salaire sont des choses inéluctables car elles sont liées aux changements technologiques, aux changements des préférences des consommateurs, etc. Vouloir les empêcher est un gaspillage d’énergie et de ressources. On peut, par contre, en limiter les effets, en adoptant des structures flexibles et en cessant de manipuler comme on le fait aujourd’hui nos monnaies. La crise de 2007 a été pour de nombreux commentateurs l’occasion de clamer que l’actualité donnait raison à Keynes et que celui-ci faisait son retour en grandes pompes sur le devant de la scène. Le modèle keynésien soutient que les crises de l’économie de marché trouvent pour origine l’effondrement de l’investissement et, en amont, l’intensité anormale du désir de liquidité (par motif de précaution dans un contexte d’incertitude radicale). L’investissement est un compartiment de la demande globale anticipée par les entreprises, le volume de la demande anticipée déterminant le volume de la production et donc le volume de l’emploi. Les anticipations d’investissement et de consommation par les entreprises déterminent donc le niveau de la production et le niveau de l’emploi. La consommation est une fonction stable et croissante du revenu des agents. L’incitation à investir dépend de la différence positive entre l’efficacité marginale du capital et le taux d’intérêt en vigueur. La fonction de l’intérêt offert aux épargnants est de rémunérer leur placement, c'est-à-dire leur renonciation à la liquidité (et non point leur épargne, c'est-à-dire leur renonciation à la consommation immédiate); en sorte que tout accroissement de la préférence pour la liquidité implique une hausse du taux d’intérêt pour une quantité donnée de monnaie en circulation. Lorsque le désir de liquidité est anormalement élevé, il tend à faire monter si haut le taux d’intérêt que cela provoque la baisse foudroyante des projets d’investissement et donc la chute de la demande anticipée. Via l’effet dit du multiplicateur keynésien, il s’ensuit l’effondrement de la production ainsi que de l’emploi, qui engendre à son tour la chute de la consommation et donc de la demande anticipée, et donc de la production, et ainsi de suite. Une situation de sous-emploi durable s’instaure: elle résulte des mécanismes spontanés du marché et ces mêmes mécanismes sont impuissants à sortir l’économie de cette situation. Quelles seraient selon vous les forces et les lacunes du raisonnement keynésien sur la monnaie, l’investissement et l’effet multiplicateur? Vous avez raison de mentionner la résurgence des idées keynésiennes lors de la crise de 2008 car, sans avoir jamais disparu, elles sont revenues sur le devant de la scène au cours des dernières années sous des formes certes un peu différentes de ce que Keynes aurait pu en dire lui-même mais en en gardant l’esprit. Reste qu’il est effectivement intéressant de revenir sur les idées de Keynes lui-même qu’il exprime principalement dans son ouvrage Théorie générale de l’emploi, de l’intérêt et de la monnaie où les concepts de monnaie, d’investissement et de multiplicateur jouent un rôle essentiel. Ce qu’il faut comprendre à propos de Keynes, c’est qu’il était convaincu que l’économie de marché est en état de dépression chronique ou permanent. Pourquoi? Parce qu’il y a trop d’épargne et pas assez d’investissement et de consommation. C’est le fameux paradoxe de l’épargne de Keynes: si le revenu dépasse largement la consommation – à savoir qu’il y a « trop d’épargne » –, alors l’investissement ne sera pas suffisant pour absorber toute cette épargne. On observera alors une baisse de la demande, une hausse du chômage et in fine une baisse des revenus. Or, dans une économie de marché, il serait, selon lui, très difficile de maintenir le niveau d’investissement adéquat car le capital est trop abondant et provoque une pression à la baisse du profit rendant les nouveaux investissements peu opportuns. “If there is an increased investment in any given type of capital during any period of time, the marginal efficiency of that type of capital will diminish as the investment in it