Montréal,
le 29 mai 1999 |
Numéro
38
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Vos
commentaires
NOVLANGUE
«
Les propos entendus au cours de cette
commission me réconfortent parce qu'on se rend compte que la planification
et la programmation d'Hydro-Québec pour sécuriser les populations
touchées pas la crise du verglas ont été validées.
Tout le monde nous dit que si on veut assurer le bien commun, l'intérêt
collectif, il faut entreprendre et terminer les travaux.
»
Jacques Brassard
min. des Ressources naturelles
(à la suite
du boycottage de la commission parlementaires par l'opposition libérale
et la coalition des citoyens du Val St-François)
(Source: Presse canadienne)
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LIBRE EXPRESSION
ANACHRONIQUE
TÉLÉ PUBLIQUE
par Gilles Guénette
Des audiences du Conseil de la radiodiffusion et des télécommunications
canadiennes (CRTC) sur le renouvellement des licences radio/télé
de la Canadian Broadcasting Corporation / Société
Radio-Canada (CBC/SRC) ont actuellement lieu à Hull. La télé
d'État y présente son plan stratégique d'avenir intitulé
« Notre engagement envers les Canadiens »
dans lequel, comme son nom l'indique, elle dresse la liste de ses engagements
et réclame six nouvelles licences de télés spécialisées
pour être mieux en mesure de s'acquitter de son mandat – celui-ci
étant de présenter aux Canadiens des histoires qui reflètent
les réalités et la diversité de leur pays. Le but
de l'exercice: rejoindre le téléspectateur là où
il est rendu, c'est-à-dire dans le marché fragmenté
des chaînes spécialisées.
Mais voilà qu'à peine quelques jours avant le début
des audiences, le CRTC a annoncé qu'il rejetait ces demandes et
qu'il autorisait la création de quatre chaînes spécialisées
privées qui, selon la présidente de l'organisme Françoise
Bertrand, permettront de créer et de diffuser des émissions
canadiennes de grande qualité, tout en assurant la priorité
aux services de langue française. N'est-ce pas là une des
missions de la CBC/SRC? Si le secteur privé peut maintenant faire
le travail de notre télédiffuseur public, a-t-on encore besoin
de lui? Ne devrions-nous pas le vendre au plus offrant?
Les mythes ont la vie dure
Aaaahhhhh! À toutes les fois qu'il est question de privatiser nos
institutions, les cris fusent de toutes parts. Intellos, journalistes,
centrales syndicales, fédérations professionnelles, membres
de l'opposition, groupes de défense... tout ce beau monde se mobilise
pour déclarer à l'unisson,: « Ne touchez
pas à notre joyau national ». Leurs arguments
sont toujours les mêmes: 1) la télévision publique
établit les normes de qualité dans l'industrie; 2) elle maintient
le pays uni; 3) repousse l'invasion culturelle américaine; 4) reflète
notre réalité canadienne; et 5) brise l'isolement des francophones
hors Québec. Des arguments devenus dogmes et dépassés
depuis des siècles... amen. |
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Si la CBC et la SRC ont déjà, par le passé, établi
des standards de qualité dans l'industrie télévisuelle,
ce n'est plus le cas. Il est vrai qu'esthétiquement, elles ont une
belle facture, mais cela ne détonne en rien dans le paysage des
chaînes privées ou spécialisées. De nos jours,
tout le monde fait de la belle télé. Là où
les standards de qualité devraient toutefois persister (étant
donné l'écart important entre les budgets), c'est dans le
contenu. Or les deux télés n'établissent plus de sommets
dans ce domaine depuis des lustres. La CBC fait une télé
qui s'adresse à un public adulte, mais laisse indifférent,
alors que la SRC s'adresse à un public de tous âges et le
plus large possible tout en faisant une télé axée
essentiellement sur le divertissement.
S'il appartient à la CBC/SRC de conserver le Canada en un morceau,
nous sommes dans de bien beaux draps. Alors qu'elle se pète les
bretelles avec ses supposés ponts jetés entre les solitudes,
les anglophones du Québec ne regardent pas ce bidule-censé-tout-tenir-en-place
(seulement 10% d'entre-eux regardent la CBC) et la moitié des anglophones
du Canada anglais la regardent « au moins 30 minutes
par semaine(1) ».
