Montréal,  4 mars 2000  /  No 57
 
 
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Martin Masse est directeur du QL. La page du directeur
 
  
  
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     Le QUÉBÉCOIS LIBRE est publié sur la Toile depuis le 21 février 1998.
 
     Il  défend la liberté individuelle, l'économie de marché et la coopération volontaire comme fondement des relations sociales.
 
     Il s'oppose à l'interventionnisme étatique et aux idéologies collectivistes, de gauche comme de droite, qui visent à enrégimenter les individus.
 
     Les articles publiés partagent cette philosophie générale mais les opinions spécifiques qui y sont exprimées n'engagent que leurs auteurs.
 
ÉDITORIAL
 
COMMENT SE PROTÉGER
CONTRE LA MAFIA POLICIÈRE
 
par Martin Masse
  
  
          Imaginez que vous traversez un pont de la Rive-Sud vers Montréal. Vous êtes pressé, vous avez un rendez-vous important dans le centre-ville. Le trafic est extrêmement lent et vous voyez des voitures de police au loin qui arrêtent systématiquement les automobilistes pour leur poser des questions. Lorsque c'est votre tour, vous répondez bêtement à l'officier qui vous demande quelques questions idiotes sur le port de la ceinture de sécurité et lui faites savoir clairement que vous n'avez commis aucun crime, que vous êtes pressé, et que vous considérez inacceptable d'être ainsi pris en otage sans raison valable par quelqu'un qui devrait plutôt vous protéger.  
  
          La brute à chemise verte ne le prend pas, se met à vous engueuler, vous demande de sortir de voiture, demande à son collègue de vous fouillez et menace de vous frapper avec son bâton si vous ouvrez la bouche. Votre conjointe, restée dans la voiture, voit la situation qui se détériore. Prise de panique, elle serre le téléphone cellulaire dans ses mains et se demande si elle ne devrait pas appeler quelqu'un à l'aide. Appeler... mais qui? 
  
Moyens de pression 
  
          Il ne s'agit pas d'une histoire vécue, mais cette situation aurait pu se produire – et s'est peut-être réellement produite – la semaine dernière, alors que les policiers de la Sûreté du Québec ont bloqué la circulation pendant deux jours sur les principales artères des régions métropolitaines de Montréal, Québec et Hull en guise de moyens de pression. Des milliers d'automobilistes en ont été victimes. À Québec, une ambulance a été bloquée sur l'autoroute alors qu'elle se rendait prendre un patient qui souffrait de convulsions, un appel urgent jugé de « Priorité 1 »
 
          Le contrat de travail des policiers est échu depuis 20 mois et le litige porte sur les augmentations de salaire. Le syndicat des policiers de la SQ, l'Association des policiers provinciaux, exige une hausse salariale de 7,5% sur quatre ans, avec en plus un « rattrapage » de 7% pour être sur le même pied que leurs collègues du Service de police de la CUM, qui sont au second rang au Canada parmi les mieux payés. Le gouvernement n'offre de son côté que 9% sur quatre ans, la même chose qui a été consentie aux autres employés du secteur public. 
  
          Même avant ces augmentations, les policiers ne sont certainement pas les parents pauvres de la fonction publique ni dans le marché du travail en général. Ils obtiennent leur permanence après un an et atteignent le sommet de l'échelle salariale après cinq ans seulement. À son entrée, un jeune policier qui n'a qu'un diplôme collégial fait 31 310 $ par année; cinq ans plus tard il en fait 53 520 $. Et c'est sans compter les multiples avantages sociaux dont ils bénéficient et qui semblent exorbitants pour le commun des mortels qui fait un salaire moyen et subit un fardeau fiscal plus que moyen.  
  
          Mais parce que la Sûreté du Québec est notre « police nationale » – la Gendarmerie royale du Canada ne joue qu'un rôle mineur sur le territoire québécois – le gouvernement est toujours confronté à un dilemme lorsque viennent les négociations du secteur public. Il peut se permettre de jouer dur avec d'autres syndicats et de promulguer les décrets ordonnant l'arrêt de moyens de pression et les lois forçant le retour au travail: il a une police pour les faire respecter si des syndiqués récalcitrants refusent d'obtempérer. Mais lorsque vient le temps de tenir tête aux revendications des policiers, que peut-il faire pour assurer son autorité? Qui va policer la police?  
  
