(Lectures, septembre 1994) |
par Martin Masse
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John Kenneth Galbraith est
l'un des trois ou quatre économistes les plus influents du XXe siècle
dans le monde anglophone. Il a été, dès les années
1930, l'un des penseurs du New Deal dans l'Administration Roosevelt;
il a joué un rôle important dans la planification de l'économie
de guerre au cours de la Seconde Guerre mondiale; il fut aussi conseiller
économique des présidents Kennedy et Johnson.
Lorsqu'un personnage d'une
telle stature publie des mémoires professionnelles où il
passe en revue les faits et les idées économiques qui ont
jalonné sa longue carrière, on devrait s'attendre à
un bouquin d'un intérêt exceptionnel, rempli d'anecdotes captivantes,
de points de vue originaux, de perspectives inédites sur l'histoire.
A Journey Through Economic Time ne fait malheureusement pas partie
de cette catégorie.
John K. Galbraith est le
principal héritier du britannique John Maynard Keynes, qui a révolutionné
la pensée économique durant la Dépression en donnant
une base théorique à l'activisme gouvernemental. Galbraith
semble avoir été marqué par cette période du
début de sa carrière. Tout le livre reprend en fin de compte
les principaux dogmes du keynésianisme et les applique à
différents événements jusqu'aux années 1990.
La conclusion est toujours la même: le marché favorise surtout
les riches, plus d'interventionnisme étatique est toujours préférable
à moins, il n'y a jamais de problème à augmenter les
taxes, et les déficits budgétaires sont toujours salutaires
pour accroître la demande globale et relancer l'économie.
Ceux qui cherchent des
pistes intellectuelles pour renouveler le discours économique de
la gauche seront déçus par ce livre. On n'y trouve aucune
trace d'autocritique, aucun doute sur les limites d'une politique qui a
d'abord été une réaction aux circonstances troublées
et exceptionnelles que furent la Dépression et la guerre.
On peut voir à quel
point l'économiste est déconnecté de la réalité
lorsqu'il aborde des événements de l'histoire plus récente.
Sur la révolution capitaliste qui se produit en Chine en ce moment,
et qui est en voie de sortir le quart de l'humanité de la misère
du communisme, M. Galbraith n'a qu'un petit commentaire complètement
insignifiant:
On comprend mieux comment
le professeur a pu faire l'incroyable recommandation, dans une entrevue
au Point à Radio-Canada l'année dernière, d'augmenter
le déficit comme solution aux maux de l'économie canadienne.
À part les hurluberlus du NPD, tout le monde est pourtant d'accord
pour considérer le déficit et l'énorme dette accumulée
du Canada comme des causes du problème!
L'un des arguments repris
tout au long du livre en faveur de l'interventionnisme est que la bêtise
et l'ignorance sont des facteurs déterminants dans le comportement
des individus. Une politique de laisser-faire laisse donc libre cours à
ces instincts destructeurs chez les financiers, entrepreneurs et consommateurs.
C'est pourtant le même argument qu'utilise le libéralisme
pour éviter de donner trop de pouvoir aux bureaucrates, politiciens
et planificateurs patentés. Mais dans la philosophie galbraithienne,
ces derniers
Ce n'est pas uniquement
à cause de ces limites sur le plan idéologique que le livre
de J.K. Galbraith est décevant. Une bonne partie est constituée
de commentaires plus ou moins banals et pas toujours fondés concernant
des phénomènes sociaux et politiques. M. Galbraith ne réussit
pas par ailleurs à trouver l'équilibre entre le général
et le particulier qui devrait caractériser un survol de presque
un siècle d'histoire.
Étrangement, même
si lui-même a été un acteur de premier plan dans de
nombreux épisodes qu'il décrit, on ne sent pas sa présence,
ni d'ailleurs celle d'autres personnages qu'il a côtoyés de
près. Roosevelt, Kennedy, Johnson, Keynes et d'autres restent des
abstractions. L'intérêt d'un tel survol aurait pourtant été
d'y découvrir un point de vue plus personnel que celui offert par
les livres d'histoire conventionnels, que l'on soit ou non d'accord avec
l'interprétation du narrateur.
En fin de compte, le voyage
historique et économique auquel nous convie John K. Galbraith s'avère
n'être qu'une promenade un peu ennuyante, racontée sous l'angle
d'une philosophie dépassée et discréditée.