De leur côté, les francophones du Québec, s'ils syntonisent
la SRC en grand nombre, n'ont pas pour autant développé un
inébranlable sentiment d'appartenance au Canada – il est facile
d'imaginer que la moitié de l'auditoire Radio-Canadien et une majorité
des employés de la boîte votent OUI aux référendums.
Les francophones hors Québec pour leur part sont si peu nombreux
en dehors de l'aire de rayonnement immédiat de la belle province
(1,5%) que leur impact sur les statistiques de cotes d'écoute est
négligeable.
S'il en tient à la CBC/SRC de stopper ou même de ralentir
le flot de produits culturels américains vers notre beau grand pays,
mieux vaut s'annexer aux États-Unis au plus vite. On l'a vu, les
anglophones du Canada anglais ne regardent pas la CBC, les produits qu'elle
propose pour bloquer les frontières n'ont donc aucun impact. Les
francophones du Québec eux préfèrent de loin un heureux
mélange de téléromans et de versions «
Made in Québec » de leurs téléséries
américaines favorites, la langue serait une barrière naturelle
bien plus efficace que n'importe quelle SRC contre la soi-disant invasion.
Si ce que la CBC/SRC présente aux Canadiens sont des histoires qui
reflètent les réalités et la diversité de leur
pays, le Canada anglais a un urgent besoin d'une thérapie de groupe
et nous, d'un traitement à l'électrochoc! À regarder
de plus près les thèmes développés dans les
films canadiens tournés pour la télé et diffusés
à la CBC au cours des dernières années, on note que
ces réalités canadiennes sont franchement morbides: des histoires
de meurtres d'autochtones, de maris infidèles ou de bébés
pensionnaires d'orphelinats, des histoires de jeunes garçons agressés
sexuellement par des prêtres, d'enfant prodige autistique terrorisée
par mère-cantatrice-sur-le-déclin, de prostituées
droguées... d'adolescents tueurs... etc.
À la SRC, pendant ce temps, les francophones sont rivés devant
d'interminables téléromans dans lesquels évoluent
des personnages souvent torturés de l'esprit et/ou aux prises avec
les pires problèmes d'adultère, de tendances suicidaires,
de dépression, de schizophrénie ou d'alcoolisme. Et quand
les histoires sont plus « normales », elles se
limitent à la simple résolution de problèmes personnels:
Luc sort avec Lucie, Lucie pense qu'il la trompe avec sa co-locataire
Louise, Louise dit à Louis que Lucie et Luc traversent une période
difficile, Louis a un oeil sur Luc qui lui, pourrait être le père
de sa copine Louise... L'action se déroule tantôt dans
une urgence bondée, tantôt dans une caserne de pompiers, mais
l'histoire est toujours la même.
« S'il
appartient à la CBC/SRC
de conserver le Canada
en un morceau,
nous sommes dans de bien
beaux draps. »
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Pour ce qui est de l'isolement des francophones hors Québec, si
la SRC a déjà été le seul réseau national
de télévision de langue française au Canada, ce n'est
plus le cas depuis que le réseau privé TVA s'est déployé
d'un océan à l'autre. Les francophones qui habitent le reste
du pays ont désormais accès à deux chaînes nationales
de langue française et peuvent maintenant cesser de craindre le
pire devant une éventuelle privatisation de la télé
publique: si une chaîne télé privée comme TVA
peu devenir nationale, n'importe quelle autre chaîne privée
le peut. De plus, internet rend de plus en plus obsolète ce concept
d'isolement.
The Times... They are A-Changin'
Dans un monde où la fibre optique, les satellites et internet se
bousculent à nos portes, où la zappette est la nouvelle reine
du foyer, où le téléspectateur est sursollicité
(univers des 500 canaux), où ses goûts sont hyper ciblés,
où son temps est de plus en plus compté, où l'accès
aux nouvelles technologies est de plus en plus abordable, où l'offre
audiovisuelle se fait toujours plus mondiale... une télévision
publique n'a définitivement plus sa place.
