Montréal,
le 19 décembre 1998 |
Numéro
27
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Le
QUÉBÉCOIS LIBRE est publié sur la Toile depuis le
21 février 1998.
Il défend
la liberté individuelle, l'économie de marché et la
coopération volontaire comme fondement des relations sociales.
Il s'oppose
à l'interventionnisme étatique et aux idéologies collectivistes,
de gauche comme de droite, qui visent à enrégimenter les
individus.
Les articles publiés
partagent cette philosophie générale mais les opinions spécifiques
qui y sont exprimées n'engagent que leurs auteurs.
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ÉDITORIAL
QUELLE SORTE DE DROITS?
par Martin Masse
Tout le gratin international de la bureaucratie onusienne, des ministères
des Affaires étrangères, des ONG, du jet set artistique
conscientisé et autres do-gooders planétaires s'est
réuni la semaine dernière à Paris pour célébrer
le 50e anniversaire de la Déclaration universelle des droits de
l'homme. Comme libertariens qui défendent la liberté et les
droits des individus, et dont le plus cher souhait serait de les voir triompher
partout dans le monde, on ne peut que se sentir concernés. Surtout
que, fait peu connu ici, c'est le Canadien John Humphrey, professeur à
l'Université McGill, qui a écrit la première version
de ce document.
Il y a cinquante ans, au sortir de la 2e Guerre mondiale, les perspectives
d'avenir pour la démocratie et les droits humains n'étaient
pas particulièrement brillantes. Seuls une poignée d'États
dans le monde pouvaient se qualifier comme démocratiques et respectueux
de ces droits, presque tous situés en Amérique du Nord et
en Europe de l'Ouest. Depuis, il y a eu la chute du Mur, la décolonisation,
le retrait des dictatures et régimes autoritaires dans des dizaines
de pays d'Amérique latine, d'Asie et d'Afrique. Il faut s'en réjouir.
Mais malgré ces avancées, le bilan n'est pas que positif,
et les objectifs contradictoires contenus dans la Déclaration (voir
Mot pour mot, p. 8) reflètent bien la
confusion qui règne lorsqu'on entreprend d'évaluer le progrès
de notre civilisation.
Mon droit contre le tien
Le terme de « droit » recouvre en effet deux réalités
conceptuelles très différentes, que l'on peut rattacher à
deux grands courants idéologiques occidentaux. Dans la tradition
libérale, surtout anglo-saxonne, un droit est la possibilité
d'agir comme citoyen dans un domaine défini sans que l'autorité
souveraine (le gouvernement) ne puisse nous en empêcher. C'est une
notion négative, la possibilité de faire quelque chose sans
entrave, bref, une liberté. C'est ainsi qu'on interprète
les droits que sont la liberté de conscience, de parole,
de religion, de commercer, de s'établir où
l'on veut et de voyager, le droit d'être considéré
innocent jusqu'à preuve du contraire, etc. Sans ces droits, l'individu
est à la merci d'un pouvoir arbitraire qui peut lui empêcher
demain ce qu'il lui permettait hier, ou accorder à certains ce qu'il
refuse à d'autres. |
Une autre définition du mot « droit »,
issue celle-là de la tradition socialiste, est toutefois utilisée
en parallèle avec la première et vient mêler les cartes.
Lorsqu'on parle des droits sociaux et économiques que sont le droit
à l'éducation, au travail, à des
soins de santé, au logement, on change tout à fait
de registre. Il ne s'agit plus pour un individu de faire ce qu'il désire
sans que la lourde main de la bureaucratie ou du système judiciaire
ne vienne lui mettre des bâtons dans les roues; il s'agit plutôt
de réclamer une condition ou l'accès à un service
ou à un bien considéré comme souhaitable, dans un
monde idéal, pour tout être humain.
La différence est de taille. Dans le premier cas, l'État
n'a rien à faire, ne doit rien faire, pour protéger
ces droits, outre maintenir un système de loi qui les garantit.
