À travers un marasme de petites phrases, de déclarations
ampoulées et d'annonces stratégiques, nos mammouths étatiques
ont entrepris de nous jouer la comédie du pour et du contre, du
« grand débat républicain »
et des « enjeux de société ».
Ils laissent de plus flotter un suave parfum de référendum
– une fragrance qui séduit toujours les narines rousseauistes si
nombreuses parmi nous. Je ne vais pas m'étendre longuement sur ce
débat « technique », juste de quoi indiquer
au lecteur pourquoi je pense qu'il serait vain pour un libertarien de se
prononcer en faveur de l'une ou l'autre formule.
Cuisine
constitutionnelle: saignant ou bien cuit, votre président?
Entre la durée du mandat ( 5 ans ou maintien à 7 ans) et
son possible renouvellement – limité à X fois ou non – une
petite palette de combinaisons est possible, faites votre choix! En effet,
il faut ajouter en plus toutes les propositions qui porteront plus largement
sur l'ensemble des « institutions » – comme les
appellent ceux pour qui ce vocable désigne quelques palais parisiens
et les parasites qui y nidifient. Il est vrai qu'une modification sur le
volant présidentiel de la constitution de 1958 ne manquera pas d'entraîner
des demandes de rééquilibrage dans la foulée, histoire
de ne pas « briser notre équilibre institutionnel
hérité du Général » (Ah!
le Général...). Les socialistes de gauche (le PS) ont d'ores
et déjà annoncé la couleur et entendent bien profiter
de l'occasion pour s'attaquer au Sénat, vieux bastion des socialistes
de droite (RPR, RPF...)
Je pense que le choix libertarien – celui qui pourrait amener à
un amoindrissement des relations politiques dans la société
– est proprement absent de cette palette. Tout simplement parce que cette
dernière ne concerne à bien le prendre que les hommes du
pouvoir entre eux. Il est clair qu'à aucun moment, aucun des protagonistes
n'a cherché à mettre en avant un projet visant à amoindrir
le politique – c'est même tout le contraire. Dans notre beau
pays, il n'est jamais autant question de « marges de
manoeuvre », de « respiration démocratique
», de « réconcilier les Français
sur un projet politique » ou de les « souder
autour d'un projet commun » que lorsqu'on ouvre un chantier
constitutionnel(1).
C'est que nos dinosaures de palais escomptent à chaque fois que
le mouton citoyen, dans sa joie d'avoir participé à la «
vie de la République », en oubliera les
ciseaux du berger et endurera le coeur léger les rigueurs d'une
nouvelle tonte d'été... Heureusement (sic) pour eux, les
Français sont arrivés à une certaine saturation réglementaire
et fiscale, ce qui rend – c'est le bon côté de la chose –
ce genre de numéro d'hypnose collective de plus en plus difficile
à jouer... C'est là la fameuse « perte
du sens politique » sur laquelle nos crackpots universitaires
se lamentent.
La stérilité du débat est patente, un oeil sur les
motivations des protagonistes suffit pour s'en rendre compte... Les partisans
du septennat – comme l'ineffable Charles Pasqua(2)
et toute la (De) Gaulle historique avec lui – mettent en avant l'idée
que la longueur du mandat présidentiel actuel laisse les mains plus
libres au chef de l'État pour « impulser »
une direction au pays dans le cadre de projets de grande ampleur (sic).
En clair, ils entendent bien que les esclaves fiscaux et réglementaires
continuent à se taire (un peu) plus longtemps une fois le «
choix » des urnes effectué.
Une
mythologie gauliste
Derrière le septennat, il y a aussi toute une mythologie gaulliste
concernant le rôle « d'impartial arbitre
» que jouerait présumément le Président
de la République, au-dessus du jeu des partis et loin d'un régime
présidentiel à l'américaine. Hors du temps politique,
tenant bon la barre du navire France, stoïque que ce Président
« à la française! »
C'est pourtant bien l'impartial arbitre en question qui vient de lancer
le chantier du quinquennat pour ne pas se faire couper l'herbe électorale
sous le pied par son premier ministre – quiquenniste lui aussi – conseillé
sur ce point par Alain Juppé, le prédécesseur de M.
