Curieux ces hommes qui, donnant la mort pour des raisons d'État,
alors que la personne n'a rien demandé, sont soudain saisis par
un sursaut d'humanité quand il s'agit simplement de satisfaire la
volonté d'une personne. Confus ces hommes qui, voulant apporter
une réponse à leurs interrogations, confondent de manière
pitoyable les notions les plus élémentaires.
Les arguments posés en faveur ou en défaveur de l'euthanasie
sont souvent de faux arguments. Notons par exemple que sous la République
idéale de Platon, les médecins ne soignaient pas une personne
n'étant pas capable de « vivre le temps fixé
par la nature, parce que cela n'est avantageux ni à lui-même
ni à l'État ». Il était dans l'intérêt
de la société de faire primer l'État sur la personne.
L'argument est ici politico-utilitariste.
D'un autre côté, le courant de la tradition judéo-chrétienne
est opposé à l'euthanasie en faisant primer l'intérêt
individuel sur celui de la société. Ses adeptes partent du
commandement du Décalogue: « Tu ne tueras point
», pour traiter en criminel les personnes qui pratiquent l'euthanasie,
voire celles qui apportent leur aide ou assistance à cet acte. Ils
font primer l'intérêt individuel sur celui de la société
mais veulent aussi protéger la personne contre elle-même.
Aujourd'hui, le débat est toujours d'actualité et le comité
consultatif national d'éthique a rendu un avis en France il y a
quelques semaines. Notons au passage que la composition de ce comité
(essentiellement des médecins) démontre que les membres et
l'ensemble des personnes qui prétendent apporter des réponses
à ces problèmes d'éthique n'ont même pas compris
dans quelle matière, dans quel domaine entraient ces questions.
Ce n'est certainement pas le rôle des médecins que de décider
si tel comportement devra être autorisé ou interdit, s'il
est conforme ou non au Droit(1)
et à la Justice. Cela, c'est le rôle des juristes. En revanche,
l'aide des médecins est indispensable pour une bonne compréhension
des problèmes et leur résolution.
Faux
arguments
Pour en revenir à cet avis, il est d'un puissant illogisme. En effet,
il prévoit que, dans certains cas désespérés
le médecin pourra, bien entendu avec l'autorisation du juge, aider
la malade à mourir dans la sérénité. L'argument
retenu est un faux argument. Il est évident que le problème
ne se situe pas sur le plan de la gravité de la maladie et de l'intensité
des douleurs qu'elle occasionne. Ce pseudo-argument nie la vérité,
à savoir que la seule solution conforme au Droit et à la
Justice est de laisser au malade le droit qu'il a de décider, en
homme libre qu'il est, en seul maître de sa vie, s'il veut lutter
contre la mort ou mettre un terme à ses souffrances et quitter ce
monde, au moment où il le désire, et de la manière
qu'il aura choisie.
Cette solution résulte de la simple application du principe de propriété
selon lequel l'homme est le seul propriétaire, le seul maître
de sa vie. Il doit seul décider ce qu'il veut faire de son corps,
mais aussi de son esprit, c'est-à-dire de ce qui fait qu'il existe
en tant qu'homme(2).
À partir de là, on comprend bien que la prise en compte de
critères comme la gravité de la maladie, son caractère
incurable, est une escroquerie. Tout ceci relève de «
l'évaluation législative ». On
limite le champ d'intervention de la mesure afin de limiter les effets
dits néfastes, prévus par des commissions techniques. Par
exemple, on craint de tuer des personnes qui pourraient vivre encore quelque
temps, même si cela doit être contre leur gré. On craint
les fameux « abus », comme des enfants indignes
et criminels qui pourraient demander l'euthanasie de leur vieux père
pour abréger ses souffrances et, dans le même temps, abréger
leur attente insoutenable de l'ouverture de la succession.
