Montréal,
le 17 avril 1999 |
Numéro
35
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Vos
réactions
« Si on s'est peinturé dans le coin, bien on marchera
sur la peinture! »
Jean Chrétien
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BILLET
SO, SO, SO, WHAT?
par Brigitte Pellerin
J'ai une copine, elle s'appelle Josée. Tout ce qu'il y a de plus
gentille. Travaille en relations publiques, mariée et mère
d'une adorable pitchounette de trois ans et demi (c'est que c'est important,
les moitiés d'années, à cet âge). Vit en banlieue,
paie ses taxes sans rechigner, va à la messe tous les dimanches.
C'est l'image même de la citoyenne modèle, spécimen
authentique de ce qu'il est convenu d'appeler la majorité silencieuse.
Et patiente, avec ça, que c'en est à peine croyable. Enfin,
je veux dire que moi, à sa place, il y aurait déjà
longtemps que j'aurais pété quelques plombs. C'est fou ce
que les gens sont tolérants; prêts qu'ils sont à écouter
ce que les braillards ont à raconter et toujours les premiers à
essayer d'aider ceux qui sont plus mal pris qu'eux. La bonté sur
deux pattes, voilà ce qu'elle est, ma copine.
Je pense à elle, debout à l'heure des poules tous les matins
que le Bon Dieu amène, couraillant d'un bord pis de l'autre pour
que tout brille et reluise, que tout le monde ait une pomme bien astiquée
dans sa boîte à lunch et que toute sa petite famille se sente
confortable et en sécurité dans le nid douillet qu'elle s'échine
à conserver. Je pense à elle, jamais un mot plus haut que
l'autre, en train de perdre de vue les progrès de sa fille parce
que, voyez-vous, il faut bien travailler pour qu'un jour, elle puisse aller
à la grande école; et qu'entre-temps, elle ne manque de rien. |
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Je pense à elle, donc, et je dodeline tranquillement de la caboche
en voyant les syndiqués de Bell descendre dans la rue. Je m'inquiète
pour elle d'une possible grève des infirmières, et je perds
carrément les pédales quand j'entends les travailleuses de
garderie menacer, elles aussi (y paraîtrait que c'est la mode, ces
temps-ci) de débrayer de façon organisée.
Heille, les potes! Réalisez-vous ce que vous lui imposez, à
Josée? Avez-vous conscience que c'est aux gens comme elle que vous
faites le plus mal? Que c'est eux, encore et toujours, qui seront pris
pour « faire avec »?
Précisons.
Quel numéro, what number?
Les téléphonistes et techniciens de Bell sont inquiets. Parce
que la compagnie a décidé de confier ses emplois à
une firme sous-traitante. D'accord, on les comprend. Ils ne savent pas
ce qu'il adviendra de leurs jobs, de leur avenir. Ergo, on est coincés
avec les moyens de pressions.
Pis après, direz-vous. Après? C'est que les communications
téléphoniques ne se font pas toujours aussi bien (personnellement,
depuis au moins deux semaines, j'ai de la misère avec mes appels
interurbains et mes connections internet – y en a marre de signaler pendant
10 minutes avant d'obtenir la ligne – et je ne suis pas installée
dans le fond des nounes, mais en plein centre-ville). Et des communications
hasardeuses, quand on est payé pour rejoindre des gens au téléphone,
c'est passablement emmerdant. Temps perdu, stress, patrons qui lui tombent
sur la tomate; voilà ce avec quoi elle est coincée, ma copine.
Mais elle ne se plaint pas; elle comprend que les gens de Bell soient inquiets...
Les infirmières. S'il y a un groupe que les gens supportent instinctivement,
c'est bien elles. Elles sont gentilles, prennent soin de nos bobos et vident
sans sourciller les sacs de vous-savez-quoi. Des anges, voilà ce
qu'elles sont. Mais là, elles demandent 15% d'augmentation sur trois
ans (alors qu'on leur en offre 5%) et ont dernièrement voté
pour la grève « au moment jugé opportun
», selon l'appellation consacrée.
Parenthèse: seulement 41% des infirmières syndiquées
ont pris la peine de voter. De ces 41%, 63% appuient la grève. La
majorité de même pas la moitié, et on a le culot, à
la FIIQ, de parler de « message clair lancé aux
employeurs ». Allôôô? Avouez qu'il
faut quand même le faire. C'est comme si on ne comptait que le vote
des femmes de moins de cinquante ans lors d'un référendum.
Fin de la parenthèse.
Qu'arrivera-t-il si les infirmières mettent leurs menaces à
exécution et que sa petite s'étouffe en mangeant ou qu'elle
attrape une cochonnerie à la garderie? Qui sera pénalisé?
Qui devra plaider avec les réceptionnistes à l'urgence pour
que le petit bout de femme puisse obtenir des soins? Qui stressera parce
que sa fille dort dans un corridor? Et pourtant, on est bien solidaire
quand il s'agit d'infirmières.
La cerise sur le sundae
Les travailleuses de garderie, maintenant. Je ne vous fais pas la démonstration;
vous le savez tout aussi bien que moi. Les parents qui y placent leurs
enfants sont, généralement, ceux qui n'ont pas les moyens
de se payer une gardienne privée. S'ils sont serrés dans
leurs finances, imaginez ce que plusieurs jours de travail perdus pour
rester à la maison peuvent faire comme dommage dans un budget déjà
chancelant.
Il y a beaucoup de gens pour qui l'histoire de ma chum sonne familier.
Ils sont bien gentils, patients et compréhensifs. Mais j'ai un peu
peur qu'ils sautent un gasket un de ces quatre matins si ces trois groupes
de travailleurs décident de les pénaliser, eux qui n'ont
rien à voir dans leurs problèmes (et qui n'ont malheureusement
aucun moyen de les aider), de les pénaliser injustement donc, EN
MÊME TEMPS.
J'ai peur qu'ils ne prennent le mors au dents mais en même temps
(et pour vous prouver que je suis capable d'être ambivalente moi
aussi – y a pas que les politicailleux pour réussir l'exploit),
j'espère qu'ils se décident à dire que trop, c'est
trop et qu'ils le fassent savoir haut et fort. Parce qu'il y a des limites,
parce qu'on les a atteintes, et qu'il serait temps qu'on commence à
agir comme des adultes qui sont responsables et conscients de leurs actes,
au lieu de continuer à « revendiquer »
encore et toujours, sans jamais se demander qui paiera la note.
Téléphone maison?
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