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Qu'est-ce que le libertarianisme?
par Martin Masse | le QL, 7 mars 1998
   


La philosophie du Québécois Libre est libertarienne. En quelques mots, nous croyons que la liberté individuelle est la valeur fondamentale qui doit sous-tendre les rapports sociaux, les échanges économiques et le système politique. Nous croyons que la coopération volontaire entre les individus dans un marché libre est préférable à la coercition exercée par l'État. Nous croyons que le rôle de l'État n'est pas de poursuivre des objectifs au nom de la collectivité – comme redistribuer la richesse, « promouvoir » la culture, « soutenir » le secteur agricole, ou « aider » la petite entreprise – mais bien de se limiter à protéger les droits individuels et laisser les citoyens poursuivre leurs propres objectifs de façon libre et responsable.

Ce terme de libertarien est peu connu au Québec ou dans la Francophonie en général. Certains le confondent avec libertaire, un mot qui réfère surtout à des groupes anarchistes qui s'opposaient, au XIXe siècle, au pouvoir de l'État, mais qui ne favorisaient pas particulièrement le libre marché. Pour désigner les idées que nous défendons, les médias et la classe intellectuelle – qui y sont en presque totalité opposés – parlent généralement de néolibéralisme, un terme auquel ils donnent toujours une connotation négative.

Le libertarianisme est en effet similaire au libéralisme, une philosophie élaborée dès les XVIIe et XVIIIe siècles par des penseurs comme John Locke et Adam Smith pour défendre les droits individuels contre les pouvoirs abusifs des souverains, et qui a connu son heure de gloire au XIXe siècle. Les libertariens sont les héritiers des libéraux classiques.
 

   

« Se définir comme libertaire, néolibéral ou libéral sèmerait la confusion, comme libéral classique ou classical liberal ne serait pas très pratique, et c'est pourquoi ceux qui partagent ces idées dans le monde anglophone ont choisi, il y a déjà plusieurs décennies, de s'appeler libertariens. »

   


Pourquoi alors ne pas se définir comme libéral? Parce que ce terme, justement depuis la fin du XIXe siècle, a pris des sens qui ne s'accordent plus du tout avec la défense de la liberté. En Grande-Bretagne, au Canada et au Québec, des partis soi-disant libéraux ne sont en fait qu'un peu plus modérés que les socialistes dans leurs penchants interventionnistes et leur irrespect des droits individuels.

Pire encore, aux États-Unis, un liberal est un partisan d'un État qui s'ingère partout dans la vie des individus, qui tente de solutionner tous les problèmes en taxant et en dépensant, qui crée des programmes bureaucratiques pour chaque bonne cause, bref, un État tyrannique qui piétine toute liberté au nom d'une utopie collectiviste inatteignable.

Se définir comme libertaire, néolibéral ou libéral sèmerait la confusion, comme libéral classique ou classical liberal ne serait pas très pratique, et c'est pourquoi ceux qui partagent ces idées dans le monde anglophone ont choisi, il y a déjà plusieurs décennies, de s'appeler libertariens. Le mot libertarianisme n'est pas nécessairement très élégant en français, mais il indique clairement de quoi il s'agit.

Nous nous rattachons à cette communauté de gens qui, partout dans le monde, défendent cette valeur fondamentale qui a permis l'émergence de la civilisation, de la prospérité, du progrès technique, de l'État de droit, de la justice; cette valeur première qui sous-tend la responsabilité, la créativité, l'entrepreneurship, la solidarité réelle: la liberté.

   
 
Libertin, libertaire, libertarien
par Martin Masse | le QL, 4 décembre 1999


Comme nous pouvons le constater dans les messages que nous recevons, beaucoup de gens confondent « libertarien » avec « libertaire », et même avec « libertin ». Tous ces mots, ainsi que « libéral », ont pour racine latine « libertas » et réfèrent donc d'une façon ou d'une autre à la liberté, mais avec des nuances importantes. Comme le mot libertarien, emprunté récemment à l'anglais  libertarian »), ne figure toujours pas dans le dictionnaire, il s'avère utile d'en préciser le sens et de clarifier ainsi la position philosophique défendue dans le Québécois Libre.

Les libertins sont des gens « libérés » sexuellement et moralement, qui rejettent les conventions généralement acceptées et qui s'adonnent à des plaisirs charnels de façon immodérée. Il y a par exemple un club d'échangistes à Montréal qui s'appelle Les libertins. Les libertariens prônent la liberté dans tous les domaines, y compris le droit de faire ce qu'on veut avec son propre corps dans la mesure où l'on ne brime pas la liberté et la propriété des autres. Dans cette optique, ils croient que les gens comme les libertins qui veulent participer à des partouzes, se prostituer, ou se droguer, devraient pouvoir le faire sans être importunés par la répression policière.

