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Montréal, 4 mars 2000 / No 57 |
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par
Martin Masse
Imaginez que vous traversez un pont de la Rive-Sud vers Montréal. Vous êtes pressé, vous avez un rendez-vous important dans le centre-ville. Le trafic est extrêmement lent et vous voyez des voitures de police au loin qui arrêtent systématiquement les automobilistes pour leur poser des questions. Lorsque c'est votre tour, vous répondez bêtement à l'officier qui vous demande quelques questions idiotes sur le port de la ceinture de sécurité et lui faites savoir clairement que vous n'avez commis aucun crime, que vous êtes pressé, et que vous considérez inacceptable d'être ainsi pris en otage sans raison valable par quelqu'un qui devrait plutôt vous protéger. La brute à chemise verte ne le prend pas, se met à vous engueuler, vous demande de sortir de voiture, demande à son collègue de vous fouillez et menace de vous frapper avec son bâton si vous ouvrez la bouche. Votre conjointe, restée dans la voiture, voit la situation qui se détériore. Prise de panique, elle serre le téléphone cellulaire dans ses mains et se demande si elle ne devrait pas appeler quelqu'un à l'aide. Appeler... mais qui? Moyens de pression Il ne s'agit pas d'une histoire vécue, mais cette situation aurait pu se produire – et s'est peut-être réellement produite – la semaine dernière, alors que les policiers de la Sûreté du Québec ont bloqué la circulation pendant deux jours sur les principales artères des régions métropolitaines de Montréal, Québec et Hull en guise de moyens de pression. Des milliers d'automobilistes en ont été victimes. À Québec, une ambulance a été bloquée sur l'autoroute alors qu'elle se rendait prendre un patient qui souffrait de convulsions, un appel urgent jugé de |
Le contrat de travail des policiers est échu depuis 20 mois et le
litige porte sur les augmentations de salaire. Le syndicat des policiers
de la SQ, l'Association des policiers provinciaux, exige une hausse salariale
de 7,5% sur quatre ans, avec en plus un Même avant ces augmentations, les policiers ne sont certainement pas les parents pauvres de la fonction publique ni dans le marché du travail en général. Ils obtiennent leur permanence après un an et atteignent le sommet de l'échelle salariale après cinq ans seulement. À son entrée, un jeune policier qui n'a qu'un diplôme collégial fait Mais parce que la Sûreté du Québec est notre Le gros bout du bâton Parce qu'ils couvrent la majeure partie du territoire québécois en dehors des grands centres qui ont leur propre corps policier, les policiers de la SQ ont pour ainsi dire le gros bout du bâton. Le gouvernement n'a pas d'alternative, il ne peut pas se passer d'eux. Ceux-ci peuvent d'ailleurs se permettre d'intimider les politiciens de façon pas très subtile pour appuyer leurs revendications, comme ils l'ont fait l'année dernière à Drummondville, alors qu'un cordon de policiers en uniforme et portant l'arme a fait office de comité d'accueil bruyant et menaçant lors d'un congrès péquiste. Ce qui caractérise les républiques de banane, c'est justement que le droit ne veut plus rien dire et que c'est la force brute – celle maniée par les policiers et les militaires – qui détermine en bout de ligne la direction des décisions politiques. Aucun policier n'a encore été discipliné dans cette histoire, et le ministre de la Sécurité publique, Serge Ménard, n'a lancé qu'une ridicule menace, celle d'une suspension d'un jour sans paye, à ceux qui poursuivraient les moyens de pression à la suite des incidents d'il y a deux semaines. Si le pouvoir des autorités civiles et de la direction de la Sûreté du Québec s'est effrité, c'est qu'il a dû passer dans les mains de quelqu'un d'autre. Ce quelqu'un d'autre, c'est bien sûr Tony Cannavino, parrain de la mafia syndicale des policiers provinciaux. Dans une entrevue récente à La Presse, C'est ce qui fait que chaque fois qu'une magouille survient dans les rangs policiers, qu'il s'agisse de brutalité gratuite envers un citoyen, d'un accident où on a tiré trop vite sur la gachette, de fabrication de preuve, de protection d'un membre de la famille d'un policier, de corruption, ou d'autres
Ces réflexes de mafia sont bien sûr les mêmes que l'on retrouve dans tous les syndicats, ces organisations parasitaires qui assoient leur autorité sur la coercition légale sinon sur la force brute et dont le seul but est de protéger et d'enrichir leurs membres aux dépens du reste de la population. Mais la problématique s'aggrave ici parce que les policiers sont justement ceux qui devraient nous protéger contre de tels agissements et de telles atteintes envers nos droits. Nos bons gauchistes socio-démocrates et corporatistes n'ont bien sûr rien à offrir pour remédier à ce problème, puisque cela signifierait remettre en question les assises de leur propre pouvoir et la source de leurs propres privilèges. Une commission parlementaire étudie ces jours-ci à Québec le projet de loi 86 déposé par le ministre Ménard, qui est sensé apporter des solutions aux problèmes soulevés dans le rapport Poitras, mais ce projet ne propose aucune réforme réelle. Pourquoi une police provinciale? Comment sortir de cette situation et redonner aux corps policiers, en particulier à la SQ, leur rôle premier qui est de protéger les citoyens? La solution est la même que pour tous les autres cas où l'étatisme