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Parution de la première biographie
consacrée à Jacques Rueff | Version imprimée |
par
Gérard Minart* |
Le Québécois Libre, 15 janvier
2016, no 338
Hyperlien:
http://www.quebecoislibre.org/16/160115-4.html
Parmi les personnalités qui ont laissé une empreinte
profonde dans la politique économique du XXe siècle,
Jacques
Rueff (1896-1978) occupe une place singulière à la fois par
l’originalité de ses analyses et par la pertinence de ses propositions.
Totalement indépendant des modes intellectuelles, il n’a pas toujours eu
la faveur des médias. Ses recommandations, constamment marquées par la
rigueur intellectuelle, ont parfois été traitées avec prudence par les
responsables politiques soucieux de leur popularité électorale à court
terme. En revanche, pour ceux qui ont su prendre en compte ses
propositions, un succès durable récompensa leur courage. Ce fut le cas
du général de Gaulle en 1958.
Si Jacques Rueff a rédigé son autobiographie qui porte comme titre:
De l’aube au crépuscule ‒ elle lui avait été demandée comme
introduction à ses Œuvres complètes ‒, cela n’interdit nullement
qu’on lui consacre aujourd’hui une biographie au sens classique du terme. C’est ce que vient de
faire Gérard Minart, ancien rédacteur en chef du journal français La
Voix du Nord, déjà auteur de plusieurs ouvrages sur des économistes
libéraux, qui publie, aux éditions Odile Jacob (Janvier 2016), sous le
titre:
Jacques Rueff, un libéral français, cette première biographie dont
l’ambition est de revisiter la vie et l’œuvre de cet
ingénieur-économiste qui a fortement marqué son temps.
Les années ont passé. Les enfants qui ont vu le jour dans la dernière
période de la vie de Rueff ont maintenant près de quarante ans. Après
deux générations, le moment est venu de dresser un constat et de tenter
un bilan.
D’autant que Jacques Rueff est toujours d’actualité.
L’homme de pensée et l’homme d’action ont résisté à l’usure du temps.
Loin d’avoir vieillies, ses positions sont toujours en forte résonance
avec les problèmes d’aujourd’hui, comme le rappelle fort opportunément
Wolfgang Schäuble, ministre allemand des Finances, dans la préface qu’il
a bien voulu rédiger pour cette biographie.
Jacques Rueff a participé à plusieurs redressements français: en 1926
au cabinet de Raymond Poincaré, en 1938 aux côtés de Paul Reynaud, mais
surtout en 1958 avec le général de Gaulle comme rédacteur d’un plan
d’assainissement financier et de modernisation économique qui allait
connaître une réussite immédiate et spectaculaire. Ce plan Rueff
rétablit l’équilibre du budget, revient à la liberté des prix, dompte
l’inflation, encourage l’épargne, favorise les investissements, promeut
la compétitivité, permet à la France d’honorer sa signature pour son
entrée à l’heure dite dans l’Europe du Marché commun, ouvre les fenêtres
au vent vivifiant de la concurrence internationale, dote la Ve
République naissante d’une monnaie renforcée, le Nouveau Franc, et solde
les comptes désastreux de la fin de la IVe République.
La France change de cap. Elle quitte les eaux du protectionnisme et
affronte le grand large, celui d’une première mondialisation. À
l’étranger, on parlera de « miracle français ».
Dans ses Mémoires d’espoir, le général de Gaulle écrira que
c’était là une révolution et rendra hommage à Rueff en ces termes:
« À ce théoricien consommé, à ce praticien éprouvé, rien n’échappe
de ce qui concerne les finances, l’économie et la monnaie.
Doctrinaire de leurs rapports, poète de leurs vicissitudes, il les
veut libres. Mais, sachant de quelles emprises abusives elles se
trouvent constamment menacées, il entend qu’elles soient protégées. »
Rueff aura donc été l’économiste qui aura inspiré la politique
économique du général de Gaulle. En interne, avec le plan de 1958 et le
rapport qu’il rédigera en 1960 avec Louis Armand sur la suppression des
obstacles à l’expansion économique, mais aussi à l’extérieur en
contestant l’hégémonie du dollar dans le fonctionnement du système
monétaire international.
Pour Rueff, un redressement économique n’était pas une fin en soi mais
devait constituer une plate-forme de stabilité à partir de laquelle un
pays pouvait se réformer, moderniser son appareil productif, fluidifier
sa politique de crédit, innover, s’adapter au monde extérieur et mettre
en œuvre sur des bases ainsi assainies une véritable et surtout durable
politique sociale. C’est en cela que résidait pour Rueff l’Ordre
social, titre de son livre principal. Grande leçon toujours
d’actualité!