Toutefois, ils ne prônent absolument pas le mode de vie libertin plutôt qu'un autre. Chacun doit pouvoir choisir les croyances et le mode de vie qui lui conviennent, qu'il s'agisse d'ascèse ou de libertinage, de moralisme religieux ou de relativisme moral. Les libertariens défendent par exemple aussi bien le droit des libertins de vivre dans la débauche que celui des fondamentalistes religieux d'éduquer leurs enfants selon leurs croyances très strictes.

Les libertaires constituent, comme les libertariens, un courant philosophique théoriquement opposé à l'État et à l'autorité. Il s'agit toutefois d'une variante anarchiste de gauche, parfois aussi appelée anarcho-communisme ou anarcho-socialisme. Les libertaires prônent non seulement la liberté, mais aussi l'égalité totale de condition entre les citoyens. Ils croient que celle-ci surviendra si on abolit non seulement l'État, mais en plus la propriété privée et le marché. Leur modèle économique est centré sur l'autogestion, c'est-à-dire le contrôle à la base des moyens de production par les travailleurs, sans propriétaire ni hiérarchie. Historiquement, c'est un mouvement qui a eu assez peu d'influence, qui a tendance à se confondre dans la mouvance socialiste et qui a été lié à des actions et manifestations violentes.

Les libertaires et les libertariens n'ont rien en commun, outre leur opposition à l'autorité de l'État. D'un point de vue libertarien, l'utopie qu'ils proposent est ou bien impossible, ou bien finirait par ressembler au totalitarisme communiste, parce que l'égalité totale ne peut être atteinte à moins d'être imposée par la force et parce que sans propriété privée, les individus seraient à la merci des petites cliques qui prétendraient gérer l'économie et la société en leur nom.

Gauche ou droite?

En quelques mots, les libertariens défendent donc la liberté individuelle à tous égards et considèrent que seule la coopération volontaire entre les individus – et non la coercition étatique – devrait servir de fondement aux relations sociales et économiques. Ils défendent l'égalité formelle de tous sur le plan légal, mais se soucient peu des inégalités de fait entre riches et pauvres, qui sont inévitables et qu'on ne peut réduire qu'en empiétant sur la liberté et en réduisant la prospérité globale. Pour eux, la meilleure façon de combattre la pauvreté est d'assurer la libre entreprise et le libre commerce pour tous et de laisser opérer les initiatives de charité privée, qui sont plus efficaces et mieux justifiées moralement que les programmes étatiques de transfert de la richesse.

Les libertariens croient que la seule façon d'assurer la liberté individuelle est de garantir la propriété privée et de limiter le plus possible le rôle et les interventions de l'État – dont les gestionnaires prétendent agir au nom d'intérêts collectifs abstraits – dans la vie des individus comme dans l'économie. Alors que selon les idéologies collectivistes, l'ordre social et économique ne peut qu'être imposé et maintenu par l'État, la philosophie libertarienne soutient au contraire que c'est l'action décentralisée d'individus qui poursuivent leurs propres fins dans un marché libre qui permet de maintenir cet ordre, de créer la prospérité, et de soutenir la civilisation dans laquelle nous vivons.

Dans le cadre politique nord-américain de l'après-Guerre, les libertariens se sont surtout alliés aux conservateurs dans leur lutte contre le communisme et le socialisme. C'est pourquoi on a tendance à les confondre avec eux et à les placer à la droite de l'échiquier politique, selon le modèle confus de gauche vs droite qui sert encore à catégoriser les idéologies. Mais les libertariens s'opposent aux conservateurs sur plusieurs points, notamment sur les questions sociales (les conservateurs ont tendance à vouloir imposer leurs valeurs traditionnelles à tous en utilisant le pouvoir de l'État, par exemple en criminalisant les drogues et la prostitution et en dénonçant l'homosexualité) et les questions de défense et de relations étrangères (les conservateurs sont enclins à appuyer le militarisme et les interventions impérialistes à l'étranger).

Les conservateurs valorisent en fait l'autorité et ne sont pas contre l'intervention de l'État par principe, ils s'y opposent uniquement lorsque celui-ci vise des buts qui ne sont pas les leurs. Au contraire, les libertariens s'opposent à toute forme d'intervention étatique. Selon eux, le spectre gauche/droite devrait être remplacé par un autre qui placerait les étatistes de gauche ou de droite d'un côté, et les partisans de la liberté individuelle de l'autre.