is increased (…) the prospective yield will fall as the supply of that type of capital is increased, and partly because, as a rule, pressure on the facilities for producing that type of capital will cause its supply price to increase (…) ” Pour sortir l’économie de son marasme, il faut donc augmenter la consommation. Or, on ne peut pas compter sur les consommateurs qui ont tendance à trop épargner, d’où le rôle donné à la dépense publique pour atteindre le plein emploi. Les idées de Keynes ont été critiquées par un grand nombre d’auteurs, à commencer par Friedrich A. Hayek dans son livre Prix et production. D’autres se sont également attelés à cette tache comme Henry Hazlitt, Georges Reisman, James Ahiakpor, etc. On trouve donc au cœur de la théorie keynésienne les notions d’investissement et de consommation ainsi que d’épargne qu’il me semble absolument crucial de discuter. John Maynard Keynes fait le raisonnement que si la consommation baisse, alors les dépenses dans l’économie baisseront elles aussi, entraînant la spirale dépressionniste qu’il décrit. Cependant, l’un n’entraîne pas forcément l’autre puisque la consommation ne décrit qu’une faible partie des dépenses réalisées au sein d’une économie. En effet, la majeure partie des dépenses faites dans une économie ne concerne pas les biens et services finaux (tels que mesurée par des agrégats comme le PIB) mais plutôt les biens et services intermédiaires. Chaque euro dépensé pour ces biens et services génère un revenu pour une entreprise. Quand on réalise cela, on prend conscience que dans une économie, les dépenses pour des biens de consommations en tant que telles ne représentent en proportion qu’une faible partie des dépenses totales. Quand on se focalise – comme Keynes – sur ces dépenses, on peut in fine avoir une image tronquée de ce qui se passe au sein de l’économie. De façon plus générale, on peut sans doute reprocher à Keynes de se focaliser sur des valeurs nettes du revenu, de l’investissement, de l’épargne plutôt que sur des valeurs brutes. Si bien sûr le revenu net a son importance, il n’empêche que la notion de revenu brut est cruciale si on veut comprendre la dynamique de la production et comprendre ce qui se passe lors d’une dépression. En effet, Keynes examine un revenu net, c’est-à-dire un revenu dont il déduit certains coûts dont notamment les coûts d’amortissement (dépréciation). Ces coûts correspondent cependant à des achats à des entreprises pour justement renouveler le capital et permettre la poursuite au moins à l’identique des opérations. C’est à partir de ce revenu net qu’il déduit le montant qui pourra être consacré à l’épargne et à l’investissement. Ce montant se focalise sur l’épargne et l’investissement qui vont permettre d’ajouter du capital à celui déjà existant mais pas le capital qui permet de le remplacer. Or, cette partie est certainement beaucoup plus importante que l’autre et essentielle à la poursuite des activités au sein d’une économie. Cette vison des choses conduit à ignorer la majeure partie des revenus, de l’épargne et des investissements qui sont réalisés et donc à sous-estimer leur valeur. Keynes fait aussi l’erreur de confondre épargne et thésaurisation. Cette dernière est certainement la partie la plus insignifiante de l’épargne. Elle n’est qu’une façon parmi d’autre d’épargner. L’épargne n’est rien d’autre qu’une façon d’utiliser ses revenus à autre chose que consommer. Elle peut passer par l’achat d’actions, d’obligations, de comptes d’épargne, d’un logement, etc. La thésaurisation est une façon d’accroître son épargne sous forme monétaire. Cette recomposition suppose souvent la vente d’actifs qui a un effet dépréciatif sur leur valeur. Elle est souvent le fait d’individus qui cherchent à restaurer leur liquidité parce que justement ils étaient arrivés à des situations d’illiquidité, typiques du haut du cycle économique. Quand les acteurs réalisent que les choses commencent à tanguer, ils recherchent la liquidité. Ce n’est pas la cause de la crise, mais seulement la conséquence et, à vrai dire, cela va avoir