La gauche ne respecte pas les assistés sociaux |
Le 5 février dernier, Louis T a diffusé
une capsule
à l'émission Bazzo.tv dans laquelle il critique sarcastiquement
les réformes à l’aide sociale.
Il exprime assez bien l’opinion de « la gauche » à ce sujet: pour la
« droite » conservatrice, les assistés sociaux se « la coulent douce » sur
le dos des travailleurs. Or, explique-t-il, le montant de 8400 $ par an
qu’ils reçoivent est inférieur de 9000 $ à ce qui est nécessaire pour
payer leurs besoins de base, et 14 000 $ de moins que ce que reçoit un
travailleur payé au salaire minimum. Seulement
3% des assistés sociaux fraudent.
Bref, ils n’ont pas choisi cette situation; ils en sont prisonniers. Ils
méritent notre aide. Le ton de Louis T montre qu’il méprise l’opinion
contraire, ressentie comme irrespectueuse.
Cette montée de lait est typique de ceux qui analysent les problèmes
sociaux en noir et blanc. Il y a les « bons » libres de préjugés: la
gauche. Et il y a les « méchants » qui défendent des idées stupides pour
justifier leur petitesse d’esprit: la droite. Louis T, preux chevalier
des temps modernes, utilise sa tribune pour remettre ces derniers à leur
place à coup d’arguments et de statistiques. Son public sympathise,
croyant faire preuve de bonne conscience. La réalité est plus nuancée…
L’assistance sociale peut-elle être volontaire?
La gauche partage un dogme: l’adhésion à l’assistance sociale n’est
quasiment jamais volontaire. C’est une situation si difficile que
personne ne la choisit.
Les failles dans ce raisonnement? L’État détecte 3% de fraudes à l’aide
sociale, mais ce phénomène est plus étendu, car peu se font prendre.
Prenons le raisonnement de Louis T à l’envers. Si cette aide couvre si
peu les besoins de base, comment se fait-il que des gens y demeurent
pendant des années sans mourir? Mystère… Eh bien, c’est parce qu’ils ont
d’autres sources de revenu: leurs proches, une job au noir, la quête.
Sinon, ils économisent dans les banques alimentaires, les friperies et
les magasins qui revendent des dons. Ils ont un HLM ou habite dans un
logement subventionné. Ils partagent en colocation un petit espace. Ils
se « débrouillent ». La preuve? La grande majorité ne dorment pas dehors
et mangent assez pour vivre. Sur près de
170 000 assistés sociaux
à Montréal,
seulement 3000
sont itinérants.
Non, ils « ne se la coulent pas douce ». Peu de gens veulent se retrouver
là. Je suis d’accord avec Louis T là-dessus. Cependant, il y en a qui
calculent leurs options et qui trouvent cette vie moins pire que de
travailler 40 heures par semaine à un petit salaire. Pour eux,
l’oisiveté vaut le 14 000 $ de moins.
Des choix qui semblent impossibles pour une personne « normale » sont
rationnels pour des marginaux. Tous n’ont pas les mêmes standards. Des
hommes préfèrent dépenser la totalité de leur chèque d’aide sociale en
drogues pendant 2 jours et coucher dehors plutôt que de payer leur
loyer. Certains se contentent d’avoir un toit, et de manger et fumer en
écoutant la télé. Vivre conformément à un idéal demande des efforts.
Face aux épreuves, il y a des gens qui abandonnent et qui apprennent à
tolérer la misère. Les statistiques sur la pauvreté mesurent mal cela.
Si vous pensez que ce qui précède correspond à des préjugés, sachez que
c’est mon drame familial auquel je réfère. Mon père a abandonné ainsi sa
volonté de vivre une vie heureuse, et je côtoie régulièrement au travail
des hommes comme lui. Mon vécu ne prouve rien, mais je vous le confie
pour éviter les accusations personnelles, tellement faciles chez mes
opposants.
Le respect
Cela dit, comment respecter ceux qui se retrouvent dans cette situation?