« La seule solution conforme au Droit et à la Justice
est de laisser au malade le droit de décider, en seul maître
de sa vie, s'il veut lutter contre la mort ou mettre un terme à
ses souffrances et quitter ce monde, au moment où il le désire,
et de la manière qu'il aura choisie. »
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Tout ceci relève donc de « l'évaluation
législative » (le comité consultatif national
d'éthique est un peu le conseiller technique du législateur
en matière de bioéthique), mais aussi d'une erreur dans les
prémisses posées. En effet, si le risque de rencontrer la
situation des enfants immoraux et criminels existe réellement, c'est
par le fait de la loi qui autorise la famille à décider de
faire pratiquer une euthanasie sur un parent incapable d'exprimer sa volonté.
De quel droit la famille d'un malade peut-elle supposer, présumer
sa volonté de mourir dans une telle situation? Aucun principe juridique
digne de ce nom ne justifie une telle disposition. Si un malade est dans
un état végétatif avancé, que son cerveau est
mort, mais que son coeur fonctionne toujours, on peut considérer
que ce malade est mort. L'esprit qui était dans ce corps, et qui
formait avec lui la personne, n'existe plus. Ce qui reste n'est qu'une
entité matérielle, le simple support qui permettait à
l'entité immatérielle qu'était l'esprit de s'exprimer.
On peut donc arrêter de faire fonctionner artificiellement cette
« machine déshumanisée »
et la vouer au sort que la personne avait choisi de son vivant ou, à
défaut, celle qui sera choisi par ses héritiers.
En revanche, si un malade est incapable d'exprimer sa volonté, mais
que cette dernière existe toujours, il reste une personne à
part entière. Et il semble que son incapacité à émettre
sa volonté ne soit en aucun cas une justification de la transmission
du pouvoir de décision aux autres membres de la famille.
Voilà à quoi nous sommes réduits. Les droits de l'homme
n'existent pas en France. Ou plutôt, ils existent par eux-mêmes
mais sont niés par nos politiciens et leurs « hommes
de main ». Un jour peut-être l'homme aura retrouvé
ses droits, un jour peut-être ce monde retrouvera un semblant de
bon sens, une véritable humanité!
Une
mise en oeuvre pratique de l'euthanasie
Il est vrai que beaucoup de gens sont conscients que la personne devrait
pouvoir disposer de sa vie, mais sont récalcitrants à l'idée
de mettre en pratique l'euthanasie. On entend souvent que des abus inacceptables
nous éloigneraient de la volonté, noble, de permettre à
des personnes de mourir dans la dignité.
Mais, d'une part, on ne peut pas nier à la personne un droit qu'elle
a, en vertu de l'application des principes juridiques fondamentaux, sous
prétexte que son exercice pourrait avoir des conséquences
néfastes. Ce que l'on peut faire par contre, et à mon avis
ce que toute société devrait faire, c'est essayer de forger
un système politique qui soit capable de respecter la liberté
et les droits des êtres humains, tout en réglant les conflits
juridiques interpersonnels.
Il est moral et éthique de laisser à l'homme la faculté
de choisir, de « s'auto-gouverner ».
C'est ce qu'on appelle en philosophie « la raison pratique
». Ce qui permet à l'homme de mettre en oeuvre son
intelligence, de manière volontaire, afin de satisfaire les besoins
qui vont le conduire à une vie parfaite, au sens où il entend
la perfection et le bonheur. Une société reposant sur la
volonté ne pourrait être, dans ces conditions, que plurielle.
Il ne s'agirait en aucun cas d'imposer un système normatif calqué
sur la conception de la perfection de certains. La société
libertarienne ne pourrait être qu'une société «
plurinormative », une société dans laquelle
les individus se regrouperaient en fonction de leur vision de la perfection
et des droits.
Dans la société libertarienne, l'euthanasie serait permise
au nom du principe de propriété évoqué plus
haut. On peut imaginer des individus favorables ou hostiles à l'euthanasie
mais, dans les deux cas, l'éthique de chacun est respectée.
Les membres ayant accepté de vivre en groupe par contrat, leur volonté
est respectée et les règles qui les régissent, ce
sont eux qui les ont choisies.
Dans un groupe libertarien, l'euthanasie serait régie par les principes
fondamentaux du Droit libertarien, acceptés bien évidemment
par la totalité des membres du « groupe social
». Le principe de propriété du corps humain
permettrait donc à un homme de demander à un médecin,
ou à toute personne qu'il jugerait compétente, de faire cesser
l'activité de son corps. C'est la décision de l'esprit, qui
est maître du corps, qui décide pour son bien-être,
pour atteindre « sa perfection ».