Les libertariens s'opposent donc aux idéologies collectivistes, de gauche comme de droite, qui mettent l'accent sur le groupe (nation, classe sociale, groupe sexuel, ethnique, religieux, linguistique, etc.) et qui visent à enrégimenter les individus dans la poursuite de buts collectifs. Il ne s'agit pas de nier la pertinence de ces identités collectives, mais plutôt d'affirmer que c'est aux individus eux-mêmes à déterminer à quels groupes ils souhaitent appartenir et contribuer, et non à l'État ou à des institutions qui s'appuient sur l'État d'imposer leurs objectifs de façon bureaucratique et coercitive.

Dans le débat sur la « question nationale » québécoise par exemple, la plupart des libertariens rejettent le projet indépendantiste parce qu'il vise essentiellement à imposer un État québécois plus fort, plus interventionniste et plus répressif sur le plan linguistique et culturel envers ceux qui ne cadrent pas dans la définition nationaliste de l'identité québécoise. Cela dit, les libertariens ne sont pas non plus de fervents patriotes fédéralistes et ils rejettent de la même façon le nationalisme et le protectionnisme canadiens, de même que l'interventionnisme et la tyrannie administrative de l'État fédéral. Dans leur optique, le but n'est pas de choisir entre deux États qui briment plus ou moins autant notre liberté, mais bien de réduire le plus possible le rôle des deux.
 

   

« Les libertariens sont les seuls à souhaiter un changement en profondeur, une réduction drastique de la taille et du rôle de l'État, les seuls à se démarquer et à privilégier la liberté individuelle avant tout. »

   


Héritière du libéralisme classique

Même si elle reste peu connue et peu comprise à cause de l'adhésion presque totale des intellectuels aux idéologies collectivistes tout au long du 20e siècle, la philosophie libertarienne n'est pas une philosophie marginale, bizarre, et propagée uniquement par un groupuscule d'utopistes déconnectés de la réalité. Au contraire, elle est l'héritière du plus important courant philosophique occidental des derniers siècles, le libéralisme classique. À partir du 17e siècle, ce sont les libéraux qui ont lutté pour l'élargissement des libertés politiques, économiques et sociales, à l'encontre des pouvoirs des monarques et des privilèges des aristocrates. Les principes libéraux sont le fondement de la constitution américaine, et on peut dire que les États-Unis comme la Grande-Bretagne et le Canada ont été gouvernés de façon largement libérale jusqu'au début de notre siècle.

Les libertariens d'aujourd'hui se situent dans cette lignée mais, après un siècle pendant lequel les idéologies collectivistes et totalitaires ont dominé, ils sont toutefois plus cohérents et radicaux que les libéraux classiques dans leur défense de la liberté individuelle et de l'économie de marché (à noter que ceux qui se prétendent aujourd'hui libéraux dans les partis libéraux du Québec et du Canada ou « liberals » aux États-Unis n'ont rien à voir avec les libéraux classiques et sont plutôt des socio-démocrates). Ils rejettent donc le principal développement politique du 20e siècle, la croissance soutenue de la taille de l'État et de la portée de ses interventions dans la vie privée des citoyens (comme exemple frappant, on peut noter qu'en 1926, le pourcentage des dépenses publiques dans le produit national brut du Canada s'élevait à seulement 15%; aujourd'hui, il se situe autour de 46%).

Comme tous les mouvements philosophiques, le libertarianisme est varié, contient plusieurs écoles et sous-groupes, et il n'y a pas d'unanimité sur ses justifications théoriques comme sur les buts qu'il vise. En Amérique du Nord, la plupart des libertariens souhaiteraient ramener l'État à quelques fonctions essentielles, notamment la défense, les affaires extérieures, la justice, la protection de la propriété privée et des droits individuels, et quelques autres responsabilités mineures. Tout le reste devrait être privatisé. Dans le contexte d'un État fédéral très décentralisé, les libertariens acceptent toutefois que des pouvoirs locaux (États constituants, provinces, régions ou municipalités) puissent intervenir dans d'autres domaines et offrir des modèles sociaux et économiques variés, dans la mesure où le citoyen insatisfait peut facilement déménager.

