Montréal, le 3 avril 1999
Numéro 34
 
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     « Les faits n'arrêtent pas d'exister simplement parce qu'on fait semblant de ne pas les voir. » 
 
Aldous Huxley
 
 
 
BILLET
  
PARLONS SPORTS
  
par Brigitte Pellerin
   
   
          Oh moi, les sports, c'est pas mon fort. Mais ces jours-ci, comment peut-on les éviter? Il n'y a même plus moyen d'avoir la paix; partout on en parle. Première page des journaux, toutes les chaînes télé, et sans arrêt aux émissions de lignes ouvertes. AU SECOURS! 
  
          Il n'y a jamais moyen d'avoir un break, avec eux. La saison de baseball commence avant que les séries éliminatoires ne soient en branle, et le football s'imagine être bien fin en s'étirant de l'automne à la fin de l'hiver. Quand on y ajoute le basket, alors là, c'est le boutte du boutte. Pas moyen d'y échapper.  
  
          C'est comme pour les demandes d'aide financière. Quand ce n'est pas la Ligue nationale de hockey qui braille, ce sont les Expos qui menacent. Quand ce n'est pas Brochu qui fait des vagues, c'est Corey qui fait ses jérémiades.  
  
          C'est fatigant, à la fin.
 
 
Du fric et des jeux 
 
          N'allez pas croire que je me vautre dans un autre trip intello. Mon intérêt dans l'affaire est beaucoup plus proche du plancher des vaches et de la « vraie » réalité, never mind le pléonasme. Ce qui me chatouille dans cette histoire, c'est le fric, le bon vieux fric.  
  
          Peut-être est-ce dû à mes déclarations d'impôts qui (oh, misère) traînent encore dans leur cellophane d'origine, je ne sais pas. Ben quoi, pourquoi je me presserais pour les envoyer? Avec les interminables grèves des cols bleus fédéraux ces derniers temps, on pourrait aussi bien attendre à Noël qu'ils ne s'en apercevraient même pas tant leur système de traitement est bousillé.  
  
          Digressions, déviations. Revenons-en plutôt à nos moutons. (pim-pon) 
  
          Parlons des Expos. Partiront, partiront pas? Paiera-t-on, paiera-t-on pas? La première question est bien simple: OUI, ils partiront. La seule incertitude, c'est la date à laquelle ils boucleront leurs Louis Vuitton. La deuxième question est encore plus facile: OUI, on paiera. Peu importe ce qui arrive, c'est encore le même citron qui purgera.  
  
          Y en a pas marre, des fois?  
  
          Vous me corrigerez si je me gourre, mais il me semblait que c'était bien clair: le gouvernement n'allait pas donner de sous aux Expos. Il me semblait même avoir entendu, à plusieurs reprises, le premier ministre et le ministre des Finances se prononcer contre, disant que ce n'était pas à un gouvernement qui est, comme nous le savons tous, cassé comme un clou, de fournir une aide de « dernier recours » à une bande d'hommes d'affaires qui s'adonnent à dealer avec des joueurs de baseball qui roulent sur l'or.  
  
          Parce que la décence à des limites. Non mais. Pourquoi les gens qui s'arrachent le coeur à bosser comme des dingues devraient-ils aider des millionnaires qui ne savent rien faire de mieux que jouer avec une baballe? Oh je sais, il y a dans l'argument quelques embruns de démagogie; et le débat n'a jamais tellement levé plus haut que ça. Mais il reste que la question n'a toujours pas trouvé de réponse. Personne n'a fourni la moindre parcelle d'un début d'argument sérieux qui justifierait l'octroi de fonds publics à une cause archi-désespérée. 
 
          Quoi? Les retombées touristiques? Hummm.  
  
          Faut bien s'y arrêter puisque c'est ce qui a fait virer une fois de plus nos girouettes nationales. Eh oui, parce que maintenant, à ce qu'il paraît, ça serait un bon move d'investir dans la survie des Expos. Pour reprendre les mots de Lucien Bouchard: « C'est un VRAI plan d'affaires. » Ah oui?  
  
Quand le plan devient bon 
 
          Pourquoi, tout d'un coup? Comme tout le monde, je ne suis pas une experte en montages financiers (comme si Bouchard l'était, lui – c'est un avocat, comme les autres). Mais comme tout le monde, je peux comprendre quand on se donne la peine de m'expliquer. Ici, il ne s'agit pas d'explications, mais de foi. Bouchard dit que c'est correct, faque ça doit être correct.  
  
          « Le ciel est bleu, la mer est calme.... ferme ta gueule pis rame! »  
  
          Retombées touristiques obligent, donc. Parce qu'il faut bien savoir entretenir nos visiteurs avec des hot-dogs à 6$ et une séance d'aérobie en groupe à la septième manche. Autrement, les pauvres, ils seraient pris pour emprunter des pistes cyclables, visiter des musées, ou grimper le Mont Royal. C'est pas une vie, ça.  
  
          Apparemment, Pierre Fortin (les mauvais esprits tentés d'y voir un possible esprit de collusion ou un douteux alignement des astres sont priés de se taire) aurait évalué les retombées touristiques à 15 millions $ par année. Bon, d'accord. Je n'ai pas vu le rapport. Je n'ai pas non plus l'intention de l'étudier. Je ferai donc semblant d'y croire, pour le bénéfice de l'exercice.  
  
          En gestionnaires prudents, nos gouvernants ont gentiment ouvert la porte à une possiblité d'investir – en notre nom – la moitié de cette somme, prise à même les fonds normalement dévolus au ministère du Tourisme. Normalement, les budgets accordés à la promotion touristique sont de 20 millions $ par année ce qui veut dire, selon ma calculatrice non-scientifique, qu'on leur enlèverait plus du tiers de leurs sous pour les donner aux Expos.   
  
          Youppi.  
  
          Je sais, ça n'a pas d'allure. Et fiez-vous sur votre bonne étoile: bientôt, très bientôt, on va se taper les gens du hockey qui reviendront à la charge en brandissant bien haut le précédent. Et nous, les pauvres cloches, on va encore y goûter.   
  
          Mais à lire les éditoriaux et à écouter les nouvelles, on dirait que tout le monde s'est rallié. Et que peut-on faire contre le consensus exprimé par tous les intervenants du milieu et les partenaires socio-économiques? Quand tout le monde décide soit 1) de plier ou 2) de s'en contre-balancer, il n'y a plus grand chose à dire.  
  
          Messieurs Ménard et compagnie auront au moins fait la preuve qu'ils savent jusqu'où ne pas aller trop loin. 
 
 
 
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