(Le Devoir, 10 août 1994)

 
LOUISE HAREL ET SON PARTI
 
 
 
par Martin Masse
 
 

    À moins d'une catastrophe inattendue, Louise Harel entreprendra dans quelques semaines son quatrième mandat comme députée d'Hochelaga-Maisonneuve.
    Coincé entre le port, les installations olympiques et des cours de triage ferroviaires, ce vieux quartier ouvrier est l'un des plus charmants de l'île - la raison pour laquelle j'y habite depuis plusieurs années - mais aussi l'un des endroits les plus pauvres au Canada. Un comté idéal pour Louise Harel, politicienne activiste reconnue pour son franc-parler et sa défense des chômeurs et des démunis. Une femme chaleureuse qui n'a pas l'ego hypertrophié de certaines vedettes de son parti attirées par l'odeur du pouvoir.
    Lorsque je l'ai rencontrée au début de la campagne, Mme Harel revenait de son stage annuel d'immersion dans la langue de Shakespeare à Lennoxville. Elle est fière de pouvoir maintenant converser en anglais avec une certaine aisance. Une démarche loin d'être évidente pour quelqu'un qui a longtemps tenu un discours radical sur les questions de langue et de « libération » nationale.
    Au temps où elle militait à l'Association étudiante de l'Université de Montréal, Louise Harel a été l'une des principales organisatrices du Mouvement McGill français, qui visait à transformer McGill en seconde université francophone à Montréal (l'UQÀM venait d'être créée et n'existait que sur papier). Une action nationaliste typique de l'esprit revanchard de l'époque, où l'on consacrait plus d'énergie à chercher à détruire les symboles de succès chez l'Autre qu'à tenter de surmonter ses propres déficiences.
    Heureusement, ce mouvement n'a pas réussi à tuer McGill et Mme Harel serait maintenant la dernière à soutenir une telle folie. Elle considère l'institution comme l'une des richesses du Québec. Lors d'un voyage à Hong Kong, une publicité où l'on mentionnait le réseau des gradués de l'université lui a fait prendre conscience que celle-ci tissait plus de liens entre le Québec et le reste du monde que bien des délégations du Québec à l'étranger. Mme Harel se réjouit qu'on puisse maintenant à la fois appuyer l'indépendance et rejeter l'idéologie nationaliste qui en a toujours été la justification principale. Tant mieux si les jeunes ne sentent plus le besoin de militer comme avant. C'est la preuve que les choses ont beaucoup changé et que ses efforts des 25 dernières années ont, d'une certaine façon, porté fruits.
    La nouvelle ouverture d'esprit de la députée d'Hochelaga envers l'anglophonie québécoise a toutefois ses limites. Mme Harel souhaite le retour à l'unilinguisme français dans l'affichage, parce qu'elle considère impérieux d'envoyer le message aux immigrants que cette société fonctionne en français. On la sent toutefois ouverte à des compromis, et ses hésitations reflètent bien les divisions sur le sujet au sein de son parti.
    L'évolution de Louise Harel s'inscrit en parallèle avec celle du Parti québécois depuis 25 ans. La notion d'indépendantisme non nationaliste n'aurait eu aucun sens en 1968. Mais, malgré cela, il faut bien constater une évidence: ce nouveau pragmatisme arrive un peu tard et ne convaincra aucun anglophone. Le PQ contient encore trop de nationalistes excités et pressés pour être un parti véritablement rassembleur.
    Et c'est sans compter la dimension socioéconomique, où les limites de la transformation idéologique péquiste sont encore plus manifestes, malgré l'arrivée de candidats des milieux d'affaires.
    Comme son chef, Louise Harel croit que les difficultés économiques du Québec tiennent d'abord à une question de pouvoir. Rapatrier tous les pouvoirs au Québec, en transférer une partie aux régions, et surtout s'en servir pour intervenir partout, voilà ce qui nous permettra d'assurer la relance. L'approche est essentiellement bureaucratique: l'État - notre État, la différence est là - possède la solution à tout. Si nos politiciens et nos bureaucrates ont tous les pouvoirs pour taxer, dépenser, réglementer et investir, les problèmes se régleront comme par magie.
    Comme l'État ne contrôle pas toute l'économie, Mme Harel consent tout de même à parler de l'importance des entreprises... communautaires! Elle mentionne le Chic Resto Pop, une cuisine à but non lucratif pour les pauvres du quartier, comme exemple du genre d'entreprise qu'elle aimerait voir se multiplier.
    On doute qu'elle-même serait prête à délaisser sa façon « égoïste » de se nourrir - en achetant seule ses aliments chez un commerçant dont le but est de faire du profit - pour bénéficier des services tellement plus motivés par la compassion - ou est-ce la nécessité? - du Resto Pop. Mais c'est le propre des gauchistes de la classe moyenne d'admirer les vertus communautaires chez les pauvres, tout en profitant eux-mêmes des largesses de l'État et de l'efficacité du marché.
    Oui, Louise Harel a évolué. Oui, le PQ est un parti plus diversifié et plus pragmatique qu'il l'était dans les années 1970. Mais il ne faudrait tout de même pas trop s'illusionner sur l'ampleur de ce changement.
 
 

articles précédents de Martin Masse