Jospin à Matignon. Hé oui, les présidentielles
ne sont pas loin et notre Président-qui-n'est-pas-un-Président-à-l'américaine
doit y penser... Fichtre! Qu'est-ce que ça serait s'il en était
un!
« Nos chers parasites étatiques ne font rien d'autre
que nous prendre à témoin de leurs petites histoires de cuisine
intérieure (imaginez-vous dans la marmite d'un groupe de cannibales,
interpellés par ces derniers qui se chamaillent sur la manière
de dresser la table...). »
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Les partisans du quinquennat sont à classer dans deux catégories
aussi peu libertariennes l'une que l'autre. D'un côté les
constructivistes radicaux du PS pour qui le quinquennat présidentiel
ne serait qu'une portion seulement du gâteau de la «
modernisation des institutions » – avec la limitation
du cumul des mandats, la parité homme-femme, un bon coup dans le
bastion de la droite qu'est le Sénat, etc. Ce n'est pas un hasard
si les intellectuels (sic) du PS planchent en ce moment même sur
de nouveaux « projets de société plus
juste et solidaire ». La seconde catégorie est
constituée par ces hommes de droite(3)
qui veulent sauver les meubles de la « monarchie »
gaulliste face aux gauchistes sus mentionnés. Prendre les devants
et céder deux ans n'est rien d'autre qu'un mouvement stratégique,
peu importe les écrans de fumée – « rapprocher
le pouvoir du citoyen », « éviter
la cohabitation », etc.
Eh oui! Nos chers parasites étatiques ne font rien d'autre que nous
prendre à témoin de leurs petites histoires de cuisine intérieure
(imaginez-vous dans la marmite d'un groupe de cannibales, interpellés
par ces derniers qui se chamaillent sur la manière de dresser la
table...). Et la sacro-sainte constitution de la République en fera
le compte rendu, avec la pompe de rigueur.
En résumé, je pense qu'il n'y a rien à espérer
du débat sur le quinquennat présidentiel, mais probablement
pas grand-chose à en craindre non plus, avouons-le. Les Français,
ne voulant ni du goulag totalitaire ni de la liberté (surtout pas
ça!) resterons les champions de la tyrannie molle, ni plus ni moins
dans quelques mois qu'ils le sont aujourd'hui. C'est de la culture d'un
peuple que jaillissent les institutions et les constitutions, non le contraire.
À mentalités inchangées, horizon politique inchangé.
Je fais malheureusement entièrement confiance à nos hommes
politiques pour continuer leur séculaire entreprise de sape du marché,
dans le cadre des « institutions » actuelles comme
dans le cadre éventuel d'institutions refondues.
Pour conclure, je dirai qu'encore une fois, le bon choix libertarien au
jour du référendum sur le quinquennat – s'il a lieu – serait
de bouder les urnes, façon polie de dire à ces messieurs
de la famille que nous n'avons que faire de leur mascarade.
1.
Je suis sceptique au possible sur la possibilité per se de
limiter sérieusement la croissance (naturelle, remarquait Bertrand
de Jouvenel dans Du Pouvoir) du pouvoir d'État par des mécanismes
constitutionnels, à moyen et long terme. C'est bien sur là
un sujet de débat chez les libertariens entre les anarcho-capitalistes
et les minimalistes. Nonobstant ce point, mon propos est de relever que
la tradition constitutionnelle française, aux antipodes du minimalisme
étatique libéral des pères fondateurs de la constitution
américaine par exemple, est au contraire axée sur l'idée
d'asseoir et de conforter le pouvoir d'État. Littéralement,
l'idée en France est que la constitution est faite POUR l'État
alors que quelque part, pour un Thomas Paine ou un Thomas Jefferson, elle
se devait d'être une barrière CONTRE celui-ci, au bénéfice
des gens. >> |
2.
Président du RPF, Rassemblement pour la France. >> |
3.
C'est l'ancien Président-arbitre-impartial Valéry Giscard
d'Estaing qui a lancé le débat, notamment à partir
d'un site web, Quinquennat.net
>> |
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