dégénère en abus de pouvoir et en monstre bureaucratique: briser le monopole syndical, décentraliser, redonner le pouvoir aux autorités locales et aux citoyens, instaurer une concurrence. Pourquoi au fait avons-nous besoin d'une police provinciale au commandement et à la gestion centralisés qui couvre une si grande partie du territoire? Une force de frappe policière si imposante est-elle dans l'intérêt du pouvoir ou dans celui du citoyen? Poser la question, c'est y répondre... La presque totalité des activités criminelles se fait au niveau local et peut être combattue à ce niveau. Lorsqu'on a affaire à des crimes majeurs qui dépassent la juridiction d'une localité, la coopération entre les corps policiers permet une intervention de plus grande ampleur. Il est clair que l'État provincial souhaite avoir sa propre police non pas pour lutter contre le vol à l'étalage à La Malbaie ou pour arrêter les chauffards à Notre-Dame-du-bon-conseil, mais pour avoir une force de répression sous la main dans les cas de dérangement majeur. Et ces dérangements majeurs n'ont de raison de survenir que parce que l'État cherche constamment à imposer des décisions ou des mesures controversées à une population qui n'en veut pas, ou parce qu'il gère de grands secteurs économiques étatisés dans une logique qui mène constamment à l'affrontement. Si les secteurs de la santé, de l'éducation et d'autres services gouvernementaux étaient privés et décentralisés, les La police devrait pourtant être là pour protéger les individus contre des atteintes à leur personne et à leur propriété, pas pour soutenir un État envahissant. Il n'y a pas de raison d'avoir de corps policier à cette échelle – et encore moins à une échelle fédérale évidemment – dans une société où la primauté va aux droits individuels. Des corps municipaux ou régionaux, plus près des citoyens, pourraient très bien assurer la sécurité de la population et combattre les véritables criminels. Une telle situation aurait l'avantage de réduire la bureaucratie, de briser le pouvoir d'un syndicat beaucoup trop gros et puissant, et de circonscrire la portée des dérangements lors de conflit. Lorsque les policiers d'une ville exercent des moyens de pression, cela n'a pas à affecter le reste de la province. Corps policier à louer Mais même une situation de conflit local entre un syndicat de policiers et une municipalité où les citoyens sont pris en otage reste inacceptable. Rappelons-le: les policiers offre un service, celui de nous protéger, en échange d'une rémunération. Comme tout autre employé dans n'importe quel secteur, si le salaire et les conditions ne leurs plaisent pas, ils n'ont qu'à se trouver un autre emploi. Les citoyens n'ont pas à subir les abus de pouvoir et les manquements au devoir de policiers insatisfaits, pas plus qu'il n'ont à subir de représailles de la part de marchands de chaussures qui estiment ne pas obtenir un assez bon prix pour leur marchandise. La loi du travail devrait être changée pour briser les monopoles syndicaux (pas seulement pour les policiers, mais aussi pour les cols bleus, pompiers et autres employés municipaux) et permettre aux villes d'engager et de mettre à pied des policiers de la même façon qu'une entreprise engage et licencie n'importe quel travailleur. Sans mafia syndicale locale pour les protéger quels que soient leurs manquements, les policiers auraient plus intérêt à faire leur travail consciencieusement. Mais pourquoi nous arrêter de si bon chemin vers une restauration des droits individuels et de la liberté de transiger volontairement? Comme on l'a dit, la sécurité est un service, et c'est un service de plus en plus souvent rendue de façon privée en Amérique du Nord. Depuis vingt ans, la croissance dans ce secteur d'activité a presque entièrement été le fait d'une augmentation des activités des agences privées. Pourquoi les villes ne pourraient-elles pas simplement faire affaires avec des agences, engager des policiers de la même façon qu'elles font appel à des firmes spécialisées pour gérer leur équipement informatique? Et pourquoi les citoyens eux-mêmes ne pourraient-ils pas, partout où ils se trouvent, faire appel à des agents spécialisés dans la surveillance, la protection et la défense en cas d'agression?
Sur ce marché de la sécurité, une agence privée
reconnue pour son service de protection efficace et rapide, pour la courtoisie
et l'impartialité de ses officiers, pour son honnêteté
et son respect de l'éthique professionnelle et de la loi, pour sa
diligence à offrir les meilleures preuves à la cour, se trouverait
certainement plus de clients et, conséquence cruciale, ferait
plus de profits en protègeant mieux les citoyens. Elle aurait
un intérêt immédiat et incontournable à offrir
des services de qualité, comme n'importe quelle compagnie sujette
à la concurrence. Pour une agence privée, un policier irrespectueux,
violent, ou constamment empêtré dans des démarches
juridiques inutiles parce qu'il a fait preuve de trop de zèle ou
de pas assez de jugement, serait un poids financier qui augmenterait ses
coûts et la rendrait moins compétitive. Un bon gestionnaire
le mettrait immédiatement à la porte, comme c'est le cas
pour un employé qui ne fait pas l'affaire dans n'importe quelle
entreprise.
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Le Québec libre des nationalo-étatistes |
Alexis
de Tocqueville
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