Montréal,
le 20 juin 1998 |
Numéro
14
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Le
QUÉBÉCOIS LIBRE est publié sur la Toile depuis le
21 février 1998.
Il défend
la liberté individuelle, l'économie de marché et la
coopération volontaire comme fondement des relations sociales.
Il s'oppose
à l'interventionnisme étatique et aux idéologies collectivistes,
de gauche comme de droite, qui visent à enrégimenter les
individus.
Les articles publiés
partagent cette philosophie générale mais les opinions spécifiques
qui y sont exprimées n'engagent que leurs auteurs.
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ÉDITORIAL
UNE LEÇON
DE L'ESTONIE
par Martin Masse
On me demande souvent si les théories libertariennes ne sont que
ça, des théories, ou s'il existe vraiment des endroits où
on les a mises en pratique. Il est difficile de répondre à
cette question. Depuis une vingtaine d'années, les idées
libertariennes ont certainement influencé beaucoup de politiciens
et de gouvernements. Margaret Thatcher s'inspirait de Friedrich Hayek,
Ronald Reagan de Milton Friedman. Les gouvernements de ces deux personnages
importants ont certainement entrepris des réformes dans le sens
d'une réduction du rôle de l'État, mais ça n'a
pas fait des États-Unis et de la Grande-Bretagne des pays libertariens,
loin de là.
On peut quand même mentionner certains endroits qui s'en rapprochent,
la Nouvelle-Zélande par exemple, ou Hong Kong avant le retour à
la Chine. Au Canada, l'Alberta est certainement la province la plus libertarienne.
Plusieurs maires et gouverneurs américains ont entrepris de réduire
la taille des gouvernements qu'ils gèrent en suivant un courant
libertarien relativement fort aux États-Unis.
On ne s'attendrait certainement pas à découvrir un paradis
libertarien sur les bords de la mer Baltique, dans une petite république
de l'ex-Union soviétique. Mais il semble bien que l'Estonie, ce
petit pays d'un million et demi d'habitants qui ne s'est libéré
que récemment du joug du communisme, se rapproche plus du modèle
que le Québec. Son ministre des Affaires étrangères,
Toomas Ilves, a récemment visité le Canada et donnait une
entrevue tout à fait fascinante dans le Ottawa Citizen (publiée
dans la version papier seulement du quotidien le 8 juin dernier). |
Des résultats enviables
Dès 1993, le gouvernement de la nouvelle république indépendante
a entrepris des réformes drastiques et rapides dans le sens d'une
économie de marché, au lieu de prendre une approche gradualiste
comme la plupart des autres pays ex-communistes. Résultat quelques
années plus tard: la Russie et ceux qui n'ont toujours pas terminé
de mettre en place les institutions de base d'un système capitaliste
pataugent toujours dans la crise, alors que ceux qui y sont allés
de façon plus brusque, incluant aussi la Pologne, la Hongrie et
la République tchèque, sont maintenant des pays stables.
L'année dernière, l'Estonie connaissait un taux de croissance
faramineux de 11.4% et son taux de chômage se situait à 4%,
une situation enviable non seulement dans le contexte est-européen
mais n'importe où dans le monde. La libéralisation a permis
une restructuration spectaculaire de l'économie. Comme l'explique
M. Ilves, le secteur tertiaire, celui des services, était fameusement
peu développé dans le système communiste et des industries
comme la publicité ou le marketing n'existaient tout simplement
pas. Ce secteur a explosé et compte maintenant pour 65% de l'économie
estonienne, un niveau équivalent à celui des pays riches.
Comment a-t-on atteint ces résultats? Le ministre énumère
une série de mesures économiques dont on ne peut que rêver
ici, dans notre pays où régnerait supposément la «
pensée unique néolibérale », selon notre petite
élite de gauchistes qui ne connaissent rien:
-
le marché estonien est complètement
ouvert, sans aucun tarif sur les importations.
-
une clause dans la constitution interdit les déficits
et il n'y a donc aucun problème de dette.
-
il n'existe aucune subvention sous quelque forme
que ce soit.
-
le taux d'imposition sur le revenu personnel est
égal pour tout le monde à 26%.
-
il est impossible pour la banque centrale d'imprimer
des billets sans posséder les réserves étrangères
pour garantir la valeur de la monnaie.
-
il n'y a pas de restrictions sur les investissements
étrangers.
On est loin, très très loin, du Québec et du Canada,
où l'on pourrait qualifier de socialiste la politique de nos gouvernements
sur chacun de ces points. Évidemment, nous dit-on toujours, ouvrir
les portes du Canada signifierait se faire bouffer par le géant
américain. Mais c'est plutôt l'argument contraire qui tient,
comme le montre bien le cas de l'Estonie. Une économie plus libéralisée,
plus ouverte, plus performante, nous donnerait des moyens accrus. Le PIB
estonien par habitant est trois fois plus élevé que celui
de la Russie, et malgré la disproportion absolue dans la grosseur
et la puissance des deux pays, l'Estonie ne se laisse plus marcher sur
les pieds par le géant voisin. Ministre des Affaires étrangères,
Toomas Ilves ne se gêne pourtant pas pour dire ce qu'il pense des
Russes: « The Russians are a pain in the ass. They've
never gotten over their post-colonial stress syndrome. They have the same
distress that afflicted the Brits in the '50s and the French in the '60s.
