Montréal, 29 avril 2000  /  No 61
 
 
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Michaël Marrache étudie le Droit à l'Université d'Aix-en-Provence.
 
OPINION
  
L'EUTHANASIE: UN CHOIX INDIVIDUEL
DANS UNE SOCIÉTÉ LIBERTARIENNE
 
par Michaël Marrache
  
  
           L'euthanasie est une pratique qui a toujours fait l'objet de beaucoup de cogitations et de controverses. Aujourd'hui encore, médecins, politiciens, juristes ou philosophes activent leurs méninges en réfléchissant sur cet acte pour se demander si on doit le tolérer ou non.
 
          Curieux ces hommes qui, donnant la mort pour des raisons d'État, alors que la personne n'a rien demandé, sont soudain saisis par un sursaut d'humanité quand il s'agit simplement de satisfaire la volonté d'une personne. Confus ces hommes qui, voulant apporter une réponse à leurs interrogations, confondent de manière pitoyable les notions les plus élémentaires. 
 
          Les arguments posés en faveur ou en défaveur de l'euthanasie sont souvent de faux arguments. Notons par exemple que sous la République idéale de Platon, les médecins ne soignaient pas une personne n'étant pas capable de « vivre le temps fixé par la nature, parce que cela n'est avantageux ni à lui-même ni à l'État ». Il était dans l'intérêt de la société de faire primer l'État sur la personne. L'argument est ici politico-utilitariste. 
  
          D'un autre côté, le courant de la tradition judéo-chrétienne est opposé à l'euthanasie en faisant primer l'intérêt individuel sur celui de la société. Ses adeptes partent du commandement du Décalogue: « Tu ne tueras point », pour traiter en criminel les personnes qui pratiquent l'euthanasie, voire celles qui apportent leur aide ou assistance à cet acte. Ils font primer l'intérêt individuel sur celui de la société mais veulent aussi protéger la personne contre elle-même. 
 
          Aujourd'hui, le débat est toujours d'actualité et le comité consultatif national d'éthique a rendu un avis en France il y a quelques semaines. Notons au passage que la composition de ce comité (essentiellement des médecins) démontre que les membres et l'ensemble des personnes qui prétendent apporter des réponses à ces problèmes d'éthique n'ont même pas compris dans quelle matière, dans quel domaine entraient ces questions. Ce n'est certainement pas le rôle des médecins que de décider si tel comportement devra être autorisé ou interdit, s'il est conforme ou non au Droit(1) et à la Justice. Cela, c'est le rôle des juristes. En revanche, l'aide des médecins est indispensable pour une bonne compréhension des problèmes et leur résolution. 
 
Faux arguments 
  
          Pour en revenir à cet avis, il est d'un puissant illogisme. En effet, il prévoit que, dans certains cas désespérés le médecin pourra, bien entendu avec l'autorisation du juge, aider la malade à mourir dans la sérénité. L'argument retenu est un faux argument. Il est évident que le problème ne se situe pas sur le plan de la gravité de la maladie et de l'intensité des douleurs qu'elle occasionne. Ce pseudo-argument nie la vérité, à savoir que la seule solution conforme au Droit et à la Justice est de laisser au malade le droit qu'il a de décider, en homme libre qu'il est, en seul maître de sa vie, s'il veut lutter contre la mort ou mettre un terme à ses souffrances et quitter ce monde, au moment où il le désire, et de la manière qu'il aura choisie. 
  
          Cette solution résulte de la simple application du principe de propriété selon lequel l'homme est le seul propriétaire, le seul maître de sa vie. Il doit seul décider ce qu'il veut faire de son corps, mais aussi de son esprit, c'est-à-dire de ce qui fait qu'il existe en tant qu'homme(2). 
  
          À partir de là, on comprend bien que la prise en compte de critères comme la gravité de la maladie, son caractère incurable, est une escroquerie. Tout ceci relève de « l'évaluation législative ». On limite le champ d'intervention de la mesure afin de limiter les effets dits néfastes, prévus par des commissions techniques. Par exemple, on craint de tuer des personnes qui pourraient vivre encore quelque temps, même si cela doit être contre leur gré. On craint les fameux « abus », comme des enfants indignes et criminels qui pourraient demander l'euthanasie de leur vieux père pour abréger ses souffrances et, dans le même temps, abréger leur attente insoutenable de l'ouverture de la succession.            
  