Certains libertariens qui se réclament de l'« anarcho-capitalisme » visent la disparition complète de l'État et la privatisation des fonctions énumérées ci-haut. Cette vision peut sembler à prime abord farfelue, mais elle s'appuie sur une argumentation théorique plausible. Il est par exemple facile d'imaginer qu'on pourrait remplacer les corps policiers fédéral, provincial et municipaux (avec toute la corruption, les abus de pouvoir, l'incompétence et le favoritisme qui les caractérisent, et cela sauf exception en toute impunité) par des agences privées de sécurité, qui feraient des profits dans la mesure seulement où elles protègent vraiment les citoyens et s'attaquent aux vrais criminels.

Loi par-dessus loi

De façon réaliste, dans le contexte où l'État contrôle maintenant la moitié du PIB et continue de passer loi par-dessus loi pour régir nos vies dans les moindres détails, les libertariens luttent d'abord pour renverser cette tendance et pour toute avancée concrète de la liberté et toute réduction concrète de la tyrannie étatique.

Ils sont les seuls à le faire sans compromis. Le débat idéologique actuel reste en effet dominé par des étatistes, malgré les différences superficielles qui alimentent le cirque politique. D'un côté, les socialistes et les partisans d'une croissance à l'infini de l'État sont fortement majoritaires chez les lobbys de parasites revendicateurs et dans les milieux académiques et médiatiques, où l'on est en général complètement ignorant des règles de base d'une économie de marché. Au « centre », ceux qui passent pour des « réalistes » admettent que l'État ne peut continuer à nous taxer et à croître indéfiniment, mais prônent simplement un ralentissement de cette croissance. L'establishment d'affaires se contenterait de quelques coupures mineures ici et là et ne remet plus en question la structure corporatiste de l'État et de ses organes financiers qui lui procurent de multiples « investissements ». Quant à ceux qui passent pour des « néolibéraux » radicaux, comme les politiciens républicains et conservateurs les plus audacieux, ils visent en fait à peine à nous ramener là où nous étions il y a une vingtaine d'années, quand l'État contrôlait 35 ou 40% du PIB.

D'ailleurs, lorsqu'on regarde de plus près ce qu'ils ont fait après plusieurs années au pouvoir (i.e., après la soi-disant « Révolution conservatrice » du républicain Newt Gingrich, ou la « Révolution du bon sens » du conservateur ontarien Mike Harris, ou les neuf années au pouvoir des conservateurs de Brian Mulroney), on se rend compte que les choses ont peu changé, malgré quelques réformes qui vont dans le bon sens. Des réductions d'impôt ont, il est vrai, donné un peu d'espace pour respirer aux contribuables de l'Ontario et de l'Alberta. Mais peu de programmes et de lois ont été abolis et l'État occupe toujours une place prépondérante dans la vie économique et sociale. Le chemin reste en fait dégagé pour une reprise de sa croissance lors d'un changement de conjoncture économique ou de gouvernement, ce qui viendra un jour ou l'autre.

Les libertariens sont les seuls à souhaiter un changement en profondeur, une réduction drastique de la taille et du rôle de l'État, les seuls à se démarquer et à privilégier la liberté individuelle avant tout. Et de plus en plus de gens se rendent compte que le libertarianisme constitue la seule alternative. Le mouvement libertarien existait à peine dans les années 1960 et a pris son envol aux États-Unis dans les années 1970, notamment avec la fondation d'un parti, le 3e en importance après les républicains et les démocrates trente ans plus tard. Aujourd'hui, la philosophie libertarienne est très présente sur internet et son influence grandit partout, y compris sur d'autres continents. Dans les milieux académiques, la pensée libérale classique renaît et le pont se fait avec les libertariens contemporains.

Au Québec, où le nationalo-socialisme règne depuis la Révolution tranquille, il n'y a jamais eu de mouvement libertarien à proprement parler jusqu'à maintenant, mais seulement quelques militants et penseurs poursuivant leur combat de façon isolée. Le but du Québécois Libre est de remédier à cette situation.

   
 
Cinq attitudes libertariennes essentielles
par Martin Masse | le QL, 8 janvier 2000


Le libertarianisme n'est pas qu'une théorie économique. C'est aussi une philosophie de l'évolution humaine, une éthique des rapports entre les individus et une attitude générale devant la vie. C'est aussi une « psychologie » différente de celles qui caractérisent les socialistes, les conservateurs, les réactionnaires et les collectivistes de tout acabit.

