Montréal,
le 9 janvier 1999 |
Numéro
28
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Vos
réactions
« Many a man thinks
he is buying pleasure, when he is really selling himself to it. »
Benjamin Franklin
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BILLET
DE PAIN SEC ET
D'EAU FRAÎCHE
par Brigitte Pellerin
Oui, oui, je sais. On a tous mangé comme des petits porcins et bu
jusqu'à plus-soif. Deux semaines de « festivités
» et nous voilà pleins comme des oeufs, balourds et
désespérément gauches, patauds et, c'est le comble,
de mauvais poil comme c'est pas permis.
Le temps des fêtes est décidément mal installé
sur le calendrier. La plupart des activités qui nous permettraient
de dépenser le trop-plein de calories récemment assimilées
se pratiquent assez mal, merci, par des froids de canard (-30 avec le vent,
me semble que c'est juste pas chrétien), le vent en pleine face,
les pieds gelés et la goutte au nez.
Et puis, se dit-on, les petits oiseaux, eux, s'installent bien une couche
de graisse sous le plumage, histoire de survivre les longs mois d'hiver.
Alors pourquoi pas nous? (Parce qu'on porte les vêtements inventés
pour ça, peut-être?) |
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Homo gloutonus
Sans compter que les restants de pâtés à la viande
beurrés de Ketchup et les morceaux de dinde baignant dans un jus
brunâtre qui croûte sans complexe doivent bien être consommés,
à l'image du reste. Un semblant de bonne conscience nous empêchant
de jeter trop de bouffe à la poubelle, sans doute. Alors on continue
à empiler les épaisseurs de chandail en s'imaginant camoufler
les rondeurs et à changer de trou de ceinture, à droite toute.
« Juste deux semaines dans l'année; après
ça, je me remets au régime sec.
»
Yeah, right.
Régime sec, mon cul. Les yoyos sur le pèse-personne, les
prétentions d'anorexie, les
moitiés de pamplemousse (pas de sucre, heille), un yogourt
nature on the side, le coupage de dessert, de pain, de beurre et
de sel; toute cette litanie d'interdictions et
de résolutions-que-personne-n'est-foutu-de-tenir
me flanque la déprime, version
« 30 cm de neige à pelleter pour enfin apercevoir
l'antenne de mon char ».
Et même quand certains réussissent à s'y conformer,
à la diète forcée, arrive
toujours le moment où, pour n'importe quelle raison, «
il faut bien se gâter
un peu ». Hum? Ça vous revient? Trois morceaux
de cheesecake plus tard, c'est
le retour à la case départ.
On est trop gros, un point c'est tout. Cessez de me faire suer avec vos
souvenirs d'adolescence, vous qui n'avez jamais
revu cette soi-disant taille de guêpe
depuis votre bal de graduation.
Et encore. Vous avez remarqué que les ados, de nos jours, sont
passablement enveloppés? Ils font énormément
de sport et sont en pleine croissance
et pourtant, ils se farcissent des kilos superflus à
trimballer un peu partout.
Comme quoi il n'y a plus rien qui tienne; plus de certitudes auxquelles
se raccrocher. Ça me fout les jetons, pas
à vous?
Je – c'est-à-dire mon moi-même accompagné des mes humbles
observations – condamne deux choses:
1) la « norme » tyrannisante de la majorité
joufflue et 2) les aliments préparés.
Le droit à la minceur
Commençons par la bouffe en canne, les burgers de McDo et autres
Kraft Dinners.
On ne m'enlèvera pas de la tête que les tonnes de trucs
chimiques qu'ils injectent là-dedans sont
n'importe quoi sauf étrangères à
l'accumulation de viande autour de nos os. Il y a une trentaine
d'années, quand on mangeait du frais fait,
le poids moyen avait autrement plus
d'allure que maintenant. Ça ne prend pas quinze ans d'études
pour faire le lien, il me semble.
Quant à la norme, alors là, c'est le boutte du boutte. Comme
si être en santé devait
forcément se traduire par des bajoues rebondies et un
postérieur bien en chair. Comme si être
mince était synonyme de désordre alimentaire
et de mort imminente.
Ça m'énaaaarve.
Ce n'est pas parce que la majorité se sent coupable de patauger
dans son cholestérol («
bon » ou pas, il reste qu'il s'accumule en de bien
drôles d'endroits, le suif en question)
qu'elle doit forcer les minces à joindre
le troupeau. Lâchez-nous les baskets, à la fin.
Et puis, si vous n'aviez pas remarqué, on ne passe plus, à
l'aube de l'an 2000, ses journées
à bûcher dans le bois. C'est dire qu'on dépense
moins de calories à forcer comme des boeufs
et que donc, on a besoin de moins d'énergie
pour passer tranquillement d'une journée à l'autre, bien
assis au volant de notre ordinateur attitré.
Pourquoi, je vous le demande, devrait-on malgré tout manger autant,
sinon plus? Cherchez tant que vous pourrez; de
raisons logiques vous ne trouverez
point. On mange trop, et on mange mal, and that's it.
Moi, c'est simple, je refuse d'embarquer dans cette chaloupe. Je me
réserve le droit de passer pour anorexique
aux yeux des bien-nourris (de toutes
façons, il n'y comprendront jamais rien) parce qu'imaginez-vous
donc que je me sens – et mon miroir ne cesse de
me le confirmer – parfaitement en santé
comme je suis.
Ma prière est donc la suivante: « Ne nous soumets
pas à la tentation, et délivre-nous
de la deuxième assiette, forcée de couler (coller?) le long
de notre oesophage par Matante Bonne-Intention.
»
C'est-y assez clair?
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