un effet bénéfique pour l’économie puisque les acteurs en question présentent alors moins de risque de se retrouver en situation d’illiquidité et de faillite. De plus, cette recherche de la liquidité va diminuer les dépenses dans l’économie. Cela va diminuer la valeur des actifs dans l’économie (prix des maisons et des biens de capital) et donc augmenter le rendement potentiel des biens de capital. Cela crée l’incitation nécessaire à investir de nouveau et crée les conditions du retour à la croissance. Il n’est pas possible de revenir sur toutes les erreurs commises par l’analyse de Keynes du fonctionnement de nos économies. On aurait aussi pu parler de sa ferme conviction que la baisse des salaires ne va pas permettre un retour au plein emploi (les nouveaux keynésiens parlent plutôt de rigidité des salaires à la baisse). Reste que la critique principale qu’on peut faire à l’auteur est de passer à côté d’une grande partie des variables qu’il cherche à expliquer et finalement de proposer des solutions qui sont la cause des problèmes. Vous prenez explicitement parti pour la théorie dite autrichienne du cycle des affaires dans votre dernier ouvrage. Essentiellement élaborée par Mises et Hayek, sous sa forme primitive, cette analyse voit en l’excès de l’offre de monnaie la cause ultime des phénomènes de boom et de récession. La nationalisation de la monnaie est présentée comme la source de ce déséquilibre entre offre et demande monétaires. Pourriez-vous nous rappeler les grandes lignes du raisonnement qui sous-tend cette affirmation? En quoi la crise des subprimes constitue-t-elle l’illustration parfaite de la théorie autrichienne du cycle? Effectivement, à l’inverse de Keynes, les économistes de l’école d’économie autrichienne voient dans les manipulations monétaires la cause des cycles économiques. Loin d’être inhérent à nos systèmes dits capitalistes, ils sont la conséquence d’un trop grand laxisme dans la création de monnaie. Selon eux, un excès de monnaie – créé en multipliant les crédits offerts – va financer des projets d’investissement qui ne pourront pas tous être terminés, faute de ressources réelles. Au fur et à mesure que les acteurs vont s’en rendre compte, ils vont dans un premier temps chercher par tous les moyens des ressources pour finir leurs projets. Faute de les trouver, ils devront mettre la clé sous la porte. Ils se verront donc dans l’incapacité de rembourser les emprunts qui leur ont permis de se lancer dans ces aventures, menaçant ainsi la solvabilité des banques qui leur ont fait ces prêts. La faillite d’un entrepreneur n’est pas un drame majeur pour la collectivité dans son ensemble. Elle peut être gérée assez facilement, en accompagnant l’entrepreneur concerné, ses salariés et ses créanciers. En revanche, le problème est dû au fait qu’il arrive qu’un très grand nombre d’entrepreneurs fassent faillite au même moment. Il n’est plus question de la faillite d’un seul entrepreneur, mais d’un grand nombre d’entre eux qui font ensemble des malinvestissements. L’ampleur des erreurs ainsi commises rend impossible un atterrissage en douceur. Le problème vient de ce que la création monétaire, qui s’exprime à travers une politique généreuse de crédit, suscite de véritable « cycles d’erreurs ». Elle trompe de nombreux acteurs, en leur permettant de se lancer dans des projets qui se révéleront impossibles à terminer et qui seront donc générateurs de pertes. Car ces nouveaux crédits émis de façon excessive trouveront acquéreur à des taux d’intérêt artificiellement bas. Or, les taux d’intérêt sont une référence pour évaluer la profitabilité d’un projet. Lorsqu’on les manipule, on brouille la vision de l’entrepreneur et sa capacité à anticiper correctement ses profits et ses pertes potentiels. Le calcul économique, dont nous avons vu qu’il était nécessaire à un développement rationnel et durable, s’en trouve faussé. Sur un marché libre, les taux d’intérêt résultent de la préférence temporelle des individus pour le présent. Vous comme moi préférons bénéficier immédiatement des services d’un bien plutôt que