Le discernement est une caractéristique
de base de toute méthode philosophique, mais on ne doit pas s'attendre
à ce qu'elle fasse partie de la démarche de tout soit-disant
philosophe. Pierre Desjardins (Le hockey, notre miroir sur glace,
Le Devoir, 27 janvier 1993) nous l'a bien démontré
dans un article entièrement fondé sur un amalgame douteux. Pour M. Desjardins, violence
et gros sous au hockey = libéralisme économique = américanisme.
« On retrouve schématiquement dans le hockey
les principales constituantes des principes qui guident le développement
du libéralisme économique », principes
qui seraient « véhiculés chez nous par
l'américanisme ». De toute évidence, M.
Desjardins est mal renseigné sur les sports, la théorie économique
et les États-Unis. En premier lieu, le hockey
vient très loin derrière le baseball, le basketball, le football
et de nombreux autres sports en terme de popularité aux États-Unis.
Il est pratiquement inconnu dans le sud du pays. Loin d'être un symbole
des valeurs américaines, c'est surtout dans les états du
nord-est qu'il est vraiment populaire. Mais, quelle que soit sa
popularité, présumer un lien entre le hockey et le libéralisme
économique ne tient pas debout. Toutes les sociétés
à travers l'histoire ont eu leurs jeux « trèsexigeants » et « qui ne tolèrent
aucun laxisme et aucune défection ». C'est la
base même de la logique de compétition entre des équipes,
pas une « tare de l'exercice du capitalisme pur et dur
»! M. Desjardins compare justement
le hockey aux combats de gladiateurs: les arènes romaines étaient-elles
donc le lieu d'un « phénomène cathartique
de la mimésis » entre le spectateur de l`époque
et un capitalisme sauvage à la mode antique? Qu'y a-t-il donc de
si calamiteux à ce que ce sport ne soit plus que « la
réalisation d'un bon spectacle sur glace pour tirer le maximum de
profit »? Ceux à qui ça ne plaît
pas n'ont qu'à éviter de le regarder, ça aussi c'est
le libéralisme. En fait, M. Desjardins
se sert du hockey uniquement pour alimenter sa paranoïa anti-libérale
et anti-américaine, en le présentant comme un symbole de
la gangrène capitaliste qui se propage partout dans le monde. Peut-être
s'agit-il d'un nouvel axiome de la science politique qui mériterait
d'être approfondi: la popularité du hockey en Union Soviétique
et dans d'autres pays de l'ex-Bloc de l'Est aurait subrepticement propagé
l'idéologie néo-libérale et serait ainsi responsable
du déclin des régimes communistes. La défaite soviétique
lors de la série Canada-URSS de 1972 aurait donc été
l'événement précurseur de la chute du totalitarisme. C'est encore plus plausible
quand on pense que plusieurs joueurs ont filé à l'Ouest pour
être plus grassement payés dès que cela a été
possible. M. Desjardins nous aura avertis: le hockey « est
tranquillement en train de conquérir la planète ».
Tremblez pauvres mortels, la fin est proche! Cette diatribe contre le
libéralisme économique est digne des plus beaux discours
gauchistes des années 70, du temps où l'on voulait casser
le système. Ainsi, « l'appât du gain, du
profit, de la puissance économique, justifient dans nos sociétés
le recours à n'importe quelle sorte de violence »,
Mme Lise Bissonnette ferait bien de méditer sur ces vérités
premières et d'abandonner tout de suite la relance du Devoir.
En procédant à une restructuration financière de façon
à en faire une entreprise profitable et viable à long terme,
elle alimente sans le savoir les impulsions les plus destructrices dans
nos sociétés. La société
américaine est probablement plus portée que la nôtre
sur la violence, le spectacle et le matérialisme agressif. Mais
de là à en faire des caractéristiques qui définissent
la société toute entière et qui fondent une idéologie
« américaniste », il y a un pas énorme
que seule l'ignorance crasse permet de franchir. Qui plus est, M.
Desjardins est-il au fait des débats intellectuels qui agitent les
États-Unis et qui sont infiniment plus complexes que les nôtres?
Sait-il que le néo-libéralisme (Neoconservatism aux
États-Unis), loin d'être le seul courant de pensée
dans ce pays comme plusieurs le croient ici, est contesté à
droite comme à gauche et vient justement d'être évincé
du pouvoir à Washington? L'amalgame des amalgames,
il fallait s'y attendre puisque nous sommes au Québec, c'est bien
sûr lorsque M. Desjardins s'attaque au hockey, au libéralisme
et à l'Amérique anglophone pour en faire les ennemis du pauvre
petit peuple québécois. De quoi inspirer Mme Lise
Payette pour son prochain documentaire: Disparaître 2. Le
hockey fossoyeur de la nation québécoise. Et en plus, ils
veulent construire un nouveau Forum plus grand et plus fonctionnel. On
est vraiment foutu!