On peut devenir libertarien pour des motifs purement logiques, parce qu'on a compris la validité des préceptes économiques de libre marché ou l'importance cruciale de la liberté individuelle dans le développement de la civilisation. Mais ces explications rationnelles, aussi convaincantes soient-elles, n'ont souvent aucun effet sur certains individus parce que ceux-ci ont une attitude générale face à la vie, face à leur propre personne et aux autres, qui en bloque l'appréciation rationnelle. À l'inverse, de nombreux lecteurs du QL nous ont témoigné avoir découvert qu'ils étaient libertariens en nous lisant, même s'ils ne connaissaient rien jusque-là de la philosophie libertarienne, parce qu'ils trouvaient simplement que cela correspondait à leur personnalité ou à leur manière d'appréhender les choses de façon intuitive.

Pour ceux et celles que les multiples courants d'idées laissent confus et qui ne sont pas certains d'avoir des atomes crochus avec la pensée libertarienne, ou pour ceux qui demeurent indécis et voudraient s'assurer qu'ils en ont bien, voici cinq attitudes essentielles à la psychologie libertarienne. Si vous vous reconnaissez dans chacune d'elle, bravo, il y a de forte chance que vous soyez un libertarien ou une libertarienne dans l'âme; si vous les trouvez idiotes, fausses ou non pertinentes, pas de chance, vous pataugez encore dans les marécages idéologiques où l'humanité s'est embourbée depuis des millénaires; si toutefois vous les trouvez intéressantes mais que vous êtes forcé d'admettre que vous tendez souvent vers le contraire à cause de vieux réflexes ou des pressions de votre entourage, ne désespérez pas! En ce début d'année, c'est le temps de prendre de bonnes résolutions, et ces attitudes méritent d'être cultivées par tous: non seulement parce qu'elles sont adaptées à l'esprit libertarien, mais plus simplement à cause de leur valeur universelle comme source de bonheur et d'équilibre psychologique.

Les voici donc, sans ordre particulier, et bien sûr sans aucune prétention à offrir une liste exhaustive:

1- assumer ses choix et cesser de rejeter la responsabilité de ses actions sur les autres

On pourrait difficilement trouver une attitude psychologique plus représentative de l'esprit individualiste libertarien que celle-ci. Les libertariens croient fermement qu'au-delà des influences du milieu et des déterminismes de tout genre, les individus sont ultimement responsables des choix qu'ils font et de la situation dans laquelle ils se trouvent. Ils doivent en assumer les conséquences, bonnes ou mauvaises, sans se plaindre ni en rejeter la faute sur les autres. Bref, la liberté individuelle ne peut pas être dissociée de la responsabilité individuelle.

Au contraire, ceux qui, dans leur vie personnelle, ont toujours tendance à se sentir victime, à justifier leurs problèmes en invoquant une situation spéciale, à chercher des boucs émissaires, à se fabriquer des excuses, à rejeter la faute sur « le système », sont des étatistes en puissance et des candidats idéaux pour un Prix béquille. Comme les multiples pleurnichards et losers qui peuplent notre société, cette attitude les conduit naturellement à chercher des responsables ailleurs pour expliquer leurs propres échecs et à demander des compensations, des rectifications, des reconnaissances de leur situation particulière, de l'aide et des privilèges spéciaux. Nul doute que c'est d'abord et avant tout à l'État, ce sauveur universel responsable de tout – puisque les individus ne sont, de ce point de vue, responsables de presque rien – qu'il reviendra de rectifier les choses et de s'occuper d'eux.

2- voir l'aventure humaine avec optimisme

Les libertariens ont confiance dans l'ingéniosité et le sens de l'initiative des humains. Ils croient que si on laisse les gens libres d'agir dans leur propre intérêt pour trouver des solutions aux multiples défis et problèmes auxquels ils sont confrontés, si les bonnes mesures incitatives sont présentes, la grande majorité s'empresseront de le faire de façon dynamique, productive et souvent astucieuse. Toutes les périodes de l'histoire caractérisées par le progrès l'ont été parce que les individus étaient libres de mener à bien leurs rêves et leurs désirs sans entraves majeures. Et si l'on observe l'évolution humaine depuis la révolution agricole du Néolithique il y a 10 000 ans, on se rend compte que la seule constance est la capacité des membres de notre espèce à inventer de nouvelles choses et à faire face aux multiples obstacles que la nature et – il faut le dire aussi – la stupidité et l'ignorance d'autres hommes placent devant eux.

