Montréal, 18 mars 2000  /  No 58
 
 
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Brigitte Pellerin est apprentie-philosophe iconoclaste, diplômée en droit et en musique. Elle poursuit des études supérieures en science politique. 
 
BILLET
 
HLM BLUES
 
par Brigitte Pellerin
  
  
          Habitez-vous Outremont? Sillery peut-être? Aimeriez-vous avoir les moyens de vivre dans un quartier que vous jugez, disons, plus huppé que celui dans lequel vous coulez des jours pas encore tout à fait heureux? Pensez-vous constamment au jour où, enfin, vous allez pouvoir acheter la maison de vos rêves?  
  
          Sûrement, si vous êtes comme tout le monde. Et si vous n'y pensez pas, de deux choses l'une: ou bien vous avez déjà une jolie piaule, ou bien vous êtes un irréductible célibataire. 
 
          Eh oui, la majorité d'entre nous suons sang et eau pour amasser les sous qui nous permettront de donner son bleu au proprio et d'être chez-nous pour vrai dans notre maison-à-nous. Et nous allons probablement continuer le même manège jusqu'à ce qu'on ait les moyens d'acheter LA cabane idéale, dans un quartier avec des arbres et de jolis bancs de parc. Un endroit où nous pourrons élever nos marmots en paix et en sécurité.  
  
          Pourquoi pas? On est dans un pays libre, que je sache.  
  
          Mais dépêchez-vous, pendant que ça dure. On ne sait jamais ce que l'avenir nous réserve. Prenez les Français, tiens. Ils s'apprêtent à recevoir une douche froide par la tronche, gracieuseté d'un gouvernement socialo-écologiste.  
  
Mixité forcée 
  
          La semaine dernière, Libération prenait résolument la défense du projet de loi français « relatif à la solidarité et au renouvellement urbains » – SRU pour les intimes – qui veut « favoriser la mixité sociale, instituer une sorte de solidarité territoriale en contraignant les villes à accepter un quota de 20% de logements sociaux. La philosophie générale du texte étant qu'au-delà des égoïsmes locaux, chaque commune doit fournir sa part d'effort pour loger les familles modestes. »  
  
          Autrement dit, il faut forcer tout le monde à accepter 20% de HLM sur leur territoire. Point à la ligne.  
  
          Ouche, ça fait mal au rôle d'évaluation, ce genre de chose. Imaginez: vous travaillez fort toute votre vie afin de vous payez la chaumière de vos rêves. C'est votre choix, votre vie, votre argent. Vous en faites ce que vous voulez. Et vous décidez de dépenser 300 000 $ sur une maison que vous aimez, dans un quartier que vous adorez.  
  
  
     « Ce n'est pas la faute des riches si les pauvres sont pauvres. La richesse n'est pas un bien en quantité limitée: tout le monde a le droit de travailler fort et d'amasser des sous. » 
 
 
          Planter des HLM au bout de votre rue, comment verriez-vous ça? C'est la valeur de votre maison qui va en prendre pour son rhume! Et soyez francs, laisseriez-vous vos enfants jouer tranquillement dans le parc, comme si rien n'était?  
  
          Noooon, ce n'est pas parce que vous êtes raciste, bourgeois, ou que vous aimiez particulièrement faire dans la discrimination contre les pauvres. Non, ce n'est pas du tout votre genre. Mais faut-il absolument que vous acceptiez trois nouveaux HLM sur votre rue? Vous avez travaillé fort pour arriver où vous êtes. Vous n'avez pas envie de tout perdre, n'est-il pas?  
  
          Et bien l'opinion des cousins qui vivent dans les quartiers dits bourgeois compte pour des boulettes. On s'en balance, de la valeur de leur maison. Z'avaient qu'à ne pas devenir riches, aussi. Une belle bande d'égoïstes, voilà ce qu'ils sont.  
  
Les coûts de la richesse 
  
          L'éditorial du 8 mars, dans Libé, suintait le discours essoufflé des soixante-huitards en fin de carrière. Parlant de « ségrégation » sociale, Gérard Dupuy y allait ainsi: « Le problème n'est pas que les riches préfèrent rester entre eux mais qu'ils forcent les pauvres à faire de même, créant ainsi des poches où les problèmes sociaux se concentrent et se perpétuent. Les beaux quartiers ont ainsi un coût social indirect, même si celui-ci ne vient guère déranger le confort de leurs rues paisibles. »  
  
          Coût social indirect, mon oeil. Ce n'est quand même pas la faute des riches si les pauvres sont pauvres. La richesse n'est pas un bien en quantité limitée: tout le monde a le droit de travailler fort et d'amasser des sous. C'est vrai, il y a des gens qui ne peuvent vraiment pas s'en sortir. Ils sont malades, trop vieux, handicapés. Et pour ces gens-là, il y a tout plein de programmes sociaux que tout le monde finance – et de bon coeur avec ça. Je ne connais personne qui voudrait laisser crever de faim les pauvres qui n'arrivent vraiment pas à s'en sortir.  
  
          Par contre, j'en connais plein qui en ont ras le bol de payer pour une armée de fainéants qui préfèrent rester assis sur leur steak en attendant leur chèque. Quand on veut être solidaire et donner un coup de main aux gens qui sont mal-pris, on commence par séparer les « vrais » pauvres des parasites. « If you want to help the poor, target the poor » comme dit si bien mon économiste préféré.  
  
          Imposer 20% de HLM aux gens qui, oh coïncidence, paient déjà plus que leur part d'impôts n'est pas une solution efficace. Ça ne servira qu'à créer plus de tension et de conflits entre des groupes sociaux qui, peu importe les lois, n'arriveront jamais à s'entre-mêler complètement.  
  
          Ils sont fous, ces Français. 
 
 
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