Les idées principales qui ont soutenu l’action de Rueff durant toute son
existence, et qui constituent les fondements doctrinaux de sa pensée,
peuvent se résumer en quelques points:
- Importance du droit de propriété dans l’histoire de l’humanité
comme moteur de l’expansion économique. C’est l’institution
juridique du droit de propriété qui a libéré l’initiative
individuelle et a permis le développement des échanges, des marchés,
de la monnaie.
- Nécessité de la liberté des prix. Des prix libres, sur des
marchés libres, dans des sociétés libres voilà, selon lui, la
condition fondamentale de l’équilibre économique et l’assurance que
les facteurs de production s’adapteront en permanence, et avec
efficacité et souplesse, aux vœux et aux désirs des consommateurs.
Pour Rueff, le mécanisme des prix est l’essence du régime libéral.
- Possibilité, pour l’État,
d’intervenir dans la vie économique, entre autres pour des raisons
sociales, mais à une condition impérative: que cette intervention
soit compatible avec le mécanisme des prix. Sur ce point,
Rueff a profondément rénové la doctrine économique libérale,
réformant le vieux libéralisme manchestérien du « laissez
faire-laissez passer », qui refusait a priori toute intervention de
l’État, pour lui substituer un libéralisme à la française qu’il a
appelé « le marché institutionnel », démarche qui inscrit la
politique sociale dans un respect scrupuleux des lois de l’équilibre
économique. Un marché élevé au rang d’institution, donc soutenu et
fortifié par des règles juridiques de bon fonctionnement. Ces règles
ayant une double finalité: d’une part assurer le libre jeu du
mécanisme des prix, d’autre part protéger un tel marché de ces
« immondices » que sont les règlements abusifs, les bureaucraties
étouffantes, les positions de monopole, les infractions à la
concurrence. Du coup, il importe de sortir l’État d’une position
d’omnipotence menaçante pour les libertés afin de le ramener dans sa
sphère propre qui est celle de partenaire actif de la société civile
pour la protection juridique des libertés et du droit de propriété.
L’impératif catégorique pour un tel État replacé à sa vraie place
dans une société développée sera de gouverner peu car c’est à cette
condition qu’il sera efficace. Ce en quoi Rueff s’est vivement
opposé à Keynes et à son interventionnisme étatique. Bref, Rueff
reconnaît un rôle à l’État, mais veut lui passer la bride.
- Double impératif, dans la
politique gouvernementale, de l’équilibre budgétaire et de la lutte
contre les déficits. Rueff a parfaitement identifié, nommé et
dénoncé les principaux ennemis d’une économie saine, à savoir:
l’inflation de son époque source de graves dysfonctionnements, les
déficits qualifiés par lui de « gangrène du corps social » et les
pratiques malthusiennes et anticoncurrentielles génératrices de
rentes inacceptables. À plusieurs reprises, il avait souligné ses
convergences avec la politique mise en place en Allemagne après la
guerre par Ludwig Erhard. Il avait d’ailleurs préfacé la traduction
française du livre de Ludwig Erhard La prospérité pour tous,
ne manquant pas de souligner que ce dernier avait voulu inscrire au
rang « des droits fondamentaux du citoyen » la stabilité monétaire.
De même, Rueff souscrivait à la lutte de Ludwig Erhard contre les
cartels. Si bien que l’on peut écrire que le libéralisme rénové de
Rueff est très proche de l’ordolibéralisme allemand. Quand il sera
pendant dix ans, de 1952 à 1962, juge français à la Cour de justice
des institutions européennes, Jacques Rueff sera un acteur vigilant
et écouté lors de l’élaboration d’une législation communautaire
visant précisément à favoriser la concurrence. Car Rueff peut être
classé parmi les personnalités qui ont participé activement à la
construction européenne. Il fut même un européen avant l’heure,
entendons par là bien longtemps avant la mise en place de l’Europe
des Six. En effet, en 1929, alors qu’il siégeait à la section
financière de la Société des Nations, sollicité par Alexis Léger, à
l’époque directeur de cabinet d’Aristide Briand, il avait été
l’auteur d’un projet de Pacte économique qui visait à
développer en Europe un régime plus libre de circulation des
marchandises, des hommes et des capitaux. Pour lui, ce rapprochement
économique des peuples européens devait être l’étape nécessaire et
la condition première à une future coopération politique.
- Enfin, ouverture sur le monde
par l’abaissement des frontières douanières car le repli sur soi qui
est la conséquence du protectionnisme est contraire au développement
économique et stérilise l’esprit d’innovation.