But the empire's gone, baby – and you have to get used to that fact.
»
Quelle incroyable candeur! Un politicien qui dit les choses directement,
sans ratourage inutile pour amadouer ses interlocuteurs. Voilà une
fraîcheur de langage qu'on a peu souvent la chance de constater.
Se pourrait-il que cette franchise ait un rapport quelconque avec le fait
que M. Ilves est, à toute fin pratique – il ne se définit
pas explicitement ainsi dans l'entrevue – un libertarien? Le ministre apparaît
comme un individu responsable et sûr de lui, au service d'un pays
qui n'a pas de cadeau à demander, un pays où l'on traite
justement les citoyens comme des individus responsables et non comme des
enfants ou des imbéciles à qui il faut toujours dire quoi
faire. La culture individualiste de l'Estonie, qui semble avoir survécu
à des décennies de folie communiste, y joue un rôle:
« L'héritage nordique est la raison de notre
succès – la source du caractère coriace de la population,
cette attitude luthérienne qui dit “Fais ce que tu as à faire
et arrête de blâmer les autres pour ta situation, y compris
l'État.” ».
Individualisme et respect de soi
Cette
attitude d'individualisme sain, de respect de soi, est le fondement même
d'une société libertarienne. C'est elle qui met un frein
à l'envahissement de l'État dans la vie des gens, elle qui
pousse chacun à se débrouiller et à trouver sa place,
à définir son propre cheminement, sans avoir à quêter
ou à se plaindre que le gouvernement n'en fait pas assez. Au États-Unis,
cet individualisme fait encore partie des moeurs. Selon un sondage de l'American
Enterprise Institute, 16% des Américains seulement croient que
le gouvernement est reponsable du bien-être des citoyens; les deux-tiers
croient pas contre que les gens sont responsables de leur propre bien-être
et ont l'obligation de prendre soin d'eux-mêmes. Il serait intéressant
de faire un sondage similaire au Québec (mais une telle question
saugrenue ne viendrait évidemment pas à l'esprit de nos sondeurs...).
Dans un pays où il est devenu impossible de faire un pas sans avoir
un permis d'un ministère ou d'une agence quelconque, il est à
redouter que les résultats seraient assez différents.
Il y a dix ans, le communisme étendait encore sa main de fer sur
ce petit pays balte. Aujourd'hui, pas seulement l'indépendance du
pays mais aussi les idées libertariennes en ont fait une société
où les gens ont des raisons véritables de se dire libres.
L'Estonie est certainement un modèle pour nous et M. Ilves, qui
connaît bien l'Occident pour avoir vécu en exil aux États-Unis
et au Canada, ne se gêne pas encore une fois pour nous faire la leçon:
« Nous appuyons explicitement les idéaux de l'Occident
beaucoup plus que la plupart d'entre vous au Canada. Vous nous dites: “Vous
devriez faire ceci, vous devriez faire cela.” Nos gens comprennent Adam
Smith ou John Locke beaucoup mieux que l'Américain, le Canadien
ou le Britannique moyen – parce que ça nous vient comme une expérience
vécue, après cet épisode horrible où l'État
dirigeait nos vies. C'est franchement détestable d'entendre vos
exhortations à s'appliquer pour devenir plus occidentaux. Nous sommes
plus occidentaux que vous ne l'êtes – et il est temps que vous vous
en rendiez compte. »
Le Québec libre des
nationalo-étatistes
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«
Après avoir pris ainsi tour à tour dans ses puissantes
mains chaque individu, et l'avoir pétri à sa guise, le souverain
étend ses bras sur la société tout entière;
il en couvre la surface d'un réseau de petites règles compliquées,
minutieuses et uniformes, à travers lesquelles les esprits les plus
originaux et les âmes les plus vigoureuses ne sauraient faire jour
pour dépasser la foule; il ne brise pas les volontés, mais
il les amollit, les plie et les dirige; il force rarement d'agir, mais
il s'oppose sans cesse à ce qu'on agisse; il ne détruit point,
il empêche de naître; il ne tyrannise point, il gêne,
il comprime, il énerve, il éteint, il hébète,
et il réduit enfin chaque nation à n'être plus qu'un
troupeau d'animaux timides et industrieux, dont le gouvernement est le
berger. »
Alexis de Tocqueville
DE LA DÉMOCRATIE EN AMÉRIQUE
(1840) |
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