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L'économie politique du Décalogue* | Version imprimée |
par
Damien Theillier** |
Le Québécois Libre, 15 mars
2016, no 340
Hyperlien:
http://www.quebecoislibre.org/16/160315-3.html
« Placés aux deux extrémités du monde moral, le sauvage et le
penseur ont également horreur de la propriété. » (Honoré de Balzac,
La Peau de chagrin)
Le socialisme est un système économique et politique fondé sur l’envie
et l’appropriation collective. Marx déclarait dans son Manifeste
du Parti communiste que
la théorie communiste pouvait se résumer en une seule phrase:
l’abolition de la propriété privée.
Or, nous le savons bien aujourd’hui, un tel système est incompatible
avec la nature humaine. Les tentatives faites pour maintenir une égalité
artificielle ont toutes échoué parce que, ne tenant pas compte des
inégalités naturelles qui existent entre les individus, elles ont
détruit le stimulant indispensable de l’intérêt personnel et abaissé
toutes les activités au niveau des moins intelligentes et des moins
productives.
Par suite, le socialisme est incompatible avec la justice, en
particulier avec le Décalogue, qui contient une expression privilégiée
de la loi naturelle. Le plus important des commandements bibliques pour
la vie sociale est sans doute le septième: « Tu ne voleras pas ». Ce
commandement confirme implicitement la légitimité du droit de propriété.
Car voler signifie prendre la propriété de quelqu’un d’autre sans son
consentement. Cet interdiction du vol est assorti d’un autre
commandement, le dixième, relatif à la propriété: « Tu n’envieras pas
injustement ce qui appartient à ton prochain ».
En France, la propriété n’a jamais été vraiment respectée. Rappelons la
spoliation des protestants, des émigrés, des congrégations religieuses,
des Juifs. Comme l’écrit Alain Besançon,
« L’influence des idées socialistes a été continuellement dans le sens
de la délégitimation de la propriété individuelle. Le droit de propriété
n’est tout simplement pas nommé dans le préambule de la Constitution de
1946, qui a été repris dans la Constitution de 1958. Le droit au
travail, à l’emploi, à la grève, à la gestion des entreprises, dont les
conséquences dangereuses pour la jouissance tranquille de la propriété
sont manifestes, reçoit en revanche une garantie »(1).
Qu’est-ce que la
propriété?
Le droit de propriété découle du fait que l’homme dispose naturellement
de son corps, de ses facultés, de sa personnalité et du fruit de son
travail. La propriété des biens est une extension légitime de la
personnalité humaine.
Si l’homme a des droits de propriété sur sa personne et sur le fruit de
son travail, ce n’est pas parce que l’histoire ou la société lui en
accorde, ni parce qu’il se les donnerait à lui-même par sa volonté
souveraine, mais bien parce que ces droits sont inscrits dans sa nature.
L’homme a le droit de faire tout ce qu’il veut, mais seulement avec ce
qui lui appartient et dans la limite du respect de la propriété
d’autrui.
L’erreur de Rousseau, et de toute la pensée socialiste après lui, est
d’avoir dissocié la liberté et le droit de la propriété naturelle de
soi. Chez Rousseau, la propriété n’est pas antérieure au droit, elle
n’est qu’une convention instituée par la volonté générale et dans les
limites décidées par elle. De ce fait, il n’y a pas de liberté ni de
droit indépendamment de la société et du bon vouloir des législateurs.
Or, si l’on dissocie le droit de la propriété, on en vient à justifier
de faux droits, qui ne sont acquis que par la violation des droits
d’autrui. Par exemple le droit au travail ou le droit au logement. Pour
que je puisse acquérir gratuitement un logement, il faut bien que
quelqu’un paie pour moi. Et si c’est l’État qui paie, puisqu’il ne
produit pas de richesses, il ne peut le faire qu’en prenant un logement
à quelqu’un – ou son équivalent – pour me le donner. Une société juste
est donc une société dans laquelle les droits de propriété sont
intégralement respectés, c’est-à-dire protégés contre toute ingérence de
la part d’autrui.
Comment acquérir
un bien honnêtement?
Il est plusieurs voies d’acquisition d’un bien: par ses propres efforts
et son propre travail; par un héritage ou par le don volontaire d’une
autre personne qui a elle-même acquis ce bien par des moyens honnêtes;
grâce à un investissement réussi, après avoir risqué son propre
capital; par une juste compensation pour des dommages subis; à la
suite de l’exécution des termes d’un contrat librement conclu.
Benjamin Constant écrivait:
« Les individus doivent jouir d’une liberté sans bornes dans l’usage de
leur propriété et l’exercice de leur industrie, aussi longtemps qu’en
disposant de leur propriété et en exerçant leur industrie, ils ne
nuisent pas aux autres qui ont les mêmes droits. »(2)
Qu’est-ce que le
vol?
Le vol ne consiste pas seulement à prendre la propriété d’une autre
personne, mais inclut également toutes les formes de coercition, de
fraude, de tricherie ou de restriction de la propriété, en détruisant sa
valeur d’une façon ou d’une autre. Le fait d’utiliser des moyens
juridiques pour obtenir des avantages non mérités est un vol. Quiconque
s’empare du bien d’autrui sans son consentement, directement ou
indirectement, est un voleur. Par conséquent, celui qui passe par les
procédures étatiques légales pour s’emparer du bien d’autrui est
également un voleur.
De nombreuses formes de vol sont commises par les gens directement, tels
les larcins, les fraudes commerciales, les vols à la tire, les
cambriolages, etc. Mais tout cela, cependant, ne constitue qu’un faible
pourcentage des coûts, en comparaison avec les coûts de toutes les
fraudes commises par la plupart des gouvernements sur leurs propres
citoyens, avec la force de la loi: le pillage légal.