Dans le cas où le malade est en état de mort cérébrale,
on ne peut plus le considérer comme une personne humaine vivante.
Et, on peut arrêter le fonctionnement artificiel du corps. Maintenant,
la famille ou un ami peuvent demander que le corps soit maintenu en fonctionnement
encore quelque temps, s'ils trouvent un hôpital qui accepte cette
requête. Le prix de ce service serait acquitté par le demandeur
ou une compagnie d'assurance, ou encore gracieusement offert par une quelconque
personne. Dans une société telle, où la responsabilité
des membres serait beaucoup plus développée que dans nos
sociétés paternalistes, les assurances privées seraient
monnaie courante.
Dans le cas où la personne a encore sa volonté, c'est-à-dire
une activité cérébrale, il faudrait distinguer selon
qu'elle peut exprimer sa volonté ou non:
1) Si la personne est incapable de s'exprimer: soit elle a prévu
dans son testament la marche à suivre en cas de pareille situation,
soit elle n'a rien prévu. Dans le cas où elle aurait prévu
un « acharnement thérapeutique »,
elle a pu demander dans son testament qu'une personne en qui elle a confiance
fasse exécuter sa volonté. Mais, le Droit libertarien n'obligerait
pas l'exécuteur désigné à respecter les souhaits
de la personne concernée. Par conséquent, on peut penser
que les individus de ce groupe prévoiraient une solution de «
rechange », par exemple ils pourraient confier l'exécution
à une société privée, en cas d'inexécution
de l'obligation morale de l'exécuteur désigné, et
moyennant une somme d'argent prélevée dans la masse successorale.
Dans le cas où elle aurait préféré qu'on laisse
faire la nature, sans réanimation artificielle, sa volonté
devra être respectée.
2) Si la personne est capable d'exprimer sa volonté, les difficultés
sont minimes. On peut tout de même penser à des dispositions
contractuelles qui assureraient, dans un groupe social libertarien, une
pratique la plus sûre possible. On pourrait par exemple imaginer
que le consentement du malade devra être constaté par un organe
indépendant qui serait rémunéré par le groupe
de manière forfaitaire. Cet organe pourrait être composé
de personnes choisies au sein du groupe pour leur intégrité
et leur honnêteté. Cet organe s'assurerait de la réalité
du consentement et le ferait constater par document dûment signé.
Dans une société libertarienne, d'une façon ou d'une
autre, qu'on soit pour ou contre l'euthanasie, capable ou non d'exprimer
sa volonté, celle-ci sera respectée. Le cadre juridique fera
en sorte que c'est nous, et non les hommes de l'État, qui décidons
quoi faire de notre corps.
1.
Je n'emploie pas l'expression « Droit naturel
» car elle est, à mon avis, un pléonasme. Il
n'y a de Droit que naturel. Le reste, c'est de la législation, de
la politique. >> |
2.
Certains auteurs nient la possibilité d'admettre l'existence d'un
droit de propriété de la personne sur elle-même. Leur
argumentation est la suivante: le droit de propriété confère
à son bénéficiaire les attributs que le code civil
français énumère. Il s'agit de l'abusus, du
fructus et de l'usus. L'abusus est le droit pour un
propriétaire de disposer de la chose, de la maîtriser et de
décider seul de son devenir. Or, nous expliquent ces auteurs, la
personne humaine est incontrôlable. Elle appartient à Dieu
car aucune personne ne sait quand elle va mourir, aucune personne n'est
donc véritablement maître de sa vie. Par conséquent,
parler de droit de propriété pour définir le lien
qui unit la personne à son corps et son esprit est inconcevable.
Il n'est même pas besoin de continuer pour montrer à quel
point cet argument est ridicule. Quel propriétaire de voiture ou
de maison peut savoir avec certitude quelle sera la durée de vie
de son objet? En quoi le fait qu'il y ai un doute sur le moment auquel
interviendra une chose certaine permet de déduire qu'on ne peut
pas parler de droit de propriété? Si vous trouvez la solution
à ce problème, appelez-moi, c'est urgent! >> |
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