(Le Devoir, 27 juillet 1994) |
par Martin Masse
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Il n'y a pas beaucoup de tribunes pour les débats d'idées
au Québec. Aux États-Unis et dans les grands pays européens,
les courants idéologiques s'affrontent dans les hebdos d'actualités
et les mensuels spécialisés, en plus des pages d'opinion
des quotidiens. Le marché est trop petit au Québec pour soutenir
une telle diversité de publications.
On devrait donc se réjouir
de l'existence d'un journal
Aucune raison, par exemple,
de retenir l'analyse que fait le directeur Jacques Dufresne dans le numéro
de juillet des types de nationalismes au Québec. Je pense bien connaître
une ou deux choses sur le sujet mais à moins que mon sens de la
distinction analytique ne me fasse défaut, la classification élaborée
par M. Dufresne ne nous apprend strictement rien.
Y a-t-il vraiment une différence
sémantique essentielle entre le
Je me suis longuement questionné
pour comprendre la source de l'ennui qu'induit la lecture de l'Agora.
J'ai fini par déceler deux courants qui définissent bien
la personnalité du journal.
D'abord, il y a le côté
granola. À l'heure du multimédia et du design accrocheur,
l'esthétique du journal de M. Dufresne fait dans la banalité
calculée, sur un papier de mauvaise qualité qui s'effrite
et jaunit à vue d'oeil. Question de moyens financiers? Peut-être.
Mais quoi de plus freak que l'idée qui veut que c'est l'intérieur,
le moi profond qui compte, pas l'apparence délabrée?
On trouve dans l'Agora
des articles sur la méchante médecine moderne, le retour
aux communautés de base, l'importance des vraies valeurs et autres
sujets qui font les choux gras des magazines de tendance Nouvel Âge.
Simplement, c'est écrit dans un style plus ronflant et soporifique.
L'autre orientation - les
deux ont beaucoup en commun - que je détecte dans l'Agora
est le penchant rétrograde dans le choix des thèmes, le ton
général.
Par exemple, dans le dernier
numéro, Yvan Illich poursuit sa croisade contre la médecine
hypertechnicisée et la surconsommation de médicaments et
d'interventions chirurgicales non nécessaires. Il y a effectivement
là matière à critique. Mais faut-il pour autant prôner
le retour à l'Âge de pierre? Oui, répond Illich, qui
se morfond pour
Pour lui, la médecine
moderne n'est rien d'autre qu'une mode imposé par l'Occident impérialiste.
Il faudrait plutôt chercher un équilibre intérieur
Un autre article sur le
système des mutuelles paroissiales de travail marie également
bien les deux tendances. L'auteur Gérard Bernatchez ne voit qu'avilissement
et exploitation dans l'économie moderne où le pauvre travailleur
est
Le commerce, activité
pratiquée depuis des millénaires et l'un des fondements de
notre civilisation, n'est pour l'auteur qu'une autre forme de corruption
moderne. Comme lorsque l'Ontario et les États-Unis ont l'impudence
de nous vendre des produits horticoles et de nous
Vous avez raté le
trip des communes dans les années 1970? Pas de problème,
l'Agora vous propose
Si ma mémoire est
bonne, c'est ce type de paradis rural que les Khmers rouges ont tenté
d'instaurer au Cambodge. Et des millions de gens sont morts de famine avant
qu'une invasion vietnamienne ne vienne mettre un terme à cette folie.
Ce n'est malheureusement
pas avec ce genre d'élucubrations passéistes qu'on va enrichir
les débats d'idées au Québec. Mais, en bon nationaliste
intellectuel, je vais tout de même continuer à faire mon effort
mensuel et à acheter ce journal. Question aussi de ne pas être
pris par surprise lorsque les masses paroissiales se soulèveront.