Les Québécois, libertariens ou bonasses? |
par Martin Masse | le QL,
4 août 2001 |
Comparer le Québec avec les autres sociétés
nord-américaines, c'est presque toujours constater que nous
avons un gouvernement plus gros et plus interventionniste
que ceux des provinces et États environnants, que nous
sommes plus imposés et avons une économie plus réglementée
que la plupart de nos voisins.
Il y a toutefois un domaine où l'on constate que le Québec
se rapproche peut-être plus de l'idéal libertarien: sur les
questions sociales ou morales, les Québécois sont parmi les
Nord-Américains les plus tolérants des différences, des
modes de vie « alternatifs »
et des choix personnels non traditionnels.
Un sondage récent de la firme Léger Marketing le confirme
encore une fois. Sur des questions telles le divorce, la
sexualité des adolescents, l'homosexualité, la consommation
de drogue, etc., une majorité de Québécois opte pour la
tolérance. Sur la plupart de ces questions, les Québécois –
particulièrement les francophones – sont systématiquement
les plus ou parmi les plus permissifs des Canadiens, qui
eux-mêmes le sont plus que les Américains en général.
Le vice-président de la firme de sondage, Christian Bourque,
décrit ainsi ce qui semble être l'attitude la plus courante
au Québec: « If you don't hurt others, I don't care what you
do. » (Globe and Mail, 21 juillet 2001)
Cette attitude est exactement le fondement de la philosophie
libertarienne. C'est le principe de non-agression, qui
stipule que l'on est libre de faire ce que l'on veut, dans
la mesure où l'on ne porte pas atteinte (ou menace de porter
atteinte) à la personne et à la propriété d'autrui. Ce que
l'on fait avec son propre corps ne regarde donc personne
d'autre que soi-même.
Voilà le seul arrangement qui permet à chacun de suivre ses
propres fins – et dans une société pluraliste, ces fins sont
nécessairement variées – tout en respectant les autres.
Tolérer n'est pas nécessairement
accepter
Les libertariens sont-ils pour autant des relativistes
moraux, des gens qui acceptent n'importe quoi, des...
libertins? En fait, non.
Tout d'abord, les libertariens ne sont pas des relativistes
pour qui tout se vaut, puisqu'ils défendent la valeur morale
de la liberté. Ils n'acceptent pas n'importe quel
arrangement politique, économique et social, mais visent au
contraire la propagation des valeurs et institutions
libérales qui ont fait des sociétés occidentales les
sociétés les plus libres, prospères, tolérantes et
dynamiques de l'histoire humaine.
Par ailleurs, sur les questions sociales et morales, les
libertariens n'ont pas nécessairement de positions
spécifiques en tant que libertariens. Un libertarien peut
par exemple croire que la prostitution, la drogue,
l'homosexualité, sont des abominations condamnées par Dieu;
il peut croire fermement que ce sont des pratiques immorales
qu'il ne peut tolérer dans sa propre vie. Mais comme
libertarien, quelles que soient ses croyances morales ou
religieuses, il croit également qu'il n'est pas légitime
d'imposer ces croyances à tous, ou encore qu'il n'est pas
légitime que l'État impose les croyances d'une partie de la
population, même une majorité, à tous.
Il y a donc une différence fondamentale entre, d'une part,
tolérer ou ignorer les comportements d'autrui et, d'autre
part, les accepter ou les approuver moralement. Pour être
libertarien, il suffit de tolérer ou d'ignorer ce que font
les autres et de s'opposer à l'imposition de normes
officielles par l'État. C'est ce qui fait qu'il y a des
libertariens qui ont une attitude très permissive et
d'autres qui professent des valeurs très conservatrices.
Évidemment, lorsqu'on accepte ou approuve, il est plus
facile de tolérer que si l'on condamne. Les puritains de la
Nouvelle-Angleterre du 17e siècle ont acquis une mauvaise
réputation historique non pas parce qu'ils avaient de fermes
convictions morales – ce qui peut être admirable en soi –,
mais à cause de l'intolérance dont ils faisaient preuve en
persécutant les membres des autres communautés religieuses
et en tentant d'imposer à tous de façon fanatique leur code
moral très strict.
La tentation puritaine a toujours été plus présente chez
ceux qui croient avoir la sanction divine de leur côté.
Aujourd'hui toutefois, on la retrouve également chez les
fanatiques de la « tolérance » ou plutôt de l'acceptation
obligatoire, ceux qui tentent d'imposer leurs valeurs
politiquement correctes à tous par l'entremise de lois « anti-discriminatoires »
qui briment la liberté d'opinion et d'association (voir « Les
bienfaits de la discrimination »,
le QL, no 43).
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« Comme on le voit, nos
ancêtres ne faisaient pas que tolérer le mode de vie un peu
étrange de leurs voisins, voisins qu'ils souhaitaient par
ailleurs garder le plus éloignés d'eux possible. Ils
résistaient aussi aux excès des petits despotes qui les
gouvernaient. » |
Nos ancêtres libertariens
Quoi qu'il en soit, on peut se demander si les Québécois
sont simplement tolérants ou s'ils n'ont pas un côté
permissif et bonasse qui les fait accepter n'importe quoi
tant qu'on les laisse plus ou moins en paix.
L'article du Globe rapporte des commentaires
intéressants d'un sociologue de l'Université Laval, pour qui
les résultats du sondages montrent que les Canadiens
français retournent en fait à leurs racines...
libertariennes:
Simon Langlois, a sociology professor at Laval University,
said Quebeckers have a liberal streak that dates to
their freedom-loving days as coureurs de bois.