Le gros bout du bâton 
  
          Parce qu'ils couvrent la majeure partie du territoire québécois en dehors des grands centres qui ont leur propre corps policier, les policiers de la SQ ont pour ainsi dire le gros bout du bâton. Le gouvernement n'a pas d'alternative, il ne peut pas se passer d'eux. Ceux-ci peuvent d'ailleurs se permettre d'intimider les politiciens de façon pas très subtile pour appuyer leurs revendications, comme ils l'ont fait l'année dernière à Drummondville, alors qu'un cordon de policiers en uniforme et portant l'arme a fait office de comité d'accueil bruyant et menaçant lors d'un congrès péquiste. Ce qui caractérise les républiques de banane, c'est justement que le droit ne veut plus rien dire et que c'est la force brute – celle maniée par les policiers et les militaires – qui détermine en bout de ligne la direction des décisions politiques.  
  
          Aucun policier n'a encore été discipliné dans cette histoire, et le ministre de la Sécurité publique, Serge Ménard, n'a lancé qu'une ridicule menace, celle d'une suspension d'un jour sans paye, à ceux qui poursuivraient les moyens de pression à la suite des incidents d'il y a deux semaines. 
  
          Si le pouvoir des autorités civiles et de la direction de la Sûreté du Québec s'est effrité, c'est qu'il a dû passer dans les mains de quelqu'un d'autre. Ce quelqu'un d'autre, c'est bien sûr Tony Cannavino, parrain de la mafia syndicale des policiers provinciaux. Dans une entrevue récente à La Presse, M. Cannavino a expliqué que le policier de la SQ doit avant tout être « solidaire » de ses collègues. Pas offrir le meilleur service à la population, mais bien serrer les rangs pour défendre l'intérêt corporatiste du groupe.  
  
          C'est ce qui fait que chaque fois qu'une magouille survient dans les rangs policiers, qu'il s'agisse de brutalité gratuite envers un citoyen, d'un accident où on a tiré trop vite sur la gachette, de fabrication de preuve, de protection d'un membre de la famille d'un policier, de corruption, ou d'autres « cas isolés » qui ont la malchance de survenir souvent, le premier réflexe du syndicat est de protéger non pas le citoyen mais les policiers impliqués. L'objectif n'est pas de chercher la vérité et de punir et expulser les coupables, qui ne remplissent pas leur premier devoir, mais plutôt d'offrir un front de résistance à la justice et d'organiser un cover-up si nécessaire. C'est ce que le rapport Poitras, et bien d'autres rapports et études auparavant, nous ont encore une fois révélé. 
  
  
     « Les mafias syndicales peuvent se permettre de protéger leurs membres, parce qu'elles sont d'une certaine manière au-dessus de la loi; des agences privées de sécurité qui voudraient garder leur image de marque et continuer à exister et à prospérer ne le pourraient pas. »  
 
 
          Ces réflexes de mafia sont bien sûr les mêmes que l'on retrouve dans tous les syndicats, ces organisations parasitaires qui assoient leur autorité sur la coercition légale sinon sur la force brute et dont le seul but est de protéger et d'enrichir leurs membres aux dépens du reste de la population. Mais la problématique s'aggrave ici parce que les policiers sont justement ceux qui devraient nous protéger contre de tels agissements et de telles atteintes envers nos droits. Nos bons gauchistes socio-démocrates et corporatistes n'ont bien sûr rien à offrir pour remédier à ce problème, puisque cela signifierait remettre en question les assises de leur propre pouvoir et la source de leurs propres privilèges. Une commission parlementaire étudie ces jours-ci à Québec le projet de loi 86 déposé par le ministre Ménard, qui est sensé apporter des solutions aux problèmes soulevés dans le rapport Poitras, mais ce projet ne propose aucune réforme réelle.  
  
Pourquoi une police provinciale? 
  
          Comment sortir de cette situation et redonner aux corps policiers, en particulier à la SQ, leur rôle premier qui est de protéger les citoyens? La solution est la même que pour tous les autres cas où l'étatisme dégénère en abus de pouvoir et en monstre bureaucratique: briser le monopole syndical, décentraliser, redonner le pouvoir aux autorités locales et aux citoyens, instaurer une concurrence.  
  