Au contraire, les réactionnaires de gauche ou de droite, les misanthropes et les pessimistes croient que plus les humains sont libres, plus ils risquent de causer du trouble et de s'enfoncer dans le chaos. Pour eux, le progrès est une menace, la stagnation est préférable et doit être imposée parce que chaque innovation risque de défaire le fragile équilibre qui a permis à la civilisation de survivre jusqu'ici. La technologie, la croissance économique, la création de nouveaux produits de consommation ou de nouvelles idées et modes culturelles, tout cela est néfaste et porteur de trouble. Pour ces pessimistes, il y a toujours une catastrophe à l'horizon, qu'il s'agisse du bogue de l'an 2000, du réchauffement de la planète, de la pollution et du surpeuplement, de l'informatisation et de la mondialisation économique, des aliments transgéniques, et quoi encore, qui mérite qu'on impose une fin à toute expérimentation et qu'on revienne à un mode de vie plus « naturel » et drastiquement simplifié, comme celui de nos ancêtres. Évidemment, il revient toujours dans cette perspective à un gouvernement fort de s'opposer au changement et de réprimer les innovateurs pour éviter ces catastrophes et imposer l'ordre idéal.

3- refuser de s'en remettre à des abstractions collectives

Les libertariens s'intéressent d'abord à l'individu et le voient comme l'ultime réalité sociale. Pour eux, les entités collectives n'ont de sens que lorsqu'elles s'incarnent dans l'individu, et pas en elles-mêmes. Ça ne veut pas dire que la culture, l'identité nationale, le patrimoine, la langue, et autres phénomènes collectifs, ne sont pas pertinents. Ils le sont, mais seulement parce qu'ils répondent à un besoin des individus. Celui-ci est d'ailleurs toujours à la croisée de nombreuses caractéristiques collectives et ne peut être réduit à une simple pion sur un échiquier collectif unidimensionnel.

Les libertariens sont donc toujours sceptiques devant les revendications de nature collectiviste et les ramènent nécessairement aux intérêts individuels de ceux qui s'en réclament et prétendent parler au nom du groupe. Pour chaque situation, ils seront plus intéressés à voir non pas quelles seront les conséquences pour « la nation », « les femmes », « les Noirs », « les gais », « les autochtones », ou quelque autre groupe, mais bien de comprendre comment des individus qui peuvent se définir de multiples façons dans un monde pluraliste pourront faire des choix librement et sans avoir à cadrer dans un modèle collectif rigide. C'est la subjectivité de l'individu qui importe, pas son appartenance à des entités collectives abstraites. Et lorsqu'il est question de réaliser quelque chose, ils comptent d'abord sur leurs propres moyens en collaboration volontaire avec d'autres individus qui y trouvent leur compte pour y arriver, pas sur une « mobilisation » collective.

L'attitude contraire conçoit plutôt la société humaine comme essentiellement composée de groupes qui se côtoient et s'opposent, avec des individus qui n'ont de réalité que comme membres d'un groupe précis. Pour ceux qui voient les choses ainsi, la vie collective est la seule référence et ils ramènent tous les aspects de leur vie à la situation du ou des groupes qu'ils privilégient. C'est l'individu qui doit s'adapter pour correspondre à un idéal collectif, et non les caractéristiques attribuées au groupe qui doivent être relativisées pour faire place à la diversité des individus.

Ces gens carburent à la fierté collective, aux drapeaux et à la solidarité, aux victoires politiques, légales ou militaires du groupe (c'est-à-dire des organisations qui prétendent le représenter) contre l'ennemi collectif, etc. C'est l'atteinte d'une position idéale pour le groupe qui colore leur vision du monde et les motive à agir, et ils voudraient que tout le monde embarque dans leur croisade. Ils ne comprennent pas pourquoi plusieurs autour d'eux ne sont pas « conscientisées » aux mêmes problèmes sociaux, et ils considèrent ceux qui préfèrent rester à l'écart ou s'opposer à leur démarche comme des égoïstes ou des traîtres. L'État, qui incarne la « volonté nationale » et qui arbitre les relations et conflits entre les multiples groupes, est évidemment au centre des préoccupations de ces collectivistes, puisque tout converge vers lui.
 