Dans la logique interventionniste qu'ont adoptée les gouvernements
qui se succèdent depuis des années à Ottawa, la première
raison d'être d'une télé publique était d'offrir
des produits qui autrement ne seraient pas offerts par le secteur privé
– le genre d'émissions éducative ou culturelle qui n'attirent
pas nécessairement les foules, mais qui provoquent chez le citoyen
le questionnement, la prise de position, le débat. Or, la CBC et
la SRC présentent de moins en moins d'émissions de ce genre,
ressemblent de plus en plus à ce qui se fait au privé et
prennent constamment des décisions à partir des fluctuations
de leurs cotes d'écoute.
Dans cette même logique, la seconde raison d'être d'une télé
publique est son accessibilité à l'ensemble de la population
qu'elle dessert – si le contribuable finance ce qui s'y trouve par le biais
de ses taxes, il devrait au moins y avoir accès. Si depuis toujours
la SRC et la CBC sont disponibles à tous par voies hertziennes,
leurs plus récentes extensions, les chaînes d'information
continue RDI et Newsworld, ne le sont pas. Elles ne sont accessibles que
par le câble. Et les licences télé que la CBC/SRC réclame
devant le CRTC sont aussi destinées à des chaînes spécialisées
qui ne seraient accessibles que par le câble. Or, environ 30% des
foyers québécois (contre 15% à 20% des foyers canadiens)
ne sont pas câblés.
Dans une logique libertarienne, la CBC/SRC n'aurait jamais existé.
La télévision canadienne aurait été développée
par le secteur privé pour éventuellement atteindre la même
position qu'elle occupe présentement. Et les 800 millions
de dollars qu'elle coûte maintenant à chaque année
(somme qui ne tient pas compte des millions $ additionnels
débloqués aux quatre ans pour la présentation des
jeux olympiques) retourneraient dans les poches des contribuables qui sauraient
sûrement les utiliser à bon escient.
De moins en moins pertinente
Pourquoi payer pour des produits dont on ne veut pas ou qu'on peut très
bien obtenir ailleurs tout à fait gratuitement? Pourquoi entretenir
de lourdes structures bureaucratiques qui se prétendent indispensables
à la survie d'un pays alors que le produit qu'elles offrent n'est
même pas consommé par les gens qu'elles tentent de «
sauver »?
Couper les fonds publics à la CBC/SRC ne signifierait pas pour autant
mettre la clé dans la porte de ces chaînes. Que ce soit sous
le modèle privé ou sous le modèle « PBS
» (chaîne américaine financée en grande
partie par les commandites de prestige et les dons des téléspectateurs),
elles continueraient à diffuser. Dans le premier cas, elles se financeraient
à même les revenus publicitaires, les revenus générés
par la location de leurs infrastructures et équipement et les divers
programmes et fonds d'aide à la production dont est doté
le Canada. Dans le second cas, leur financement serait assuré par
les nombreux fonds de production et l'argent amassé lors de campagnes
de souscription.
Bien sûr, il faudra alléger leurs structures. Des dizaines
d'étages de leurs sièges sociaux devront sauter (les implosions
sont toujours spectaculaires... même au petit écran); le service
de relations à l'auditoire et le poste d'ombudsman devront être
remplacés par de simples services à la clientèle;
le nombre d'assistants et d'assistants aux assistants devra être
considérablement réduit sur les plateaux, etc. Bref, la CBC/SRC
devra faire ce que toutes les télés font, sans que ça
nous coûte un rond.
La privatisation de la télé d'État mènerait-elle
à l'éclatement du pays ou à l'équivalent d'une
« annexion culturelle » aux États-Unis?
Sans télé publique, le Canada serait-il toujours aussi distinct?
Personne ne peut le dire avec certitude. Le futur étant ce qu'il
est... il faudra attendre qu'il arrive avant de se prononcer. Une chose
est sûre, si le pays n'existe que parce qu'on maintient en vie artificiellement
ce bidule que personne ne regarde, il n'en vaut pas la peine. Mieux vaut
en finir au plus vite et débrancher la SRC/CBC.
1. Plan stratégique de
Radio-Canada, «
Notre engagement envers les Canadiens », 26 mars 1999, p.19.
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