Tous ceux
qui rejettent la logique selon laquelle le libre-échange commercial
a des effets bénéfiques sur l'économie ont pu se réjouir
de l'échec des négociations de l'Organisation mondiale du
commerce (OMC) il y a quelques semaines à Seattle. Les socialistes,
anarchistes, écolos, protectionnistes et autres illettrés
économiques ont chacun leurs raisons de vouloir empêcher leurs
compatriotes d'échanger avec des étrangers.
Mais les libre-échangistes, eux, doivent-ils pour autant se désoler
de cet échec? Pas du tout. Le terme « libre-échange
» dans le débat actuel réfère en fait
à des pratiques commerciales qui sont tout sauf libres, encadrées
par des accords bilatéraux et multilatéraux, soumises à
de multiples contrôles et inspections, régies par des mesures
d'exception et entravées par des barrières plus ou moins
flagrantes. L'OMC n'est qu'un forum mondial où les participants
viennent s'affronter en cherchant à obtenir des « concessions
» des autres (i.e. qu'ils ouvrent plus leur marché)
tout en concédant le moins possible (i.e. en se « protégeant
» contre les importations). Cette logique n'est pas celle
du libre-échange, c'est celle du mercantilisme.
Le mercantilisme est cette théorie économique très
à la mode aux XVIe et XVIIe siècles, qui stipulait que la
richesse d'un pays est fondée sur la quantité de pièces
d'or qu'il peut accumuler. Ces pièces d'or, on les obtenait en favorisant
l'exportation (donc, en rapatriant l'or avec lequel les clients étrangers
nous paient) et en empêchant le plus possible les importations (pour
éviter que l'or ne sorte du pays lorsqu'on paie les fournisseurs
étrangers). Cette théorie est absurde pour plusieurs raisons
évidentes, notamment parce que l'or en soi n'est qu'un moyen d'échange,
il n'est pas la cause de la richesse. Si on ne s'en sert pas pour
importer des biens autant qu'on en exporte (et donc pour accroître
son bien-être avec des produits et services de l'étranger),
on ne fait qu'augmenter la quantité de monnaie en circulation dans
le pays, ce qui engendre de l'inflation. L'Espagne, qui a importé
des quantités phénoménales d'or de ses colonies d'Amérique,
ne s'est jamais remise des distorsions économiques que cela a provoqué.
Cette théorie est absurde mais c'est pourtant celle qui continue
à sous-tendre les négociations commerciales tout comme l'analyse
des données économiques. Lorsque Statistique Canada annonce
des chiffres sur le commerce canadien, on se réjouit si la balance
commerciale est positive et si elle augmente; on le déplore si c'est
l'inverse.
La théorie économique contemporaine est pourtant tout à
fait claire sur ce point: le libre commerce est une bonne chose, il encourage
une division du travail bénéfique pour tous en permettant
aux pays, régions et entreprises de se concentrer sur la production
de biens et services où ils ont des avantages comparatifs. Un pays
qui élimine toutes ses barrières au commerce en sort gagnant,
même s'il est le seul à le faire. Ses consommateurs peuvent
profiter d'importations moins chères (à cause de tarifs nuls
mais aussi parce que les subventions à l'exportation profitent,
en bout de ligne, aux consommateurs des pays qui importent), ses entreprises
sont incitées à être plus compétitives et à
mieux utiliser leurs ressources, et l'efficacité générale
engendrée par l'absence de distorsions fait en sorte de rendre son
économie beaucoup plus productive que celle de ses concurrents.
Pendant les années d'après-guerre, les accords du GATT ont
permis une croissance soutenue du commerce mondial en réduisant
considérablement les tarifs sur les biens importés. Même
avec une approche mercantiliste, il était alors beaucoup plus facile
pour des gouvernements de s'entendre sur une baisse de quelque chose d'aussi
évident et facile à mesurer. Aujourd'hui, alors qu'on discute
du commerce des services, des produits agricoles, de culture, de pratiques
protectionnistes comme les tracasseries administratives, subventions et
quotas, réglementations ou obstacles à la distribution, il
n'est tout simplement plus possible d'arriver à un accord.
Le véritable libre-échange ne surviendra pas en mettant des
politiciens et des bureaucrates du monde entier dans une grande salle pour
qu'ils s'entendent sur des dossiers d'une telle complexité, alors
que leur perspective reste celle, fausse et néfaste, du mercantilisme.
Cela ne fait qu'encourager tout le monde à voir dans ces négociations
une sorte de combat où il y a des perdants et des gagnants, alors
que le commerce ne peut faire que des gagnants. Et cela donne un pouvoir
indu à des manifestants barbares et à des groupes de pression
qui ne représentent aucunement les intérêts de la population.
Il y a un moyen bien simple pour les gouvernements qui le veulent de promouvoir
le libre-échange: éliminer complètement et unilatéralement
toute forme de barrière au commerce. On n'a pas besoin d'une bureaucratie
mondiale comme l'OMC pour faire cela.