  
     « La seule solution conforme au Droit et à la Justice est de laisser au malade le droit de décider, en seul maître de sa vie, s'il veut lutter contre la mort ou mettre un terme à ses souffrances et quitter ce monde, au moment où il le désire, et de la manière qu'il aura choisie. » 
 
  
          Tout ceci relève donc de « l'évaluation législative » (le comité consultatif national d'éthique est un peu le conseiller technique du législateur en matière de bioéthique), mais aussi d'une erreur dans les prémisses posées. En effet, si le risque de rencontrer la situation des enfants immoraux et criminels existe réellement, c'est par le fait de la loi qui autorise la famille à décider de faire pratiquer une euthanasie sur un parent incapable d'exprimer sa volonté. 
  
          De quel droit la famille d'un malade peut-elle supposer, présumer sa volonté de mourir dans une telle situation? Aucun principe juridique digne de ce nom ne justifie une telle disposition. Si un malade est dans un état végétatif avancé, que son cerveau est mort, mais que son coeur fonctionne toujours, on peut considérer que ce malade est mort. L'esprit qui était dans ce corps, et qui formait avec lui la personne, n'existe plus. Ce qui reste n'est qu'une entité matérielle, le simple support qui permettait à l'entité immatérielle qu'était l'esprit de s'exprimer. On peut donc arrêter de faire fonctionner artificiellement cette « machine déshumanisée » et la vouer au sort que la personne avait choisi de son vivant ou, à défaut, celle qui sera choisi par ses héritiers. 
  
          En revanche, si un malade est incapable d'exprimer sa volonté, mais que cette dernière existe toujours, il reste une personne à part entière. Et il semble que son incapacité à émettre sa volonté ne soit en aucun cas une justification de la transmission du pouvoir de décision aux autres membres de la famille. 
  
          Voilà à quoi nous sommes réduits. Les droits de l'homme n'existent pas en France. Ou plutôt, ils existent par eux-mêmes mais sont niés par nos politiciens et leurs « hommes de main ». Un jour peut-être l'homme aura retrouvé ses droits, un jour peut-être ce monde retrouvera un semblant de bon sens, une véritable humanité! 

Une mise en oeuvre pratique de l'euthanasie 
 
          Il est vrai que beaucoup de gens sont conscients que la personne devrait pouvoir disposer de sa vie, mais sont récalcitrants à l'idée de mettre en pratique l'euthanasie. On entend souvent que des abus inacceptables nous éloigneraient de la volonté, noble, de permettre à des personnes de mourir dans la dignité. 
 
          Mais, d'une part, on ne peut pas nier à la personne un droit qu'elle a, en vertu de l'application des principes juridiques fondamentaux, sous prétexte que son exercice pourrait avoir des conséquences néfastes. Ce que l'on peut faire par contre, et à mon avis ce que toute société devrait faire, c'est essayer de forger un système politique qui soit capable de respecter la liberté et les droits des êtres humains, tout en réglant les conflits juridiques interpersonnels. 
 
          Il est moral et éthique de laisser à l'homme la faculté de choisir, de « s'auto-gouverner ». C'est ce qu'on appelle en philosophie « la raison pratique ». Ce qui permet à l'homme de mettre en oeuvre son intelligence, de manière volontaire, afin de satisfaire les besoins qui vont le conduire à une vie parfaite, au sens où il entend la perfection et le bonheur. Une société reposant sur la volonté ne pourrait être, dans ces conditions, que plurielle. Il ne s'agirait en aucun cas d'imposer un système normatif calqué sur la conception de la perfection de certains. La société libertarienne ne pourrait être qu'une société « plurinormative », une société dans laquelle les individus se regrouperaient en fonction de leur vision de la perfection et des droits. 
  
          Dans la société libertarienne, l'euthanasie serait permise au nom du principe de propriété évoqué plus haut. On peut imaginer des individus favorables ou hostiles à l'euthanasie mais, dans les deux cas, l'éthique de chacun est respectée. Les membres ayant accepté de vivre en groupe par contrat, leur volonté est respectée et les règles qui les régissent, ce sont eux qui les ont choisies. 
  