Que signifie « respecter quelqu’un »? Pour la gauche, c’est veiller au
bien-être de ceux qui ne peuvent le faire eux-mêmes en payant des
impôts, en opinant du bon bord, en manifestant et en votant. Pour un
libéral classique, c’est traiter les autres comme des êtres capables de
faire des choix, d’en assumer les conséquences, puis d’en tirer les
leçons. Évaluer qu’un assisté apte au travail ne l’est pas, et mérite
d’être logé et nourri à vie, est donc méprisant. C’est le traiter comme
moindre que ce qu’il est.
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«
La gauche partage un dogme: l’adhésion à l’assistance sociale n’est
quasiment jamais volontaire. C’est une situation si difficile que
personne ne la choisit. » |
Si le choix de mon père me mettait en colère, c’est parce que je le
croyais meilleur. C’était ma manière de le respecter, même s’il ne le
faisait pas lui-même.
Oui, il y a des victimes de malchance qui ne peuvent pas travailler. Les
dédommager est moralement convainquant. Peu de gens en doutent. Le
problème, c’est lorsqu’on les confond avec des personnes responsables
dont la volonté vacille.
Si je refuse de donner indéfiniment 600 $ par mois à quelqu’un qui est
apte au travail sans contrepartie, c’est parce qu’il vaut mieux que ça.
« La meilleure façon de tuer un homme, c’est de le payer pour être
chômeur »,
chantait Félix Leclerc.
Cette conception du respect est facile à comprendre sous l’angle
familial. Dire « non » à un enfant de 25 ans qui demande de l’argent n’est
pas « cruel » ou « égoïste », mais responsable. C’est l’exposer à l’âge
adulte en le croyant capable de faire face aux défis que cela implique.
Qu’est-ce que je crois? Que sans l’aide sociale, un grand nombre de gens
commenceraient à fonctionner en société. Je le pense, car j’ai foi en
eux.
Qu’est-ce que la gauche pense, elle? Elle regarde tous les
assistés sociaux comme inaptes, blâmant le système de ne pas leur faire
une place. Cela n’est pas respectueux. C’est méprisant. La pire façon
d’aider un alcoolique, c’est lui donner une bière en lui disant que
c’est dans sa nature. Eh bien, une bonne façon de nuire à un dépressif,
c’est de subventionner son inactivité en pleurant sur son destin.
Les sentiments moraux de la droite
La « gauche » réduit les sentiments de leurs opposants au mépris ou à
l’indifférence. La « droite » regrouperait ainsi un ensemble d’opinions
moralement inférieures.
Cette attitude est trompeuse. Ce que certains ressentent à la vue d’un
assisté apparemment apte au travail est davantage de la colère que du
mépris. Selon eux, vivre du travail d’un autre par faiblesse de volonté
est condamnable. La nuance est importante, car
cette colère est un sentiment moral.
Ceux qui la ressentent le font parce qu’ils ont des standards de respect
et non parce qu’ils sont égoïstes ou haineux. Ils ne veulent pas abuser
ainsi d’autrui, et se désolent de ceux qui le font.
Bien sûr qu’il y en a pour mépriser ouvertement les assistés sociaux
sous le coup de cette colère. Il est cependant possible de surmonter
cette réaction sans suivre la gauche. Il faut voir les limites posées à
l’assistance comme un moyen de reconnaître la dignité des personnes
aptes qui faiblissent devant les épreuves. C’est leur dire « lève-toi et
marche » plutôt que de leur tendre une béquille.
L’État corrupteur
Oui, une société (et non un État) doit aider ceux qui passent par des
moments difficiles et veiller au bien-être des accidentés graves. En
fait, ce standard est assez répandu pour se dispenser du pouvoir
politique dans un contexte de prospérité. Les familles, les proches et
les citoyens sont disposés à le faire s’ils sont exposés librement à
cette responsabilité. Ce que peu de gens veulent faire, c’est
subventionner avec leur travail sans discernement le chômage de
n’importe qui.
Ce qui motive la gauche, c’est la méfiance en l’individualité des êtres
humains. Seul avec notre conscience, nous laisserions mourir des gens de
faim. En groupe muni du pouvoir de contraindre, nous serions meilleurs.
La faille dans cette vision?
Entourés d’étrangers puissants, notre aide est aveugle.
Il devient trop facile de s’y accrocher ou d’en être abusé. Lorsque nous
solutionnons ainsi la misère d’autrui, nous sommes dans le noir. Les
échecs de l’assistance sociale en sont la meilleure illustration.
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