          Pourquoi au fait avons-nous besoin d'une police provinciale au commandement et à la gestion centralisés qui couvre une si grande partie du territoire? Une force de frappe policière si imposante est-elle dans l'intérêt du pouvoir ou dans celui du citoyen? Poser la question, c'est y répondre... La presque totalité des activités criminelles se fait au niveau local et peut être combattue à ce niveau. Lorsqu'on a affaire à des crimes majeurs qui dépassent la juridiction d'une localité, la coopération entre les corps policiers permet une intervention de plus grande ampleur. Il est clair que l'État provincial souhaite avoir sa propre police non pas pour lutter contre le vol à l'étalage à La Malbaie ou pour arrêter les chauffards à Notre-Dame-du-bon-conseil, mais pour avoir une force de répression sous la main dans les cas de dérangement majeur. Et ces dérangements majeurs n'ont de raison de survenir que parce que l'État cherche constamment à imposer des décisions ou des mesures controversées à une population qui n'en veut pas, ou parce qu'il gère de grands secteurs économiques étatisés dans une logique qui mène constamment à l'affrontement.  
  
          Si les secteurs de la santé, de l'éducation et d'autres services gouvernementaux étaient privés et décentralisés, les « fronts communs » syndicaux qui troublent régulièrement l'ordre public n'auraient bien sûr pas de raison d'être. Le gouvernement n'aurait pas à faire appel régulièrement à sa police pour assurer l'ordre public dans les cas de grève illégale et de brasse-camarade à l'échelle de la province. Souvenons-nous par ailleurs que lors du référendum de 1995, le gouvernement péquiste s'apprêtait, en cas de victoire, à utiliser la SQ comme force de « pacification », et même comme substitut à l'armée fédérale, en cas de rébellion dans les régions réfractaires à la séparation. Notre police « nationale » se serait alors transformée en force d'occupation et de répression pour imposer un nouvel ordre politique à 49% de la population.  
  
          La police devrait pourtant être là pour protéger les individus contre des atteintes à leur personne et à leur propriété, pas pour soutenir un État envahissant. Il n'y a pas de raison d'avoir de corps policier à cette échelle – et encore moins à une échelle fédérale évidemment – dans une société où la primauté va aux droits individuels. Des corps municipaux ou régionaux, plus près des citoyens, pourraient très bien assurer la sécurité de la population et combattre les véritables criminels. Une telle situation aurait l'avantage de réduire la bureaucratie, de briser le pouvoir d'un syndicat beaucoup trop gros et puissant, et de circonscrire la portée des dérangements lors de conflit. Lorsque les policiers d'une ville exercent des moyens de pression, cela n'a pas à affecter le reste de la province.  
  
Corps policier à louer 
  
          Mais même une situation de conflit local entre un syndicat de policiers et une municipalité où les citoyens sont pris en otage reste inacceptable. Rappelons-le: les policiers offre un service, celui de nous protéger, en échange d'une rémunération. Comme tout autre employé dans n'importe quel secteur, si le salaire et les conditions ne leurs plaisent pas, ils n'ont qu'à se trouver un autre emploi. Les citoyens n'ont pas à subir les abus de pouvoir et les manquements au devoir de policiers insatisfaits, pas plus qu'il n'ont à subir de représailles de la part de marchands de chaussures qui estiment ne pas obtenir un assez bon prix pour leur marchandise.  
  
          La loi du travail devrait être changée pour briser les monopoles syndicaux (pas seulement pour les policiers, mais aussi pour les cols bleus, pompiers et autres employés municipaux) et permettre aux villes d'engager et de mettre à pied des policiers de la même façon qu'une entreprise engage et licencie n'importe quel travailleur. Sans mafia syndicale locale pour les protéger quels que soient leurs manquements, les policiers auraient plus intérêt à faire leur travail consciencieusement.  
  
          Mais pourquoi nous arrêter de si bon chemin vers une restauration des droits individuels et de la liberté de transiger volontairement? Comme on l'a dit, la sécurité est un service, et c'est un service de plus en plus souvent rendue de façon privée en Amérique du Nord. Depuis vingt ans, la croissance dans ce secteur d'activité a presque entièrement été le fait d'une augmentation des activités des agences privées. Pourquoi les villes ne pourraient-elles pas simplement faire affaires avec des agences, engager des policiers de la même façon qu'elles font appel à des firmes spécialisées pour gérer leur équipement informatique? Et pourquoi les citoyens eux-mêmes ne pourraient-ils pas, partout où ils se trouvent, faire appel à des agents spécialisés dans la surveillance, la protection et la défense en cas d'agression?  

