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Montréal, 19 février 2000 / No 56 |
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par
Brigitte Pellerin
Je vous dis que la vie n'était pas facile à l'époque des chandelles et des lampes à l'huile. Pas de téléphones touchtone, un maximum de deux chemises par personne, pas d'internet, des souliers percés, pas même de télévision, un bain aux trois mois... la misère, je vous dis. Le bon peuple, il en bavait un coup. |
Pas
de cadeau
Je pensais l'autre jour aux Misérables, ceux de Victor Hugo. Jean Valjean qui, bien que repentant, n'arrive pas à échapper à sa réputation et se fait pourchasser sans relâche malgré des années de bonnes actions accumulées. Fantine qui perd sa job parce qu'elle a eu un enfant en dehors des liens du mariage; et qui est forcée à la prostitution afin de payer pour les soins soi-disant donnés à sa petite Cosette par le perfide Thénardier. Et l'horrible Javert, alors! Le policier plus blanc que neige, le justicier sans reproche, qui jamais n'abandonnera sa proie... À cette époque, personne ne vous faisait de cadeau: ceux qui avaient gaffé ou qui avaient fait une connerie recevaient un sévère châtiment. Clair, simple et précis: mauvais coup = punition. Pas facile, dis donc (Remarquez, lire Les Misérables en entier n'est pas une mince tâche non plus – je vous conseille de commencer par le film, c'est moins long... et Liam Neeson n'est pas piqué des vers du tout). Heureusement, les temps ont changé. Fiou. Aujourd'hui, tout le monde peut se planter et se relever sans que trace du méfait il n'y ait. Faillite? Zwit! Effacée au bout de deux ans. Vous chipez des gants chez La Baie? Bof, sans doute sont-ils tombés par erreur dans votre shopping bag... Votre adolescent se fait prendre à tabasser un plus jeune pour lui voler ses Nike? C'est évidemment à cause des émissions de plus en plus violentes à la téloche. Bref, c'est la faute à n'importe qui, n'importe quoi, sauf moi. Des excuses, il y en a des tas. Les experts trouvent toujours une raison: certains hommes violent des inconnues à cause d'un gène défectueux; d'autres expliquent un coup de poing sur le nez du voisin par une dysfonction sociale provoquée par un traumatisme qui remonte à leur petite enfance; d'autres encore blâment le gaspillage de fonds publics sur des
Peu importe votre mauvais coup, il y a une excuse. Ce n'est sûrement pas votre faute – ça ne peut pas être votre faute. Pas de prison pour les cons Le plus récent exemple s'est produit la semaine dernière en Alberta. Un Amérindien de 55 ans (notez bien: pas douze ans, cinquante-cinq) est reconnu coupable d'avoir violemment secoué son neveu de sept mois – le petit n'arrêtait pas de brailler –, lui infligeant des dommages cérébraux permanents et le laissant aveugle pour le restant de ses jours. Au lieu de le mettre en prison pour avoir posé ce geste inqualifiable, le juge décide de lui faire purger sa peine Pourquoi lui épargner la prison? Écoutez bien, c'est la meilleure: parce que le pauvre homme de cinquante-cinq ans a eu une enfance difficile! Imaginez, on l'avait placé dans une école où il avait dû abandonner ses croyances, sa langue et sa culture traditionnelle. Monsieur Drunkenchief – c'est son nom; drôle de nom quand on y pense – lorsqu'il était petit, a dû Pauvre chou. Peut-être que la vie était trop dure au temps de Jean Valjean; la moindre petite gaffe vous suivait, comme une tache d'huile d'olive sur une belle nappe de lin, toute votre vie durant. Aujourd'hui, la vie est décidément trop facile; peu importe quelle connerie vous faites, on trouve une excuse pour vous disculper. Pour blâmer n'importe qui et n'importe quoi à votre place. C'est toujours la même chose: il faut toujours aller d'un extrême à l'autre; et on ne pense jamais à s'arrêter quelque part au milieu. C'est bien triste, moi que je dis.
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