   

« Assumer ses choix et cesser de rejeter la responsabilité de ses actions sur les autres, voir l'aventure humaine avec optimisme, refuser de s'en remettre à des abstractions collectives, viser une amélioration constante à long terme plutôt qu'une perfection statique à court terme et être tolérant et accepter la diversité sont des attitudes psychologiques essentielles pour ceux qui souhaitent vivre l'idéal libertarien. »

   


4- viser une amélioration constante à long terme plutôt qu'une perfection statique à court terme

Les libertariens conçoivent la vie comme une suite ininterrompue d'adaptations et de remises en question dans un monde en perpétuel changement. Ils ne croient pas en la possibilité d'un monde parfait et utopique, comme la société sans classe de Marx où tous seraient égaux et verraient leurs besoins et désirs comblés à jamais sans conflit. Même dans une société fondée sur des principes libertariens, il y aurait toujours des changements et des problèmes, des conflits et des catastrophes. La différence majeure est que les individus seraient mieux équipés pour y faire face et pour atteindre leurs buts dans une plus grande harmonie.

Les libertariens ont donc une attitude généralement réaliste et pragmatique et sont réconciliés avec le monde tel qu'il est, même s'ils souhaitent bien sûr eux aussi voir des changements pour le mieux. Ils ne sont pas constamment désespérés de constater que nous ne vivons pas dans un monde parfait, qu'il y a des inégalités, des problèmes sociaux, de l'ignorance, de la pauvreté, de la pollution et toutes sortes d'autres situations déplorables dans le monde. Ils croient que seul l'effort, la créativité et l'apprentissage individuels à long terme permettent de changer les choses et qu'il n'y a pas de solution magique pour tout régler. De toute façon, la vie comme processus biologique et la société comme processus d'interaction humaine sont des systèmes en perpétuel déséquilibre et en perpétuel mouvement de rééquilibrage, et il n'y a donc aucune raison de se désoler du fait que nous ne soyons pas encore parvenus à créer un monde parfait. Un tel monde serait de toute façon synonyme de stagnation et de mort.

Pour les aliénés de la vie qui sont « conscientisés » à toutes les bonnes causes et qui ressentent à chaque heure du jour le spleen de ne pas se trouver au paradis, l'imperfection du monde est au contraire une source constante de souffrance psychologique. Ceux-là ne veulent pas admettre qu'il n'y a pas de solution immédiate à tous les problèmes de l'univers. Comme on l'entend constamment dans la bouche des militants, ils trouvent que la situation est « inacceptable » et qu'il faut « intervenir sans délai ». Même s'ils prétendent se préoccuper des problématiques à long terme, ces frustrés ne visent qu'une seule chose: un bouleversement social et politique immédiat qui apportera un progrès instantané et leur enlèvera le poids de cette conscience intolérable. Mais quoi qu'il arrive, ils sont de toute façon difficilement capables de se défaire de cette attitude. Dès qu'un problème semble se régler ou devenir moins urgent, ils se dépêchent à se conscientiser et à s'impliquer dans une autre cause, question de ne pas se laisser aller à ce qu'ils croient être de « l'indifférence » devant la souffrance du monde, c'est-à-dire une attitude saine et réaliste devant le peu d'influence qu'on peut avoir sur le sort du monde et une préoccupation première pour son propre sort. Les révolutions, les utopies abstraites et farfelues qui passent par un changement radical de régime – par l'État, donc – leur paraissent bien sûr la seule solution ultime pour régler une fois pour toutes ces problèmes urgents.

5- être tolérant et accepter la diversité

Les libertariens ne sont pas des relativistes moraux; ils considèrent que la liberté est une valeur fondamentale et, comme croyants ou partisans d'autres philosophies particulières, ils peuvent professer des principes plus ou moins stricts concernant la bonne conduite et le sens de la vie. Toutefois, ils sont unis par une attitude bien précise: leur acceptation de la diversité des opinions et des croyances et leur refus d'imposer les leurs aux autres. Pour les libertariens, tout est acceptable dans la mesure où quelqu'un ne porte pas préjudice à autrui ou à sa propriété. Les gens peuvent donc faire ce qu'ils veulent avec leur propre corps et entre eux si c'est de façon volontaire. Ils peuvent se droguer, se prostituer, ou consacrer leur vie et leur fortune à la vénération des petits hommes verts venus d'autres planètes. Personne n'a moralement le droit d'empêcher quiconque de vivre comme il l'entend s'il ne fait de tort à personne d'autre, même si la presque totalité de la population désapprouve son comportement particulier.

