Les libertariens sont-ils à droite? |
par Martin Masse | le QL,
20 décembre 2003 |
Le lecteur néophyte qui arrive pour la première fois sur le
site du QL se dit probablement, que ce soit avec un
sentiment de dédain ou d'approbation: « Ah, tiens, un site
qui défend des idées de droite. » Ce lecteur n'a pas tout à
fait tort.
On retrouve en effet, dans le QL, beaucoup plus de
dénonciations de la gauche que de la droite. Dans le présent
numéro par exemple, Mickaël Mithra explique que les
véritables dangereux extrémistes sur l'échiquier politique
français ne sont pas les partis de la droite nationaliste
qu'on a identifiés à tort comme des partis fascistes, mais
bien les communistes trotskistes (voir «
France:
qui sont les véritables extrémistes? »).
Michel de Poncins conclut quant à lui sa chronique
critiquant la fausse droite au pouvoir en France par un «
Vivement la Libération avec un vrai pouvoir de droite! »
(voir « Privatiser
l'Éducation pour gagner 50 milliards »).
Si le gouvernement de Chirac et Raffarin représente la
fausse droite, que serait alors un « vrai
» gouvernement de droite? Un gouvernement dirigé par Le Pen?
Tout dépend bien sûr de la définition que l'on donne au mot
« droite ». S'il s'agit d'un synonyme pour « libéral
» ou « libertarien », alors la réponse est non. Un
gouvernement du Front National s'attaquerait sans doute à
certaines vaches sacrées du modèle français, mais il
imposerait de nouveaux contrôles et il n'est pas clair que
les Français se retrouveraient avec un État vraiment réduit
et plus de liberté en bout de ligne. En réalité, parmi
toutes les factions de ce qu'on appelle la droite française,
une minuscule partie seulement s'identifie clairement aux
valeurs libérales.
Ceux qui ont lu
ma page
biographique savent que j'ai déjà milité pour le Parti
réformiste du Canada
(maintenant fusionné dans le Parti conservateur du
Canada), un parti considéré par tout le monde comme étant à
droite. Et pourtant, j'ai aussi écrit des éditoriaux qui
dénonçaient les positions de la droite, par exemple sur la
guerre en Irak (voir « La
droite succombe à l'hystérie guerrière »,
le QL, no 90). Les positions actuelles de la droite
néoconservatrice canadienne et américaine me répugnent
d'ailleurs autant que les utopies des illettrés économiques
de la gauche.
Le présent numéro contient aussi une critique du
corporatisme, une idéologique étatiste associée à la
doctrine sociale de l'Église dans l'entre-deux-guerres, et
qui a eu une influence considérable au Québec (voir « Pie
XI, le corporatisme et le fascisme »).
Il s'agissait de toute évidence d'une pensée de droite; mais
étrangement, on en retrouve les principaux éléments dans la
social-démocratie consensuelle – une idéologie de gauche –
qui domine la politique québécoise depuis trente ans, que
l'un ou l'autre des deux principaux partis soit au pouvoir
(voir « PQ
vs PLQ: un choix entre
deux corporatismes », le
QL, no 66).
Gauche, droite, gauche, droite...
Ce problème de définition revient fréquemment dans les
débats politiques. La plupart des gens ne savent en fait pas
trop ce qui distingue la gauche de la droite sur le plan
idéologique. Ils s'identifient intuitivement à un camp pour
toutes sortes de raisons pas toujours très explicites, et
considèrent automatiquement l'autre comme l'ennemi.
Le problème vient du fait que la droite et la gauche
partagent aujourd'hui toutes les deux une vision
collectiviste et étatiste du monde. Le discours varie bien
sûr un peu. La gauche défend une étatisation accrue de
l'économie et la redistribution des richesses, tout en
prétendant soutenir une plus grande liberté sur le plan
social. Lorsqu'elle est au pouvoir cependant, elle
intervient autant pour réglementer l'économie que pour
imposer sa vision sociale idéale (par exemple, en imposant
des quotas raciaux, un protectionnisme culturel, en
réduisant la liberté d'opinion ou d'association de ceux qui
ne partagent pas l'orthodoxie politiquement correcte, etc.).
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« La plupart des gens ne
savent en fait pas trop ce qui distingue la gauche de la
droite sur le plan idéologique. Ils s'identifient
intuitivement à un camp pour toutes sortes de raisons pas
toujours très explicites, et considèrent automatiquement
l'autre comme l'ennemi. » |
La droite quant à elle prétend défendre le libre marché mais
se gêne moins pour préconiser l'utilisation des pouvoirs
coercitifs de l'État dans le but de maintenir les valeurs
dites traditionnelles qu'elle défend et une vision souvent
belliciste des rapports internationaux. Dans les faits, les
gouvernements de droite sont la plupart du temps aussi
interventionnistes que ceux de gauche.