With the exception of a 100-year period beginning in the
mid-19th century, when the province fell under the
domination of the Roman Catholic Church, French
Canadians have always had an anti-authoritarian bent, he
said yesterday.
"Quebeckers have always resisted
moral and social rules," Prof.
Langlois said. "It's a kind of a
spirit of freedom. Once the church lost its
institutional power, all the traditional controls fell,
and they returned to their old libertarian attitudes." |
On a de nombreux exemples historiques pour
illustrer ce penchant anti-autoritaire. Ainsi, même si le
gouverneur et l'intendant avaient des pouvoirs juridiques et
administratifs quasiment absolus en Nouvelle-France (au
contraire de la situation dans les colonies anglaises, il
n'y avait pas ici d'assemblée représentative) on ne peut pas
en déduire que la tyrannie y régnait. Comme l'explique
l'historien Gustave Lanctôt dans
L'administration de la Nouvelle-France (Éditions du Jour,
1971):
Si une loi ou un projet de l'administration leur répugnait
tout particulièrement, ils ne manifestaient pas: ils lui
opposaient la force irrésistible de l'inertie. Les
gouverneurs et les intendants n'insistaient pas: ils
connaissaient trop bien la profondeur de l'opiniâtreté
canadienne et la proximité de la forêt sans fin. En
voici deux exemples caractéristiques. Dès le début de la
colonie, le roi ne cessa de recommander aux
administrateurs de la colonie d'empêcher les habitants
de construire leurs maisons sur leurs terres, mais de
les forcer à les grouper en villages pour mieux se
défendre contre l'ennemi. Remise continuellement de
l'avant, la décision royale resta lettre morte, parce
que le paysan canadien préféra toujours se bâtir une
maison isolée, mais sur sa propre terre. Soit en bordure
du fleuve ou de la grande route.
Il en fut de même du projet royal de lever une imposition
en Canada. Dès 1704, le roi proposa d'établir une
capitation ou une taille dans la colonie, afin de la
faire contribuer aux dépenses de son administration.
L'idée une fois lancée, les ministres ne cessèrent d'en
rappeler la nécessité au gouverneur et à l'intendant,
mais ces derniers, de leur côté, ne cessèrent de
répondre que les Canadiens étaient opposés à toute
imposition, ajoutant d'abord qu'il faudrait une
augmentation de troupes si l'on voulait l'exécuter, et
déclarant plus tard que cet établissement présentait des
difficultés qui le rendaient « impraticable
». Et les années passèrent et un ministre, impatienté de
la continuité de son échec, écrivit un jour qu'il
fallait établir l'imposition ou de gré ou de force. Mais
la menace resta sans résultat et la Nouvelle-France
cessa d'être française sans avoir jamais connu ni la
taille ni la capitation. L'entêtement des Canadiens
avait triomphé de la volonté royale. |
On pourrait également citer
d'autres exemples de cet esprit d'indépendance sous le
Régime anglais (voir «
Le
bon vieux temps... dans le Bas-Canada
libertarien », le QL,
no 73).
Nos contemporains bonasses
Comme on le voit, nos ancêtres ne faisaient pas que tolérer
le mode de vie un peu étrange de leurs voisins, voisins
qu'ils souhaitaient par ailleurs garder le plus éloignés
d'eux possible. Ils résistaient aussi aux excès des petits
despotes qui les gouvernaient.
Les Québécois francophones d'aujourd'hui sont loin d'être
libertariens dans ce sens. Ils acceptent sans trop rechigner
d'être les citoyens les plus taxés d'Amérique du Nord. Ils
tolèrent qu'une petite élite de nationalo-gauchistes
embrigade leurs enfants dans des écoles nationalisées. Ils
font la queue dans des hôpitaux publics délabrés et ne
voient pas trop à redire qu'on leur interdisent des choix
alternatifs de soins de santé.
Pratiquement personne ne lève le petit doigt lorsque les
chiens de la police de la langue harassent leurs concitoyens
anglophones et ce, même si les relations sont en général
tout à fait harmonieuses entre anglophones et francophones
dans les relations de tous les jours. Chaque fois qu'une
nouvelle réglementation ou restriction est promulguée par
l'État, on rouspète un peu, puis on finit par se conformer.
Nos ancêtres, même s'ils avaient à subir d'autres
contraintes que nous avons aujourd'hui surmontées,
jugeraient sans doute que nous vivons à bien des égards
comme des esclaves, sous le joug d'un gouvernement
paternaliste qui gère les moindres détails de nos vies.
Les gens bonasses sont gentils et tolérants, pas
nécessairement parce qu'ils cultivent ces vertus mais parce
que leur faiblesse et leur crainte des conflits les poussent
à ne pas se mêler des histoires des autres et les fait céder
chaque fois qu'il y a risque de confrontation. Le côté
positif de cela est que nous vivons dans une société
extrêmement pacifique, où les différences génèrent peu de
frictions et de conflits sérieux, une situation enviable
lorsqu'on observe ce qui se passe ailleurs dans le monde.
Même notre taux de criminalité est le plus bas au Canada
après la paisible Terre-Neuve.
Le côté négatif c'est que nous nous laissons manger la laine
sur le dos et que nous travaillons la moitié de l'année pour
entretenir une classe de parasites. Le Québec serait un
endroit où il ferait encore mieux vivre si seulement nous
devenions libertariens à tous égards, et pas seulement sur
les questions sociales et morales... |
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Première
représentation écrite du mot « liberté » en Mésopotamie,
environ 2300 av. J.-C. |
Le Québécois Libre
En faveur de la liberté individuelle, de l'économie de
marché et de la coopération volontaire depuis 1998.
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