(Le Devoir, 29 juin 1994) |
par Martin Masse
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Je
me demande si la compagnie pharmaceutique Eli Lilly, qui a mis sur le marché
les fameuses Prozac, ne pourrait pas développer une nouvelle pilule
pour traiter plus spécifiquement les dépressions idéologiques
des idéalistes déçus qui abondent dans les milieux
culturels et intellectuels. Il s'en vendrait bien sûr des tonnes
partout en Amérique du Nord, notamment parmi les adeptes du PC qui
ne supportent plus de vivre dans un monde aussi répugnant.
Mais l'un des principaux
marchés pour la pilule serait sans doute le Québec, où
se trouve peut-être la plus importante concentration de penseurs
et d'artistes à l'imagination morbide sur le continent.
Le spleen idéologique
québécois s'exprime de la même façon depuis
des décennies: seule une mobilisation immédiate et générale
des
Des propos d'une unanimité
effarante sont régulièrement proférés sur ce
modèle, qui prolonge en fait le discours séculaire de la
survivance canadienne-française. Durant le creux de la vague nationaliste,
au milieu des années 80, Gilles Vigneault croyait ébranler
les esprits en prétendant qu'à moins de se ressaisir, dans
20 ans (!) nous parlerions tous anglais.
L'année dernière,
le philosophe Pierre Desjardins nous mettait en garde contre les effets
dévastateurs du hockey sur notre société, un sport
qui serait le cheval de Troie introduisant les valeurs néfastes
et peut-être même fatales à terme du libéralisme
américain.
On se souvient du fameux
documentaire Disparaître de Lise Payette. Plus loin dans le
temps, dans une annexe à Option Québec publié
en 1968, Jean-Marc Léger prédisait lui aussi notre mort prochaine
à moins d'un virage politique radical:
On pourrait remplir tout
le journal avec des exemples de ce genre. S'il fallait en croire tous ces
beaux esprits, nous aurions évidemment été rayés
de la carte depuis déjà longtemps. Mais cela n'empêche
pas les plus convaincus de récidiver.
La dernière en date
dans ma collection de prédictions funestes a été émise
il y a quelques semaines par le dramaturge René-Daniel Dubois, à
l'émission VSD Bonjour. Déçu de ce que le mouvement
souverainiste ne s'inspire plus autant du Che que dans le bon vieux temps,
M. Dubois nous présente une alternative un peu surréaliste
mais qui, dit-il, aura au moins le mérite de nous faire réfléchir
sur le sens de notre devenir collectif.
Pour sauver le Québec
et le Canada des affres de l'impérialisme américain et du
libéralisme galopant, il suggère que l'on propose aux Canadiens
anglais de faire du Canada un pays... francophone! Ce serait une sorte
de troc, pour donner des moyens additionnels aux deux sociétés
de se distinguer radicalement des États-Unis.
La langue française
étendue à tout le Canada servirait de barrière culturelle;
la
Nationalisme, socialisme
et anti-américanisme, voilà ce qui inspire ces propos ainsi
qu'une bonne partie de la pensée québécoise depuis
30 ans.
Pas étonnant que
nos débats intellectuels ne volent pas plus haut que la récente
controverse sur la montée de la
La sensibilité des
Québécois rejoint celle des autres Nord-Américains
sur bien des points, et la culture doit refléter ces aspects communs
aussi bien que ceux qui nous distinguent le plus. L'américanité
n'est pas une plaie, c'est simplement le reflet de ce que nous sommes.
Notre vie intellectuelle
gagnerait peut-être aussi à s'inspirer des débats américains
sur le libéralisme. Chose certaine, les annonces répétées
de notre mort collective ne sont qu'un symptôme de plus de l'épuisement
mental des vieilles élites nationalistes.
Après 200 ans de
pleurnichage, il y a de quoi être déprimé. Vite, pharmacologues,
à vos éprouvettes!