Dans le second, on invite au contraire l'État à intervenir
pour s'assurer que tous ces droits soient comblés et que personne
n'en soit privé. De même, les libertés individuelles
n'impliquent qu'une égalité de droit entre les citoyens,
mais certainement pas d'égalité de fait ou de résultat:
nous pouvons tous avoir un égal droit de travailler ou de commercer,
mais certains vont travailler très fort et commercer allègrement,
d'autres ne le feront pas du tout. À l'inverse, les droits sociaux
et économiques s'évaluent essentiellement dans une perspective
égalitariste: mon droit au logement est-il égal au vôtre
si je vis dans un taudis et vous dans un château? Mon droit à
l'éducation n'est-il pas déficient si je n'ai pas les moyens
de me payer un cour universitaire et que mon gouvernement refuse de m'en
offrir un accès gratuit?
On voit bien que les deux perspectives sont tout à fait distinctes,
et qu'elles peuvent même venir à se contredire en pratique.
N'importe quel pays peut, sans débourser un sou, garantir et mettre
en application les droits (libertés) individuels fondamentaux. Il
n'a qu'à cesser de harceler ses citoyens et à retirer les
entraves bureaucratiques et judiciaires qui les empêchent d'exercer
ces droits. Tous les pays qui ont adopté cette façon de faire
en Occident et ailleurs sont rapidement devenus des pays riches et démocratiques
avancés, parce que la prospérité découle essentiellement
des bienfaits que procure la liberté économique – la possibilité
de fonctionner à l'intérieur d'un marché libre.
Par contre, à peu près tous les pays au monde, y compris
les plus riches, peuvent être mis au ban des accusés en ce
qui concerne les droits sociaux et économiques, qui demandent nécessairement
des dépenses et des réglementations pour être mis en
application. Y a-t-il un pays au monde où l'on peut affirmer que
tous les citoyens ont un accès suffisant à la santé
(art. 25), à l'éducation (art. 26),
au travail (art. 23), à une rémunération
équitable et satisfaisante (art. 23) ou même,
comme le prescrit stupidement la Déclaration, « au
repos et aux loisirs » (art. 24)? Qui décide
ce qui est juste et suffisant? Qui doit payer pour que tout le monde ait
accès à ces services et privilèges? Quelqu'un qui
choisit de travailler passionnément et presque tout le temps pour
faire marcher une entreprise qu'il a mis sur pied doit-il être forcé
de payer plus de taxes pour assurer plus de « droit
au repos » à son voisin qui préfère
se la couler douce? Le gouvernement est-il justifié de piétiner
les droits de propriété d'une partie de la population pour
procurer des logis à une autre partie qui n'a pas su se débrouiller?
Le droit au fruit du travail des autres
Ce à quoi ces notions réfèrent n'a finalement pas
grand-chose à voir avec des droits humains fondamentaux, mais plutôt
tout à voir avec les revendications auxquelles les lobbys de pleurnichards
nous ont habitués depuis la mise en place de l'État-providence
il y a quelques décennies. Il ne s'agit pas en effet d'être
libre de faire ce qui est essentiel à la dignité de l'être
humain dans le respect de chacun, mais plutôt de réclamer
le fruit du travail des autres – extorqué par l'État – pour
son propre bénéfice.
La démocratie et les libertés fondamentales ont certainement
progressé depuis cinquante ans, mais malheureusement, les «
droits à » ont eux aussi connu une croissance
fulgurante pendant la même période. Et l'ONU est devenu un
véritable lobby planétaire voué à l'avancement
(doit-on s'en surprendre!) non pas des droits libéraux, mais de
la logique parasitaire des droits sociaux et économiques.
Par exemple, la Déclaration a beau affirmer que « nul
ne peut être arbitrairement privé de sa propriété
» (art. 17), on n'a jamais entendu parler d'un
seul rapport onusien qui dénonçait les expropriations, les
nationalisations, la taxation excessive (par exemple, les impôts
rétroactifs avec lesquels le gouvernement du Québec assomme
en ce moment les travailleurs à pourboire), les bulldozers d'Hydro-Québec
et autres abus dont font preuve la plupart des gouvernements et leurs agences.