de devoir en profiter plus tard. Il est ainsi préférable d’avoir 100 euros aujourd’hui plutôt que demain. Pour se séparer de l’usage de ces 100 euros aujourd’hui, il faut espérer en avoir non pas 100 demain mais, par exemple, 105. Dans un tel cas, le taux d’intérêt est de 5%. Ce taux reflète la préférence pour le présent. Plus ce taux est élevé, plus la préférence pour le présent est forte, et plus il est faible, plus la préférence pour le présent est réduite. Les taux d’intérêt sont donc normalement des prix supposés refléter la quantité d’épargne que les individus sont prêts à mettre à la disposition d’investisseurs, leur permettant ainsi de mener à bien leurs projets. Quand on manipule à la baisse ces taux, on laisse penser qu’il existe un stock d’épargne plus important et surtout que la volonté de consommer est moindre que ce qu’elle n’est en réalité. Ce point est fondamental pour comprendre que tous les projets lancés sur la base de taux d’intérêt faussés ne pourront pas tous être menés à bien. En effet, la pression à la baisse des taux d’intérêt va inciter des entrepreneurs à se lancer dans des projets de durée de plus en plus longue, puisque les taux en vigueur indiquent – au moins sur le papier – qu’il est maintenant rentable de les lancer. Or, des projets de plus longue durée, c’est-à-dire plus capitalistiques, nécessitent une immobilisation plus longue de nombreuses ressources, dont il va falloir s’assurer la disponibilité pendant tout le processus de production. Or, c’est justement là que les choses s’enveniment. En effet, puisque la préférence pour le présent des individus n’a pas changé, aucune ressource réelle n’a été libérée des processus de production visant la consommation immédiate où la demande reste inchangée. Par conséquent, pour obtenir les ressources en travail, matières premières, etc., indispensables à la réalisation de ces projets plus capitalistiques, il va devenir nécessaire d’enchérir sur le prix des biens en question, ce qui alimente des bulles sur les marchés concernés. Ce faisant, la marge de profitabilité des projets va diminuer par rapport aux projets qui satisfont plus rapidement les besoins des consommateurs. Ce renchérissement du prix des matières premières va aussi susciter des besoins de liquidités supplémentaires auprès des banques. Si celles-ci sentent leur solvabilité menacée, elles peuvent décider de ne plus octroyer de nouveaux crédits provoquant ainsi la faillite des entrepreneurs en question. C’est d’autant plus probable que le renchérissement des prix peut être à l’origine de tensions à la hausse du niveau général des prix, incitant les banques centrales à remonter leurs taux directeurs rendant le refinancement des banques commerciales plus difficile. C’est alors que la bulle éclate avec fracas et entraîne l’arrêt de nombre de projets, la faillite en cascade d’entreprises et l’augmentation du taux de chômage. Ces phénomènes sont la preuve que de nombreux malinvestissements ont été produits. Ils montrent aussi que des ajustements au sein de la structure de production sont nécessaires. La spécificité de l’école d’économie autrichienne est ainsi de montrer les effets de la création monétaire sur la structure de production, à savoir qu’elle est augmentée de façon artificielle et insoutenable et doit être diminuée pour se réadapter aux préférences des consommateurs. Enfin, la crise des subprimes me semble être le parfait exemple du cycle économique et j’y consacre d’ailleurs un chapitre dans mon dernier livre. Plus encore, on ne peut vraiment pas accuser cette crise d’être le symbole d’un capitalisme débridé quand on analyse les faits d’un peu plus près. Car que constate-t-on à ce sujet? Qu’elle est le pur produit de l’interventionnisme, et ce:
Dans un tel contexte, ceux qui ont accusé les fameuses déréglementations
bancaires – qui ont effectivement permis aux quelque 9 000 banques
américaines de se développer sur l’ensemble du territoire plutôt que de
rester confiner à des activités dans leur État de création – ne voient
que la toute petite partie émergée de l’iceberg. |