          Sur ce marché de la sécurité, une agence privée reconnue pour son service de protection efficace et rapide, pour la courtoisie et l'impartialité de ses officiers, pour son honnêteté et son respect de l'éthique professionnelle et de la loi, pour sa diligence à offrir les meilleures preuves à la cour, se trouverait certainement plus de clients et, conséquence cruciale, ferait plus de profits en protègeant mieux les citoyens. Elle aurait un intérêt immédiat et incontournable à offrir des services de qualité, comme n'importe quelle compagnie sujette à la concurrence. Pour une agence privée, un policier irrespectueux, violent, ou constamment empêtré dans des démarches juridiques inutiles parce qu'il a fait preuve de trop de zèle ou de pas assez de jugement, serait un poids financier qui augmenterait ses coûts et la rendrait moins compétitive. Un bon gestionnaire le mettrait immédiatement à la porte, comme c'est le cas pour un employé qui ne fait pas l'affaire dans n'importe quelle entreprise.  
  
          Cette concurrence serait ainsi garant de meilleurs services, axés essentiellement sur la protection du citoyen payeur et non sur la défense d'intérêts corporatistes. Le pouvoir politique ne pourrait plus non plus se servir de la police pour asseoir son autorité et se permettre des incursions de plus en plus poussées dans la vie et le porte-monnaie des citoyens. Les policiers joueraient enfin leur vrai rôle et seraient appréciés pour ce qu'ils font, comme on apprécie le service du boulanger ou du dentiste avec qui on fait affaire. La pression du marché – c'est-à-dire de l'addition des choix individuels de tous les citoyens – ferait en sorte d'éliminer en grande partie les cas d'abus de pouvoir, les incidents violents et les manigances. Les mafias syndicales peuvent se permettre de protéger leurs membres qui s'y adonnent, parce qu'elles sont d'une certaine manière au-dessus de la loi; des agences privées qui voudraient garder leur image de marque et continuer à exister et à prospérer ne le pourraient pas.  
  
Un autre scénario 
  
          Alors, si on reprend notre petite histoire semi-fictive du début, dans cette nouvelle situation, que fait votre conjointe? Elle appelle l'un des autres corps policiers ou agences de sécurité dont les services sont disponibles dans le secteur où vous vous trouvez, et pour éviter un affrontement la brute à chemise verte se calme et se rend compte qu'il est préférable qu'elle vous laisse aller si elle ne veut pas être mise à la porte le lendemain matin.  
  
          Plus vraisemblablement, elle ne fait rien du tout, parce qu'il n'y a eu aucune confrontation, qu'il n'y a pas de barrage policier et que vous roulez vers votre rendez-vous sans vous soucier des relations de travail dans le secteur public. En effet, la ville a renouvelé quelques semaines auparavant son contrat annuel avec une agence de sécurité reconnue parmi les plus fiables et dont les employés sont d'une compétence exemplaire. Une clause du contrat prévoit un bonus financier pour chaque baisse du taux de criminalité dans la région et celui-ci a atteint un plancher record. Vous vous souvenez soudainement que vous avez oublié de verrouiller la porte de la maison avant de partir, mais ce n'est pas si grave, il y a des années qu'on a rapporté un cambriolage dans votre quartier... 
 
 
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Le Québec libre des  nationalo-étatistes  
L'ÉTAT, NOTRE BERGER?
  
        « Après avoir pris ainsi tour à tour dans ses puissantes mains chaque individu, et l'avoir pétri à sa guise, le souverain étend ses bras sur la société tout entière; il en couvre la surface d'un réseau de petites règles compliquées, minutieuses et uniformes, à travers lesquelles les esprits les plus originaux et les âmes les plus vigoureuses ne sauraient faire jour pour dépasser la foule; il ne brise pas les volontés, mais il les amollit, les plie et les dirige; il force rarement d'agir, mais il s'oppose sans cesse à ce qu'on agisse; il ne détruit point, il empêche de naître; il ne tyrannise point, il gêne, il comprime, il énerve, il éteint, il hébète, et il réduit enfin chaque nation à n'être plus qu'un troupeau d'animaux timides et industrieux, dont le gouvernement est le berger. »    

Alexis de Tocqueville   
DE LA DÉMOCRATIE EN AMÉRIQUE (1840) 

 
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