(Lectures, janvier 1995)

 
THE STONE AGE PRESENT
 
 
par Martin Masse
 
 
RECENSION DE LIVRE: The Stone Age Present, par William F. Allman
(New York: Simon & Schuster, 1994)
 

    Il y a tant d'événements qui semblent avoir une ampleur révolutionnaire, en cette fin de siècle mouvementée, que nous risquons de ne pas apprécier pleinement les révolutions intellectuelles qui semblent moins spectaculaires, mais dont les conséquences à long terme seront plus significatives. C'est pourquoi je trouve important de revenir sur le thème de la psychologie évolutionniste, abordé une première fois ici il y a trois mois avec The Moral Animal, le livre-charnière de Robert Wright.
    Cette nouvelle discipline tente de répondre à des questions abstraites qui ont préoccupé théologiens et philosophes depuis des siècles. Mais, plus simplement, elle se penche sur des phénomènes qui touchent chacun dans la vie quotidienne. Quelle est l'origine de la moralité? À quoi servent les arts et la culture? Pourquoi certains individus sont-ils plus violents que d'autres? Pourquoi accordons-nous tant d'attention aux potins et commérages qui dominent la plupart des conversations? Pour la première fois, des explications qui sont fondées sur autre chose que des spéculations métaphysiques ou des préjugés culturels émergent.
    On a tendance à l'oublier tellement c'est devenu évident mais l'idée que l'espèce humaine a évolué au cours des millénaires, comme les autres espèces animales, n'a pas une très longue histoire. Charles Darwin publiait The Descent of Man il y a à peine 125 ans; les premiers fossiles d'australopithèques n'ont été découverts en Afrique que dans les années 1920; et ce n'est que depuis les années 1950 que l'on a une image plus ou moins cohérente de l'évolution de nos ancêtres de l'espèce Homo depuis trois millions d'années.
    Jusqu'à très récemment, toutes ces recherches ont été évidemment concentrées autour de l'aspect le plus immédiatement accessible, c'est-à-dire l'évolution du corps humain. Après tout, les indices qui permettent aux anthropologues de reconstituer cette histoire sont surtout des morceaux de tibia, des dents, des fragments de crâne. Ce qui se passait à l'intérieur de ces boîtes crâniennes ne s'est malheureusement pas fossilisé.
    Toutefois, depuis les années 1970, des chercheurs de diverses disciplines tentent justement de combler cette lacune et de remonter aux sources de l'esprit humain pour en comprendre le développement.
    William Allman est un journaliste scientifique qui écrit pour de nombreux magazines américains. Il a entrepris de réunir tout ce qu'il savait sur cette discipline encore un peu anarchique dans The Stone Age Present. Allman s'attache à montrer comment le comportement humain a été modelé par l'évolution, de la sexualité à la vie en société, en passant par le langage et les émotions. Chaque chapitre se concentre sur un sujet particulier et fait le tour des théories actuelles les plus crédibles.
    Le résultat est clair, concis et facile à lire, sans avoir l'ampleur de l'essai de Robert Wright. Allman se contente de bien faire son métier de journaliste et ne fait montre d'aucune originalité théorique ou littéraire. Mais le livre est tout de même d'un intérêt incontestable, en ce qu'il représente une première tentative de vulgariser les recherches de la psychologie évolutionniste pour un large public.
    Les révolutions américaine, française ou russe sont des événements importants, mais les historiens et politologues qui s'y intéressent en auraient sûrement une bien meilleure compréhension s'ils connaissaient aussi la révolution du Paléolithique supérieur, ou celle du Néolithique, lorsque sont apparues l'agriculture et la sédentarisation il y a 10,000 ans.
    J'irais jusqu'à dire que tout lecteur qui s'intéresse aux sciences humaines et à la philosophie devrait - devra, un jour ou l'autre - lire l'un de ces ouvrages. C'est rien de moins qu'un nouveau paradigme sur le sens de la vie humaine qui en émerge. Le temps est fini où l'on pouvait discourir sur l'éthique, l'esthétique, l'amour, en se référant uniquement à Kant ou à St-Thomas-d'Aquin. Même ces notions philosophiques abstraites sont en voie d'acquérir des fondements scientifiques.
    Le défi est le même pour la sociologie, les sciences politique et économique et la psychologie conventionnelle, qui posent toutes implicitement l'existence d'un esprit malléable, presque entièrement déterminé par son environnement culturel, et surgi du néant avec l'apparition des sociétés civilisées que nous connaissons. On ne pourra pas prétendre encore bien longtemps comprendre la réalité de notre espèce, dans quelque domaine que ce soit, en faisant abstraction des millions d'années pendant lesquelles la nature humaine a été formée et est devenue ce qu'elle est aujourd'hui.
 
 

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