Montréal,  20 nov. - 3 déc. 1999
Numéro 50
 
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     « A government which robs Peter to pay Paul can always depend on the support of Paul. » 
  
George Bernard Shaw
Irish dramatist
 
 
 
BILLET
  
ALL-YOU-CAN-EAT MUNICIPAL
  
par Brigitte Pellerin
   
   
          De quoi cause-t-on, ces jours-ci, dans les cercles bien peignés du gratin politique québécois? De fusions municipales, of all things.                       
  
          Mautadit que c'est ennuyant comme sujet. Rien de pire que le zigonnage municipal pour me filer les bleus. Et dire que la neige s'amène. Pas de doute, je vais sûrement me ramasser avec une crise majeure de spleen intensif ces jours prochains. Mais bon.  
  
          Ce qui me tracasse malgré tout dans les histoires de fusions paroissiales, c'est le fait qu'on semble vouloir, en haut lieu, les imposer aux âmes locales. Les forcer sans gêne dans la gorge de ceux qui auront à vivre avec les conséquences.  
  
          Ça me pue au nez.  
 
 
Démocratie de salon 
 
          Prenez la région de Mont-Tremblant. Lors d'un récent référendum, 96% des citoyens – aussi bien dire tout le monde – se sont prononcés contre une fusion imposée d'en-haut. Qu'on soit d'accord ou non avec le verdict n'a aucune espèce d'importance; seuls les gens du coin connaissent suffisamment les enjeux pour prendre une décision éclairée. Je ne vais à Mont-Tremblant qu'une fois tous les quatre ans, alors je m'écrase devant la volonté de ceux qui ont choisi d'y couler des jours heureux.  
 
          Réaction pratiquement unanime donc, contre la fusion proposée par le grand manitou des Affaires municipales. Qu'à cela ne tienne, le PQ dépose son projet de loi et force la main de tout le monde et son voisin. Et tout en continuant à se gargariser de démocratie, évidemment.  
 
          You-hou! C'est quelle partie de la réponse que vous ne pigez pas, les mecs? Les citoyens de Mont-Tremblant, quand vous leur avez posé la question, c'est N-O-N qu'ils vous ont répondu, pas peut-être.  
  
          Non mais sans blague.  
  
          Ce qui me fait soupçonner que le gouvernement a sûrement un agenda caché, une idée derrière la tête. On ne force pas comme ça pour rien. Certainement qu'il y a quelque chose de louche là-dessous. Du pelletage de dépenses, du délestage de responsabilités, que sais-je encore. On le saura bientôt, remarquez, avec la publication du Livre Blanc de Louise Harel la semaine prochaine. Et c'est bien tant mieux parce que le suspense, ça use.  
  
Une ville, une tuile 
  
          En attendant, il n'y a que les reportages dans les journaux et le battage publicitaire du maire Bourque (avec Super Mario qui n'est jamais bien loin...) à se mettre sous la dent. « Une île, une ville », on n'a pas fini d'en entendre parler. Si on peut fusionner de force des petites municipalités, pourquoi s'arrêter là? Pourquoi ne pas faire de l'île de Montréal une seule ville de « dimension internationale » 
  
  
  
« De la même façon que seul le propriétaire du restaurant trouve son compte dans la formule du buffet à volonté; seuls les politiciens à la tête de villes plus grandes et plus populeuses profiteront des fusions municipales forcées. »
 
 
 
          Ben oui, hein. Pourquoi pas? Après tout, avec le nombre de personnes qui habitent les banlieues environnantes et qui « profitent » de Montréal, on devrait pouvoir être tous soumis aux mêmes réglements sur les sacs de vidange, aux mêmes comptes de taxes, et endurer les mêmes politiciens.  
  
          Partager la même blonde, un coup parti?  
  
          Je ne sais pas trop quoi penser d'une île, une ville. M'est avis que mélanger les anglos avec l'est de Montréal ne marchera jamais, mais qui suis-je pour faire de telles prédictions? Et puis peut-être que bien des gens seraient ravis de partager les dépenses pour jouir en famille élargie des infrastructures et services municipaux.  
  
          Il y a cependant un os dans la soupe. Et l'idée m'est venue l'autre soir, au dîner de Cité Libre auquel Pierre Bourque était invité à présenter son projet. Au lieu d'un cinq-services, le repas venait sous forme d'un buffet chinois à tendance mandarin; c'est-à-dire un bon vieux all-you-can-eat festin.  
  
          Vous savez évidemment ce qui arrive lors de ces repas. Forcément, comme tout le monde paie un prix fixe pour une quantité indéterminée de bouffe, on est tous tentés de s'empiffrer. Pourquoi se retenir, puisque le prix final ne change pas? Pourquoi être raisonnable quand il n'y a pas de récompense au bout de l'effort?  
  
          Je regardais tout ce beau monde s'emplir des assiettes énormes, et je me suis surprise à penser que les fusions municipales auraient le même effet pervers sur la santé financière des citoyens impliqués que les trois tonnes de nouilles au poulet sur le petit estomac sensible du bon monde ordinaire. Une surconsommation de services municipaux pour un prix relativement élevé – dans mon cas et dans celui de bien d'autres, 20$ est un peu cher pour quelques pelletées de riz et deux morceaux de boeuf au gingembre.  
  
          De la même façon que seul le propriétaire du restaurant trouve son compte dans la formule du buffet à volonté; seuls les politiciens à la tête de villes plus grandes et plus populeuses profiteront des fusions municipales forcées.  
  
          Ça ne peut pas être bon pour la santé, ces machins-là. Non plus que pour le porte-feuille.  
 
 
 
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