          Dans un groupe libertarien, l'euthanasie serait régie par les principes fondamentaux du Droit libertarien, acceptés bien évidemment par la totalité des membres du « groupe social ». Le principe de propriété du corps humain permettrait donc à un homme de demander à un médecin, ou à toute personne qu'il jugerait compétente, de faire cesser l'activité de son corps. C'est la décision de l'esprit, qui est maître du corps, qui décide pour son bien-être, pour atteindre « sa perfection ». 
  
          Dans le cas où le malade est en état de mort cérébrale, on ne peut plus le considérer comme une personne humaine vivante. Et, on peut arrêter le fonctionnement artificiel du corps. Maintenant, la famille ou un ami peuvent demander que le corps soit maintenu en fonctionnement encore quelque temps, s'ils trouvent un hôpital qui accepte cette requête. Le prix de ce service serait acquitté par le demandeur ou une compagnie d'assurance, ou encore gracieusement offert par une quelconque personne. Dans une société telle, où la responsabilité des membres serait beaucoup plus développée que dans nos sociétés paternalistes, les assurances privées seraient monnaie courante.  
 
          Dans le cas où la personne a encore sa volonté, c'est-à-dire une activité cérébrale, il faudrait distinguer selon qu'elle peut exprimer sa volonté ou non:  

          1) Si la personne est incapable de s'exprimer: soit elle a prévu dans son testament la marche à suivre en cas de pareille situation, soit elle n'a rien prévu. Dans le cas où elle aurait prévu un « acharnement thérapeutique », elle a pu demander dans son testament qu'une personne en qui elle a confiance fasse exécuter sa volonté. Mais, le Droit libertarien n'obligerait pas l'exécuteur désigné à respecter les souhaits de la personne concernée. Par conséquent, on peut penser que les individus de ce groupe prévoiraient une solution de « rechange », par exemple ils pourraient confier l'exécution à une société privée, en cas d'inexécution de l'obligation morale de l'exécuteur désigné, et moyennant une somme d'argent prélevée dans la masse successorale. Dans le cas où elle aurait préféré qu'on laisse faire la nature, sans réanimation artificielle, sa volonté devra être respectée.  
 
          2) Si la personne est capable d'exprimer sa volonté, les difficultés sont minimes. On peut tout de même penser à des dispositions contractuelles qui assureraient, dans un groupe social libertarien, une pratique la plus sûre possible. On pourrait par exemple imaginer que le consentement du malade devra être constaté par un organe indépendant qui serait rémunéré par le groupe de manière forfaitaire. Cet organe pourrait être composé de personnes choisies au sein du groupe pour leur intégrité et leur honnêteté. Cet organe s'assurerait de la réalité du consentement et le ferait constater par document dûment signé. 
         Dans une société libertarienne, d'une façon ou d'une autre, qu'on soit pour ou contre l'euthanasie, capable ou non d'exprimer sa volonté, celle-ci sera respectée. Le cadre juridique fera en sorte que c'est nous, et non les hommes de l'État, qui décidons quoi faire de notre corps. 
 
 
1. Je n'emploie pas l'expression « Droit naturel » car elle est, à mon avis, un pléonasme. Il n'y a de Droit que naturel. Le reste, c'est de la législation, de la politique.  >>
 
2. Certains auteurs nient la possibilité d'admettre l'existence d'un droit de propriété de la personne sur elle-même. Leur argumentation est la suivante: le droit de propriété confère à son bénéficiaire les attributs que le code civil français énumère. Il s'agit de l'abusus, du fructus et de l'usus. L'abusus est le droit pour un propriétaire de disposer de la chose, de la maîtriser et de décider seul de son devenir. Or, nous expliquent ces auteurs, la personne humaine est incontrôlable. Elle appartient à Dieu car aucune personne ne sait quand elle va mourir, aucune personne n'est donc véritablement maître de sa vie. Par conséquent, parler de droit de propriété pour définir le lien qui unit la personne à son corps et son esprit est inconcevable. Il n'est même pas besoin de continuer pour montrer à quel point cet argument est ridicule. Quel propriétaire de voiture ou de maison peut savoir avec certitude quelle sera la durée de vie de son objet? En quoi le fait qu'il y ai un doute sur le moment auquel interviendra une chose certaine permet de déduire qu'on ne peut pas parler de droit de propriété? Si vous trouvez la solution à ce problème, appelez-moi, c'est urgent!  >>
 
 
 
 
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