La politique américaine en donne un exemple frappant. En
plus de mener des guerres inutiles et de réduire la liberté
des Américains au nom de la sécurité et du « conservatisme
de compassion », George W. Bush a déjà gonflé l'appareil
bureaucratique fédéral américain et les dépenses de l'État
plus que son prédécesseur Bill Clinton. Il a créé la plus
grosse bureaucratie (le super ministère de la Sécurité
intérieure) et le plus gros programme social
(financement des médicaments pour les personnes âgées)
depuis des décennies. Il cède aussi plus facilement aux
pressions des lobbys protectionnistes, comme ceux de
l'acier. Depuis quelques semaines, de nombreuses voix se
sont élevées parmi les conservateurs qui avaient appuyé
l'élection du président, pour dénoncer cette dérive vers un
étatisme de droite (voir par exemple le nouveau
magazine de l'American Conservative Union, dont le but
est de redonner ses lettres de créances à la droite qui
favorise un gouvernement limité, contre un Parti républicain
devenu social-démocrate). Mais faut-il vraiment s'en
surprendre?
Les libertariens ont été et sont encore souvent identifiés à
la droite parce que dans la dynamique politique de
l'après-guerre et jusqu'à l'effondrement de l'URSS, ce sont
les communistes qui constituaient la principale menace à la
paix mondiale et à la liberté. Ils ont en grande majorité
préféré s'associer à une mouvance de droite qui acceptait la
démocratie libérale et se disait en principe favorable à
l'économie de marché qu'à une mouvance de gauche qui
sympathisait avec les communistes et qui souhaitait une
croissance rapide du poids de l'État.
En France, les communistes restent une menace réelle. Cela
explique sans doute que nos collaborateurs et sympathisants
français aient plus tendance à s'identifier comme étant à
droite de l'échiquier politique, malgré les divergences de
vue qu'ils continuent d'avoir avec les principales factions
de la droite. En Amérique du Nord, y compris au Québec,
l'extrême gauche n'a toutefois pratiquement aucune
influence. Et il est loin d'être clair que c'est encore la
gauche qui menace le plus la liberté. Autant à droite qu'à
gauche, les politiciens ont des réflexes étatistes. Pour un
libertarien, c'est le choix entre Charybde et Scylla.
Ni gauche, ni droite
Dans des situations de crise, les alliances politiques sont
parfois inévitables. Lorsqu'aucun des partis en lice n'offre
une option clairement libérale, on vise tout de même le
moindre mal. Mais dans la situation actuelle, le moindre mal
devient de plus en plus difficile à identifier. George W.
Bush, l'étatiste de droite, s'avère une plus grande menace à
la liberté des Américains et à la paix mondiale que ne l'a
été Bill Clinton, l'étatiste de gauche. Malgré tout le
respect que j'ai pour lui, je suis loin d'être certain qu'un
gouvernement dirigé par mon ami Stephen Harper fera du
Canada un pays plus libre. À voir à quel point il aligne ses
positions sur celle de Bush depuis deux ans, il est à
craindre qu'un gouvernement conservateur canadien
s'emploiera surtout à faire du Canada une province docile de
l'empire belliqueux au sud. C'est en effet la même
philosophie néoconservatrice qui domine aujourd'hui le Parti
républicain aux États-Unis et la droite au Canada anglais.
Dans le petit texte définissant la mission du QL qui
a longtemps été sur la page d'accueil, nous disions que le
QL
« défend la liberté individuelle, l'économie de marché et la
coopération volontaire comme fondement des relations
sociales. Il s'oppose à l'interventionnisme étatique et aux
idéologies collectivistes, de gauche comme de droite, qui
visent à enrégimenter les individus. »
Il est peut-être temps pour les libertariens, à tout le
moins en Amérique du Nord, de prendre à la lettre cette
définition et de se dissocier complètement de la droite.
Gauche et droite ne sont plus que les deux revers de la même
médaille étatiste. Non seulement n'aide-t-on pas à
l'avancement de la liberté en appuyant la droite politique,
mais les millions de gens pour qui tous les partis et
mouvements politiques ne sont que du pareil au même ne
verront jamais la pertinence de notre philosophie si les
libertariens continuent à se percevoir comme une simple
faction de la droite. Le défi pour les libertariens, dans
les années qui viennent, sera de susciter un réalignement
politique de façon à se distinguer comme la seule véritable
alternative: d'un côté, les étatistes de gauche et de
droite; de l'autre, les défenseurs de la liberté, de la
prospérité et de la civilisation.
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Du même
auteur |
▪
Néolibéral, libertaire et libertarien?,
le QL, 2 février 2002.
▪
Les Québécois, libertariens ou
bonasses?, le QL, 4 août 2001.
▪
L'avenir du mouvement libertarien au
Québec, le QL, 17 avril 1999.
▪
Qu'est-ce que le libertarianisme?,
le QL, 7 mars 1998.
▪
Plus...
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Première
représentation écrite du mot « liberté » en Mésopotamie,
environ 2300 av. J.-C. |
Le Québécois Libre
En faveur de la liberté individuelle, de l'économie de
marché et de la coopération volontaire depuis 1998.
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