(Lectures, octobre 1994)

 
THE MORAL ANIMAL
 
 
 
par Martin Masse
 
 
RECENSION DE LIVRE: The Moral Animal: The New Science of Evolutionary Psychology, par Robert Wright (New York: Pantheon Books, 1994)
 

    Pourquoi la presque totalité de ceux qui consomment de la pornographie ou commettent des viols sont-ils des hommes? Pourquoi a-t-on de la difficulté à imaginer qu'une femme soit « galante » envers un homme, ou lui « fasse la cour », plutôt que l'inverse? S'agit-il simplement d'un trait culturel ou de dispositions de l'esprit humain qui sont innées et communes à toutes sociétés et toutes époques? Voilà quelques-unes des innombrables questions sur la nature humaine que tente d'élucider ce fascinant volume.
    Depuis les travaux des anthropologues Boas, Benedict et Mead plus tôt dans ce siècle, le paradigme dominant veut que ce soit l'acquis, l'influence de l'environnement, qui dicte la plus grande partie du comportement humain. Le concept même de « nature humaine » a été évacué du vocabulaire des sciences sociales, parce que jugé trop déterministe.
    Robert Wright remet les pendules à l'heure dans cet essai sur la nouvelle science de la psychologie évolutionniste. En bref, il s'agit ici de reprendre la théorie de la sélection naturelle de Darwin qui a surtout été utilisée pour expliquer l'évolution morphologique des animaux (les queues de paon, les différents becs d'oiseaux, etc.) et de l'appliquer au comportement animal, en particulier l'animal humain.
    Tout le monde sait que « l'homme descend du singe », mais bien peu de gens sont prêts à concevoir qu'une bonne partie de leur vie, de leurs désirs, perceptions, bonheurs et souffrances prennent la forme qu'ils ont parce que le cerveau de leurs ancêtres australopithèques s'est développé d'une façon particulière pendant quelques millions d'années. De la même façon que ce sont les oiseaux au bec le mieux adapté aux conditions de leur environnement qui ont survécu et fait le plus de descendants, ce sont les australopithèques qui avaient les stratégies de survie et de reproduction les mieux élaborées qui ont fait de même. Et les gènes qui ont « programmé » ces stratégies sont ceux qui se sont le plus répandus, et qui sont encore présents dans chacune de nos cellules.
    Il faut, pour tenter de répondre aux questions du début, constater de façon un peu crue une réalité propre à la plupart des espèces animales: les ovules des femelles sont beaucoup plus rares et précieux que le sperme des mâles.
    Ça peut sembler idiot, et il faudrait bien plus que quelques paragraphes pour donner une idée de l'importance absolument primordiale de ce simple fait biologique. Disons simplement que cette constatation est le point de départ d'une quantité incroyable d'explications concernant nos rapports avec notre entourage.
    Chaque chapitre de ce livre est d'un intérêt exceptionnel. La première partie se concentre sur les questions de sexualité, de rapports amoureux, de procréation, de famille, etc. Le reste du livre touche des questions psychologiques et sociales au sens large, dans une optique qui vise toujours à rattacher les fondements de ce que nous appelons la moralité à, encore une fois, des stratégies de survie et de reproduction. Certains se diront peut-être que très peu de gens, aujourd'hui, se préoccupent de la survie de leur espèce et de la taille de leur progéniture. Vrai. Mais notre bagage génétique s'est développé dans les conditions de vie des sociétés primitives de chasseurs-cueilleurs qui étaient celles de nos ancêtres jusqu'à très récemment. C'est à ce contexte que notre comportement (très souvent de façon inconsciente) est adapté, et là peut-être réside la source des désordres d'une société moderne que la « sélection naturelle » n'avait pu prévoir.
    La théorie darwinienne a déjà été utilisée à d'autres sauces, pas toujours très scientifiques et parfois pour justifier les pires aspects de la nature humaine plutôt que les meilleurs. Au tournant du siècle, un darwinisme social en vogue se réjouissait par exemple du plus haut taux de mortalité chez les pauvres, y voyant une conséquence naturelle de la survie du plus fort et une condition pour l'amélioration de l'espèce.
    La nouvelle psychologie darwinienne ne ressemble en rien à ce genre de balivernes extrémistes, même si le sujet demeure controversé dans les milieux académiques depuis l'émergence de la sociobiologie dans les années 1970. Pour ceux que ça inquiète, l'auteur est aussi journaliste au très progressiste The New Republic.
    Cette théorie cherche plutôt à rétablir un équilibre et ne retombe pas non plus dans un déterminisme génétique qui serait à l'opposé du relativisme culturel à la mode. Le livre est toujours captivant, facile à lire pour les non-initiés et surtout extrêmement convaincant. Une lecture essentielle pour quiconque s'intéresse à la nature humaine et veut voir sur quoi se baseront les sciences sociales et une philosophie plus terre à terre au XXIe siècle.
 
 

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