Kofi Annan s'est-il élevé contre les droits brimés
des travailleurs canadiens forcés d'adhérer à un syndicat
et de payer des cotisations dans le régime actuel de la Formule
Rand? Et pourtant, la Déclaration indique que « nul
ne peut être obligé de faire partie d'une association
» (art. 20). Et que penser du silence de l'organisme
devant les multiples tentatives des États de s'immiscer dans la
vie privée des citoyens, par l'entremise de toutes sortes de programmes,
questionnaires, contrôles, etc., alors que « nul
ne sera l'objet d'immixtions arbitraires dans sa vie privée, sa
famille, son domicile ou sa correspondance » (art.
12)?
De toute évidence, certains « droits »
sont plus importants que d'autres pour l'ONU, et les Canadiens ont pu noter
ceux que les bureaucrates onusiens privilégient lors du dépôt
il y a deux semaines d'un rapport extrêmement sévère
contre le Canada par le Comité sur les droits économiques,
sociaux et culturels. Le rapport reprend le discours alarmiste à
la mode dans les médias pour dénoncer les multiples problèmes
sociaux qui affligeraient le Canada, de la situation déplorable
des Amérindiens à celle des mères célibataires,
en passant par les sans-abri, les chômeurs et les assistés
sociaux. Solutions? Des programmes fédéraux, des subventions,
des programmes bureaucratiques, des crédits d'impôt, encore
des programmes fédéraux, des normes nationales et, enfin,
d'autres programmes. Le Comité aurait pu s'éviter beaucoup
de travail en demandant simplement au NPD de lui envoyer les résolutions
adoptées à son dernier congrès, ou à n'importe
quelle coalition nationale de syndicats et de groupes communautaires de
lui faire parvenir sa liste de revendications.
C'est vrai, tout le monde au Canada ne profite pas des meilleures conditions
de vie souhaitables. Oui, ce serait merveilleux si tout le monde jouissait
de tous les « droits » sociaux et économiques
que proclame la Déclaration. Mais la meilleure façon de se
rapprocher de cet idéal, ce n'est pas de pousser encore plus loin
l'échec expérimental qu'a été l'État-providence,
mais plutôt d'assurer d'abord sans compromis les libertés
individuelles, et de permettre au dynamisme des individus de créer
cette prospérité. L'État-providence ne fait que siphonner
et épuiser ce dynamisme, et engendre plus de problèmes sociaux
qu'il n'en règle – en plus de brimer les libertés fondamentales,
les véritables droits humains.
Un jour, si les gouvernements nationaux bien-pensants comme celui du Canada
continuent de promouvoir son rôle, l'ONU deviendra une sorte de gouvernement
mondial. Les libertariens ne devront plus alors lutter uniquement contre
les bureaucraties municipale, provinciale et fédérale, mais
aussi contre une bureaucratie planétaire encore plus déconnectée
de la réalité qui, comme toutes les autres, distille le même
discours interventionniste qui lui permet de justifier son existence et
d'accroître sa mainmise sur toute activité. La Déclaration
universelle des droits de l'homme ne sera alors pas d'un grand secours
pour lutter contre cette nouvelle tyrannie, pas plus que la Charte canadienne
des droits et libertés ne l'est en ce moment. C'est ce monstre en
puissance qu'on célébrait la semaine dernière à
Paris.
Le Québec libre des
nationalo-étatistes
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« Après avoir pris ainsi
tour à tour dans ses puissantes mains chaque individu, et l'avoir
pétri à sa guise, le souverain étend ses bras sur
la société tout entière; il en couvre la surface d'un
réseau de petites règles compliquées, minutieuses
et uniformes, à travers lesquelles les esprits les plus originaux
et les âmes les plus vigoureuses ne sauraient faire jour pour dépasser
la foule; il ne brise pas les volontés, mais il les amollit, les
plie et les dirige; il force rarement d'agir, mais il s'oppose sans cesse
à ce qu'on agisse; il ne détruit point, il empêche
de naître; il ne tyrannise point, il gêne, il comprime, il
énerve, il éteint, il hébète, et il réduit
enfin chaque nation à n'être plus qu'un troupeau d'animaux
timides et industrieux, dont le gouvernement est le berger. »
Alexis de Tocqueville
DE LA DÉMOCRATIE EN AMÉRIQUE
(1840) |
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