Montréal, 18 déc. 1999 - 7 jan. 2000 |
Numéro
52
|
(page 3) |
|
|
L'hostilité des experts face au progrès
Presque tous les inventeurs d'importance ont eu un jour ou l'autre à affronter le ridicule, l'opprobre et l'hostilité ouverte de leurs contemporains pour développer une intuition en laquelle ils croyaient fortement. Si l'ont comprend facilement l'opposition d'intérêts économiques et politiques bien établis face à des innovations qui menacent leur gagne-pain, il est plus surprenant de constater que bien souvent les ennemis du progrès ont été d'autres individus extrêmement créatifs. James Watt et Matthew Boulton, deux pionniers dans le développement des machines à vapeur, considéraient ainsi l'idée d'une locomotive à vapeur comme le fruit d'une déficience mentale. Thomas Edison, l'un des plus grands inventeurs du XIXe siècle, combattit énergiquement l'usage du courant alternatif. Il considérait également la capacité de son phonographe à reproduire de la musique comme dénué d'intérêt commercial(2). Watt et Edison sont toutefois des cas extrêmes, car bien souvent les experts en place ne sont qu'incrédules face au potentiel de certaines avancées techniques. Les premiers informaticiens croyaient par exemple dur comme fer que les ordinateurs n'auraient que quelques applications scientifiques et militaires et qu'une dizaine suffiraient à combler la demande du marché américain. L'un des pionniers, Howard Aiken, est passé à la postérité parce qu'il affirma en 1956 que si la logique d'une machine conçue pour résoudre des équations différentielles coïncidait avec la logique d'une machine destinée à faire la comptabilité d'un grand magasin, il considérerait cela comme la
La myopie apparente de spécialistes réputés ne doit toutefois pas nous étonner, car un expert n'examine généralement un problème qu'à partir d'un certain nombre de variables avec lesquelles il est très familier. Sa formation et son expérience lui sont très utiles pour perfectionner une façon de faire bien établie, mais elles sont bien souvent des oeillières lorsqu'il doit évaluer une alternative. Comme le veut l'expression consacrée: Un autre facteur important est que la plupart des innovations techniques apparaissent sous une forme primitive qui est ensuite modifiée par tout un ensemble de petites améliorations, ce qui rend les versions ultérieures adaptables en des circonstances où elles ne l'étaient pas auparavant. De plus, la réutilisation des savoir-faire dépend souvent d'innovations dans des secteurs complémentaires (l'utilisation du laser dans les télécommunications n'a été rendue possible que par des améliorations continues dans le domaine des fibres optiques). L'inutilité de la planification étatique Si l'on peut retenir une leçon de l'incapacité des experts à identifier les 1. Voir également le site du Altshuller Institute for Triz Studies. >> 2. Pour une liste plus détaillée, voir John Jewkes, David Sawers and Richard Stillerman (ed.), The Sources of Invention, 2nd edition, London: MacMillan, pp. 115-16, 1969. >> 3. Patrice Flichy, L'innovation technique. Récents développements en sciences sociales: Vers une nouvelle théorie de l'innovation, Paris: La Découverte, p. 134, 1995. >> 4. Aldo La Rocca, pp. 94-103, 1982. >> 5. Nathan Rosenberg, Exploring the Black Box: Technology, Economics and History, New York: Cambridge University Press, p. 93, 1994. >> Articles précédents de Pierre Desrochers |
sommaire |
|