Réformateur, visionnaire, acteur:
tels sont les aspects principaux de la personnalité de Jacques Rueff que
cette biographie se propose de souligner, d’autant que nombre de ses
positions sont toujours en adéquation avec les questions actuelles, que
ces questions soient nationales comme le
problème des dettes publiques et des déficits budgétaires, ou
européennes comme les relations avec l’Allemagne pour la construction
d’une zone monétaire optimale, ou enfin mondiales comme la réforme
toujours à faire du Système monétaire international.
* * *
TABLE DES MATIÈRES
PRÉFACE de Wolfgang Schäuble, ministre allemand des Finances
INTRODUCTION
PROLOGUE
Première partie: LES FONDEMENTS D’UNE PENSÉE
01 - Fils de médecin
02 - Dans la guerre
03 - Sous l’influence de Walras
04 - Une visite à Bergson
05 - Le mécanisme des prix
06 - Un économiste mathématicien
Deuxième partie: NAISSANCE D’UN
LIBÉRAL
07 - Le salut financier
08 - Au cabinet de Poincaré
09 - De l’astrophysique à la
monnaie
10 - Européen avant l’heure
11 - En
poste à Londres
12 - Premiers affrontements avec
Keynes
13 - L’anti-Keynes
14 - Au chevet d’une économie à
l’agonie
15 - Enfin le sursaut!
16 - Les conditions du
redressement
Troisième partie: ORDRE SOCIAL
ET LIBÉRALISME
17 - X-Crise: le libéralisme en
procès
18 - Le libéralisme en
reconstruction
19 - Le rôle de l’État
20 - L’Ordre social
21 - Le droit de propriété
22 - La théorie des vrais et des
faux droits
23 - Le déficit, gangrène du corps
social
24 - Monnaie et ordre financier
25 - Profil du gouvernement libéral
26 - Néo-libéralisme et
ordolibéralisme
Quatrième partie: UN LIBÉRAL
DANS L’ÉTAT
27 -
Dans Berlin en ruines
28 - Concilier l’économie et le
social
29 - De Gaulle-Rueff: portraits
croisés
30 - Les sources du mal français
31 - Un plan d’assainissement total
32 - Un océan de critiques… un
déluge de bonnes nouvelles
33 - Un immense chantier
34 - Les errements de la politique
du crédit
35 - Les secrets d’une réussite
Cinquième partie: POUR L’ORDRE
MONÉTAIRE INTERNATIONAL
36 - Le déficit sans pleurs
37 - Rueff-Triffin: confrontation
d’experts
38 - Le visiteur du soir
39 - À l’assaut de la forteresse
dollar
40 - Onze ans dans l’arène
41 - Du néant habillé en monnaie
42 - « Ils m’appelaient Cassandre »
43 - La fin de l’ère keynésienne
44 - Les autres Rueff
CONCLUSION: Influence et actualité de Jacques Rueff
Notes
Bibliographie
À propos de l’auteur
Ancien élève de l’École supérieure de journalisme de Lille, Gérard
Minart a été rédacteur en chef et vice-président du directoire du
quotidien lillois La Voix du Nord. Il se consacre
aujourd’hui à la rédaction de biographies de personnages historiques qui
se sont illustrés dans la défense et la promotion des libertés. Ouvrages
publiés: Pierre Daunou, l’anti-Robespierre, (Toulouse, Privat,
2001); Les opposants à Napoléon, (Toulouse, Privat, 2003);
Frédéric Bastiat, le croisé du libre-échange, (Paris, L’Harmattan,
2004); Clemenceau journaliste, (Paris, L’Harmattan, 2005);
Jean-Baptiste Say, Maître et pédagogue de l’École française
d’économie politique libérale, (Paris, Ed. de l’Institut
Charles-Coquelin, 2005); Actualité de Jacques RUEFF, le plan de
redressement de 1958, une réussite du libéralisme appliqué
(Paris, Ed. de l’Institut Charles Coquelin, 2007); Armand CARREL,
l’homme d’honneur de la liberté de la presse, (Paris,
L’Harmattan, 2011); Gustave de MOLINARI, pour un gouvernement
à bon marché dans un milieu libre (Paris, Ed. de l’Institut Charles
Coquelin, 2012); Entrepreneur et esprit d’entreprise,
l’avant-gardisme de Jean-Baptiste Say (Paris, l’Harmattan, 2013).
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* Gérard Minart est auteur et se consacre à l'écriture de biographies de
personnages qui ont incarné la défense et la promotion des libertés. |