Montréal, 29 avril 2000  /  No 61
 
 
<< page précédente 
 
 
 
 
Brigitte Pellerin est apprentie-philosophe iconoclaste, diplômée en droit et en musique. Elle poursuit des études supérieures en science politique. 
 
BILLET
 
LA DÉMOCRATIE EN MIETTES
 
par Brigitte Pellerin
  
  
          Ouch, l'orgueil. Le maire Bourque s'est fait rabrouer en pleine Assemblée nationale la semaine dernière. Devant tout le monde, il a reçu une fessée virtuelle lorsque le ministre de l'Environnement s'est levé pour annoncer que le gouvernement avait pris sa décision: il n'y aura pas de dépotoir sous l'échangeur Turcot. 
  
          Je gagerais que la nouvelle ne vous a pas fait broncher. Tout au plus avez-vous opiné; vous disant qu'une dompe à déchets (le bruit, les odeurs, les rats), à moins de 100 mètres de votre maison, vous n'aimeriez pas ça vous non plus.
 
          Puis vous êtes passés à autre chose. End of story. 
  
          Hum, vous n'avez peut-être pas remarqué, mais l'histoire cache un phénomène drôlement important pour la santé démocratique de notre beau coin de pays. Ce petit fait divers qui finira (comme tant d'autres) en queue de poisson est un signe tangible que notre système de gouvernement n'a plus de démocratique que le nom. En fait, notre système est plus près de la tyrannie qu'autre chose.  
  
          Vous avez bien lu: tyrannie. Voici pourquoi. 
  
Démocratie générique 
 
          L'histoire a commencé entre la Ville de Montréal et un entrepreneur privé, qui se sont entendus sur les détails d'un projet de dépotoir, au coût de 9 millions, qui devait traiter quelque 400 000 tonnes de déchets par année.  
  
          Le problème, c'est l'endroit. À moins de 100 mètres du site convoité se trouvent un centre pour personnes âgées et plusieurs autres habitations privées. Des camions qui vont et viennent (jusqu'à 215 voyages par jour), le trafic, le bruit, les odeurs franchement désagréables; l'idée ne plaisait évidemment pas aux gens du voisinage.  
  
          Surtout que la loi provinciale interdit tout dépôt de déchets à moins de 150 mètres d'une résidence privée. Pour une raison ou pour une autre (les mauvaises langues pourraient y voir des affaires louches), les gens de la Ville de Montréal pensaient bien pouvoir obtenir une exemption de la part du gouvernement provincial.  
  
          Sauf que devant les manifestations importantes des gens du quartier, le gouvernement mis fin aux espoirs de la ville. Soudainement, on s'est rendu compte en haut lieu « qu'il y avait des difficultés considérables et des effets non désirés »; alors tant pis pour les traitements de faveurs. La loi s'appliquera, puisque les citoyens ne semblent pas vouloir se laisser faire bêtement. 
  
          Et on s'exclame: « C'est une victoire pour la démocratie! »  
  
  
     « Dans une vraie démocratie, ce serait les citoyens qui proposeraient des nouvelles mesures et qui décideraient, comme des grands, s'ils préfèrent fusionner avec la ville voisine ou non, s'ils veulent un référendum sur la souveraineté ou non. » 
 
 
          C'est quand même incroyable. Sans les manifestations et pressions populaires, le ministère de l'Environnement aurait sans aucun doute modifié les règles afin d'accommoder la Ville de Montréal et son partenaire privé dans l'aventure, never mind les odeurs et le bruit des camions. Si les citoyens n'étaient pas montés aux barricades, ils se seraient fait avoir.  
  
          Le problème, c'est qu'on a tendance à confondre démocratie et démagogie. Jusqu'à ce que les citoyens se mettent à manifester bruyamment, le gouvernement se fichait pas mal de la qualité de vie des résidents de Saint-Henri.  
  
          La démocratie, c'est le gouvernement PAR et pour le peuple. Pas le gouvernement par deals privés derrière des portes closes qu'on tente par tous les moyens d'imposer aux citoyens. La démocratie, ce n'est pas gueuler assez fort pour faire reculer les politiciens quand leurs décisions viennent nous déranger dans notre cour.  
  
Démocratie inversée 
  
          Pensez aux fusions municipales forcées qui s'en viennent, à la fameuse ligne qu'Hydro veut absolument faire passer dans le coin de Val-Saint-François, ou encore l'interminable frou-frou sur la clarté référendaire. Les politiciens prennent des décisions et nous, les épais, on essaie de les faire reculer en beuglant aussi fort qu'on peut.  
  
          Dans une vraie démocratie, ce serait les citoyens qui proposeraient des nouvelles mesures et qui décideraient, comme des grands, s'ils préfèrent fusionner avec la ville voisine ou non, s'ils veulent un référendum sur la souveraineté ou non. Dans une vraie démocratie, même la question référendaire serait proposée et choisie par les citoyens.  
  
          Quoi, ça vous choque? Pas surprenant, on est tellement habitués à voir nos politiciens tout décider pour et par eux-mêmes, sans penser à nous demander notre avis...  
  
          (Pour ceux qui viendraient juste de tomber en bas de leur chaise et qui voudraient en lire plus long sur le sujet, je vous suggère de jeter un coup d'oeil sur Ici, le peuple gouverne(1), récemment publié aux Éditions Varia.)  
  
          Pourquoi notre système est-il plus près de la tyrannie que de la démocratie? Parce qu'on ne réagit plus qu'aux décisions aux conséquences très, très concrètes pour notre petit confort bien-à-nous, comme l'idée de décriminaliser la prostitution dans le quartier Centre-sud ou celle de planter un dépotoir dans la cour arrière d'un foyer pour personnes âgées.  
  
          Le reste, ce qui n'affecte pas directement notre nombril? Bof. On s'en bat les couilles. On laisse les politiciens agir à leur guise, du moment qu'ils ne viennent pas nous déranger dans notre jardin.  
  
          Victoire pour la démocratie, tu parles.  
  
  
1. Michel Boucher et Filip Palda, Ici, le peuple gouverne: Pour une réforme de la démocratie, 
    Montréal, Les Éditions Varia, 2000.  >> 
 
 
Articles précédents de Brigitte Pellerin
 
 
<< retour au sommaire
 PRÉSENT NUMÉRO