(Le Devoir, 11 novembre 1992) |
par Martin Masse
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Signe
possible d'une plus grande maturité de la société
québécoise, le nationalisme a mauvaise presse depuis quelque
temps. Des points de vue post-nationalistes sont élaborés
pour donner un nouveau souffle aussi bien à l'option fédéraliste
qu'à l'indépendantisme. La tentative de Laurent-Michel Vacher
à cet égard (Contre le nationalisme, Le Devoir, 28
octobre 1992) n'est pas des plus heureuses.
M. Vacher s'en prend au
mouvement nationaliste de revendication qui demande plus d'autonomie pour
le Québec mais qui craint une rupture politique totale d'avec le
reste du Canada. Ce mouvement sèmerait la confusion, serait signe
d'impuissance, d'hésitation et de fléchissement, et serait
même responsable de l'étouffement du projet d'indépendance.
Il est certainement de
bonne guerre de s'en prendre à ceux qui s'assoient entre deux chaises
et qui font preuve d'incohérence et de naïveté. Le principal
problème des nationalistes autonomistes en est un de réalisme
politique. Ils ne se sont toujours pas rendu compte que leur option est
impraticable, même si la dernière saga constitutionnelle qui
a mené à l'échec de Charlottetown vient de le démontrer
une fois de plus.
Cela dit, le nationalisme
est un concept fourre-tout et il y a d'autres façons de le définir.
Dans une autre de ses acceptions, il est une idéologie collectiviste
qui vise la libération d'un groupe opprimé, dans ce cas-ci
la collectivité dite
L'idéologie nationaliste
a donc tendance à noircir la réalité du groupe en
le décrivant comme exploité, opprimé par un
Autre colonisateur, tout en faisant miroiter les splendeurs d'un
Loin de prendre ce discours
pour ce qu'il est, c'est-à-dire une version stéréotypée
et mystifiée d'une réalité sociale beaucoup plus complexe,
M. Vacher l'accepte au contraire au premier degré et juge que
On a rarement vu la mythologie
nationaliste être déployée de façon aussi candide.
En fait, M. Vacher rejette le nationalisme revendicateur pour la bonne
raison qu'il est un nationaliste radical à un autre niveau.
Il n'est d'ailleurs pas
le seul à exploiter cette veine. Dans leur anthologie publiée
il y a quelques semaines (Les grands textes indépendantistes),
Andrée Ferretti et Gaston Miron reprennent le même discours.
Selon eux, le nationalisme
Mais qu'est-ce donc qui
est si uni et indivisible que ça?! Quelle est la pertinence de ce
type d'arguments dans une société moderne, libérale,
prospère, où les individus sont parfaitement libres de s'exprimer
et de militer pour l'option politique de leur choix, y compris celle de
l'indépendance? Ne vient-on pas de rejeter démocratiquement
ce que nos nationalistes radicaux aiment bien voir comme la dernière
tentative du Canada d'imposer son joug colonisateur et assimilateur sur
notre cher petit peuple?
Lors d'un récent
débat sur cette question à la librairie Champigny, Mme Ferretti
m'accusait d'être individualiste, de rester insensible aux souffrances
de mes pôvres compatriotes et de vouloir faire table rase du passé.
Invectives typiquement nationalistes! Enfant de la Révolution tranquille,
je ne fais pourtant que me situer dans le déroulement logique des
30 dernières années.
En décidant de renier
l'identité canadienne-française et une bonne partie de ce
qu'elle représentait, ceux qui ont adopté et propagé
l'identité québécoise après la Révolution
tranquille ont du même coup éliminé la pertinence de
l'idée d'aliénation. Ils ont jeté par-dessus bord
la définition du groupe sur des bases ethniques, le cléricalisme,
notre supposée prédestination à la vie rurale, le
défaitisme, les complexes d'infériorité, les attitudes
anti-libérales qui en étaient presque venues à définir
cette société.
D'un point de vue québécois,
le nationalisme et l'aliénation nationale sont des concepts périmés.
La collectivité québécoise n'est pas la même
chose que la collectivité canadienne-française. La thérapie
de choc psycho-historique que vous souhaitez voir venir, M. Vacher, a déjà
eu lieu - il y a une génération de cela!
Si l'on juge fausse ou
dépassée la thèse de l'aliénation, la seule
attitude cohérente n'est pas, comme vous le prétendez, la
conversion franche au fédéralisme. On peut au contraire soutenir
que, des options politiques qui s'offrent à nous, l'accession à
l'indépendance est justement celle qui offre le meilleur potentiel
pour soutenir à long terme le dynamisme de notre société.
Tous ça n'a rien à voir avec la Conquête et les bébittes
de notre histoire mais avec un présent et un futur porteurs de sens.
Le problème évidemment,
c'est que les changements sociaux n'ont pas lieu de façon instantanée.
Partis de zéro en 1960, l'attachement prioritaire au Québec
et l'idéal indépendantiste ont rejoint environ la moitié
de la population aujourd'hui. Ce n'est pas suffisant encore pour procéder
à des réaménagements politiques majeurs. Mais, comme
le disait Lise Bissonnette ce même 28 octobre,
À quoi bon paniquer,
M. Vacher? Ce n'est pas en tirant sur les pissenlits qu'on les fait pousser
plus vite. Pourquoi ne pas se concentrer plutôt sur d'autres moyens
de faire progresser cette société, de la rendre plus intéressante
et dynamique, en attendant qu'une majorité nette se dégage
en faveur de l'indépendance? C'est ce que l'on fait depuis trois
décennies et ça a plutôt bien marché.
Le débat qui a eu
lieu au sein du Parti québécois en 1984-85 n'a, d'une certaine
façon, toujours pas été réglé. Le projet
d'affirmation nationale de Pierre-Marc Johnson, s'il n'avait pas dégénéré
en un slogan opportuniste et vide de sens, aurait peut-être pu servir
de point de ralliement. Entre-temps, l'étapisme honni de tous continue
d'être pratiqué par des leaders souverainistes qui doivent
composer avec une situation mouvante et incertaine. Qu'est-ce qui empêchait
M. Parizeau de parler de souveraineté
M. Vacher, dans votre excellent
ouvrage sur la philosophie pragmatiste américaine (L'empire du
moderne, 1990), vous opposiez les philosophies européenne et
américaine en exprimant votre sympathie pour la seconde. Vous notiez
que
Je doute que, si les politiciens
devaient adopter votre vision des choses,
Des deux types de nationalismes,
ce n'est pas celui qu'expriment les autonomistes revendicateurs qui est
le plus néfaste. Ceux-ci finiront bien pas se rendre à l'évidence
que leur option n'a pas d'avenir et se rangeront alors du côté
des indépendantiste.
C'est plutôt la mixture
millénariste des idéologues nationalistes qui voudraient