Certains diront que les libertariens sont pourtant intolérants envers leurs opposants idéologiques, par exemple envers les socialistes et nationalistes, et qu'ils n'acceptent donc pas les points de vue qui divergent de la philosophie libertarienne. Mais cette critique ne tient justement pas: dans une société véritablement libre, les individus pourront s'organiser comme ils le voudront, dans la mesure où ils ne tentent pas d'imposer leur mode de vie à ceux qui ne le souhaitent pas. Ainsi, les communistes pourront s'acheter un territoire, fonder une commune, se soumettre volontairement à un gouvernement local qui les taxera à 90% et qui planifiera leur vie de classe prolétarienne dans les moindres détails. Ils pourront inviter le reste du monde à venir les rejoindre dans leur paradis terrestre mais, comme on l'a vu au cours du XXe siècle, c'est généralement l'inverse qui se produit. De même, les ultranationalistes et mystiques de la langue pourront s'imposer à eux-mêmes – volontairement toujours, et sans que ça affecte ceux qui n'en veulent rien savoir – une police de la langue qui utilisera des techniques de scanning cérébral ultrasophistiquées pour déterminer s'ils rêvent en français ou dans une autre langue, avec des amendes appropriées pour les contrevenants. Chacun pourra vivre selon son propre idéal et laisser vivre son voisin selon le sien.

L'attitude des puritains, des paumés, des zélés, des militants exaltés et des croyants fondamentalistes est tout à fait à l'opposé. Ces collectivistes n'ont de répit tant qu'ils n'ont pas imposé à tous leur vision idéale du monde. Pour eux, la diversité est toujours une menace et la tolérance doit toujours s'exercer « à l'intérieur de certaines limites ». Des limites bien sûr déterminées par les autorités gouvernementales et qui réduisent inévitablement la liberté de tous ceux qui n'y cadrent pas, même s'ils ne font de tort à personne. Dans la vision du monde collectiviste, il n'y a tout simplement pas de place pour ceux qui veulent vivre différemment.

Pour les traditionalistes intolérants par exemple, le simple fait que les homosexuels existent et peuvent jouir de la vie est un affront à la volonté divine qui doit être corrigé; pour les égalitaristes coupeurs de têtes qui dépassent, la simple existence de riches est une injustice flagrante, même si ces riches ont gagné leur argent de façon honnête et en rendant des services aux autres dans un marché libre; pour les nationalistes xénophobes, le fait qu'il existe des citoyens québécois qui ne parlent pas français à la maison ou sur la rue autour d'eux, ou qui se foutent de l'identité québécoise qu'ils exaltent et de la survie du français, est un affront direct à la Nation, à nos vaillants ancêtres, à eux-mêmes dans le plus profond de leur moi collectif, et ce même s'ils n'entrent jamais en contact avec ces gens sauf en constatant des données statistiques; pour les fascistes de la santé, ce ne sont plus les désagréments causés par les fumeurs aux non-fumeurs qui sont le problème, mais bien l'existence même de fumeurs: sinon, pourquoi veulent-ils interdire la fumée dans tous les bars et restaurants et empêcher les fumeurs de se retrouver entre eux sans imposer leur fumée à qui que ce soit?

Quiconque fait preuve d'une forme d'intolérance et de refus de la diversité qui s'apparente à celles-ci dans quelque domaine que ce soit n'a évidemment rien d'un libertarien et a tout d'un partisan de l'autoritarisme et la répression étatique.

Pour conclure, assumer ses choix et cesser de rejeter la responsabilité de ses actions sur les autres, voir l'aventure humaine avec optimisme, refuser de s'en remettre à des abstractions collectives, viser une amélioration constante à long terme plutôt qu'une perfection statique à court terme et être tolérant et accepter la diversité sont des attitudes psychologiques essentielles pour ceux qui souhaitent vivre l'idéal libertarien: quelqu'un qui les cultive et qui applique systématiquement ces façons de voir les choses aux situations de la vie a compris l'essentiel. Les arguments théoriques plus complexes sur le fonctionnement d'une économie de marché restent cruciaux pour les débats politiques et économiques mais n'auront jamais le même impact, pour la plupart des gens qui s'intéressent peu à ces débats, que la conviction intuitive profonde, fondée sur ces principes généraux, de vivre moralement et bien.

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Martin Masse est directeur du Québécois Libre.

   
 

Du même auteur


Les libertariens sont-ils à droite?, le QL, 20 décembre 2003.

Néolibéral, libertaire et libertarien?, le QL, 2 février 2002.

Les Québécois, libertariens ou bonasses?, le QL, 4 août 2001.

L'avenir du mouvement libertarien au Québec, le QL, 17 avril 1999.

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Ama-gi

Première représentation écrite du mot « liberté » en Mésopotamie, environ 2300 av. J.-C.

   


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En faveur de la liberté individuelle, de l'économie de marché et de la coopération volontaire depuis 1998.

   
 

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