Pour prendre un exemple, l’augmentation croissante de la masse monétaire
par les banques centrales pour réduire la dette des États est une forme
de pillage légal des épargnants qui s’accompagne d’un mensonge. De fait,
l’argent des citoyens perd de sa valeur, ce qui réduit le pouvoir
d’achat de la population. C’est la confiscation de l’épargne. Mais
l’augmentation de monnaie crée une illusion de richesse. C’est le
mensonge.
Quelles sont les
différentes formes de vol légal ou
institutionnalisé?
Voici ces formes. Toutes les restrictions imposées aux droits d’autrui,
à leur propriété ou à leur liberté; les impôts sans contrepartie, qui
ne servent pas le bien commun, mais seulement les intérêts d’une
catégorie de privilégiés; l’extension continue des prestations
sociales, qui n’est possible que par l‘expropriation des uns au profit
des autres; le déficit budgétaire et l’augmentation de la dette
nationale par le gouvernement; l’inflation forcée, par l’augmentation
de la masse monétaire; la concession de monopoles et autres privilèges
par les autorités; les prélèvements et les impôts sur l’héritage, qui
dépossèdent le défunt (lequel a déjà payé les impôts au cours de sa vie)
de son patrimoine, ainsi que ses descendants; la bureaucratie et les
réglementations complexes, plus les innombrables heures nécessaires à la
satisfaction d’autres formalités, qui volent le temps aux gens et donc
une partie de leur existence; la confiscation par le gouvernement des
biens acquis légalement par des citoyens, au nom de la « justice
sociale », et la distribution de cette propriété par des fonctionnaires
à d’autres personnes; la corruption, c’est-à-dire l’abus d’une fonction
publique à des fins personnelles, qui revient à déposséder les citoyens
et les communautés de ce qui leur est dû; la conduite des affaires
bancaires fondée sur une réserve partielle insuffisante d’argent et non
sur la protection de la propriété des déposants bancaires.
Tous ces comportements qui violent les normes élémentaires de la justice
sont non seulement directement contraires au bien commun, mais
contredisent encore la rationalité économique.
Le mensonge de
la solidarité forcée
Nous sommes moralement aveuglés par la conviction que le gouvernement
organise la solidarité sous forme de prestations, allocations ou
subventions. On appelle cela la solidarité ou la justice sociale.
Pourtant, l’État lui-même ne produit rien. Il ne peut donner de l’argent
qu’en prenant cet argent à quelqu’un qui l’a gagné, et qui ne le
donnerait pas si on le lui demandait! Quand les hommes politiques
promettent de l’argent et donnent des subventions ou des prestations
sociales, ils ne peuvent le faire qu’avec l’argent des autres. Ils ne
peuvent donc être généreux qu’avec de l’argent volé, de l’argent pris à
des gens qui ne voulaient pas le donner. Et si un individu faisait la
même chose qu’eux, il serait sévèrement puni.
La redistribution forcée n’a rien à voir avec la solidarité humaine
authentique. Elle supprime la charité au profit de la coercition
étatique pure qui forme la base du totalitarisme. Lorsqu’un don est
rendu obligatoire,
ce n’est plus de la charité, car la charité se définit comme un don volontaire.
Quand un individu est contraint de donner, il devient la victime d’un
vol. L’attitude morale du don est remplacée par la revendication « de
droits à », qui sont des revendications sur le travail d’autrui.
Seules la reconnaissance et la protection du droit de propriété nous
offrent la possibilité d’être généreux. Il faut bien posséder quelque
chose pour pouvoir le donner. Je n’ai pas le droit de consommer ce qui
ne m’appartient pas, ni le droit de faire payer par les autres ce que je
consomme. Ainsi, l’argent qu’on prend au riche par l’impôt pour le
distribuer aux pauvres ne fait pas de ce riche un homme bon. La
solidarité forcée n’est pas la fraternité, c’est la loi du plus fort.
Comme l’écrit Frédéric Bastiat: « La véritable et équitable loi des
hommes, c’est l’échange librement débattu de service contre service »(3).
Et la spoliation, ajoute-t-il, « consiste à bannir l’échange librement
débattu afin de recevoir un service sans le rendre »(4).
L’impôt doit en conséquence rémunérer un service, et c’est à cette
condition seulement qu’il n’est pas une forme de spoliation.
L’État a ainsi nationalisé et collectivisé les services
traditionnellement fournis par les familles et les Églises, tels que
l’éducation ou les soins pour les personnes âgées ou infirmes. La
déstructuration des liens familiaux et leur remplacement par les
services sociaux de l’État a conduit à la crise de civilisation que nous
connaissons aujourd’hui dans les pays développés et qui est une crise
morale avant d’être économique.
Gustave de Molinari, dans sa préface aux Soirées
de la rue Saint-Lazare, écrivait:
« Le résultat de mes études et de mes recherches a été que les
souffrances de la société, bien loin d’avoir leur origine dans le
principe de la propriété, proviennent au contraire, d’atteintes
directement ou indirectement portées à ce principe. »
Par là, il ne faisait que comprendre la portée économique, sociale et
politique du Décalogue.
Notes
1. A. Besançon,
« Pourquoi les Français ont-ils peur? », Commentaire 112,
Hiver 2005-2006, p. 979-983.
2. B. Constant, Principes
de politique, Paris, Alexis Eymery, 1815.
3. Fr. Bastiat, Sophismes
économiques, Seconde série, 1848, chap. 1: « Physiologie de la
spoliation ».
4.
Ibid.
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* Article paru dans la revue Les cahiers des l'indépendance,
n° 14.
Damien Theillier est président de l'Institut
Coppet et professeur de philosophie à Paris. |