(Le Devoir, 23 septembre 1995) |
par Martin Masse
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Pour
des libertariens, moins de gouvernement est de façon générale
synonyme de plus de liberté individuelle. En théorie, se
débarrasser d'un niveau complet de gouvernement semble une façon
idéale de couper au moins deux ou trois des têtes de l'hydre
étatique.
Mais nos amis qui prétendent
que la séparation du Québec serait bénéfique
pour les libertés dans ce pays font preuve d'une grande naïveté.
Malgré toutes les compressions dans la santé annoncées
récemment, l'hydre ne pourrait trouver environnement plus propice
à faire repousser ses membres disparus qu'un Québec indépendant.
D'entrée de jeu,
on devrait se méfier d'un gouvernement prêt à piétiner
l'ordre constitutionnel en déclarant unilatéralement l'indépendance.
Dans un État de
droit, les libertés sont protégées par la Constitution
et les tribunaux contre les caprices du gouvernement en place. Une province
ne peut se séparer sans l'accord du reste du Canada à moins
d'être prête à imposer, si nécessaire par la
force, son autorité illégale. Le droit international ne fait
que reconnaître ce coup de force s'il réussit.
Personne ne contesterait
le désir exprimé par une forte majorité de Québécois
de fonder leur propre pays. Ce n'est pas le cas ici. L'appui au séparatisme
n'atteint des sommets appréciables que lorsqu'on fait croire aux
votants qu'un Québec séparé continuerait plus ou moins
à faire partie du Canada.
Même dans la meilleure
des hypothèses, un OUI gagnant n'aura obtenu que 51 ou 52% des voix.
C'est donc dire que le nouvel État du Québec devra être
proclamé contre la volonté de la moitié de ses nouveaux
citoyens.
Faire éclater l'ordre
complexe qu'est la fédération canadienne sans tenir compte
des conséquences est un risque énorme à prendre. Accepter
un changement politique aussi radical avec l'appui fragile d'à peine
la moitié des citoyens, c'est, écrirait Hayek, succomber
à la tentation
Pour protéger les
libertés, il faut aussi maintenir un ordre politique stable, un
consensus sur certaines règles du jeu ayant trait à la vie
en société. Un Québec indépendant sera au contraire
un pays divisé, instable, où la légitimité
du système politique et judiciaire lui-même sera contestée.
Le gouvernement de ce nouveau
pays utilisera le seul moyen efficace pour éviter les troubles,
les conflits et la désintégration possible de son pouvoir:
il limitera les libertés.
Le risque est d'autant
plus grand que ceux qui mettent ce projet de l'avant le font essentiellement
pour des raisons collectivistes. Malgré toutes les prétentions
au changement entendues ces dernières années, ce sont le
nationalisme et le socialisme, ces deux fossoyeurs des libertés,
qui motivent encore la très grande majorité des séparatistes
québécois. Un OUI consacrera leur suprématie.
Le gouvernement d'un Québec
indépendant aura les mains libres pour imposer sa vision tribale,
telle que définie dans le préambule au projet de loi sur
la souveraineté, qui distingue clairement entre ce
Il restreindra encore plus
les libertés linguistiques et utilisera le protectionnisme et les
subventions pour infléchir les choix culturels des citoyens. Le
contrepoids que constitue le fédéralisme canadien ne pourra
plus faire obstacle à la volonté des nationalistes de remodeler
l'ordre social pour qu'il corresponde à leur idéal mystique
et passéiste.
Ce nouvel État disposera
aussi de moyens accrus pour intervenir dans tous les secteurs de l'économie
et de la société.
Depuis son élection
il y a un an, le gouvernement du Parti québécois multiplie
les gestes qui vont dans ce sens: réforme centralisée et
bureaucratique du système de santé, réglementation
de la formation de la main-d'oeuvre, multiplication des programmes
Ce gouvernement ne croit
manifestement pas dans la capacité des citoyens d'agir de façon
responsable et de faire les choix qui leur conviennent dans un système
de libre marché. Il croit au contraire que la liberté est
néfaste, qu'elle nuit à la poursuite de l'idéal nationaliste
et socialiste, et que seuls une utilisation systématique des
La question n'est pas de
savoir si les Québécois peuvent se gouverner seuls et préserver
eux-mêmes leurs libertés. Bien sûr qu'ils le peuvent,
comme tous les autres peuples, si les conditions intellectuelles et politiques
requises les y mènent.
La victoire du OUI au référendum
mènerait toutefois à la situation contraire. Autant le processus
d'accession à l'indépendance que la domination politique
d'un mouvement doublement collectiviste qui s'ensuivrait auraient des effets
liberticides. C'est pourquoi nous voterons NON.
(Ce texte est cosigné par Jean-Luc Migué, professeur à l'ENAP; Gilles Guénette, étudiant à l'UQÀM; Rick Blatter, entrepreneur; et Céline Martin-Flynn, avocate.)