|
Montréal, 5 août 2000 / No 65 |
|
|
par
Olivier Golinvaux
Le sieur Beulemans vend des frites à New York. Ses affaires tournent court et il décide donc, en entrepreneur avisé, d'arrêter les frais. Il signifie à son employé, John Doe, que leur collaboration va dès lors se terminer. John Doe, fou de rage, prend la boutique d'assaut, menace de l'incendier, de faire exploser quelques engins par-ci, par-là et de déverser l'huile de friture dans la fontaine du parc voisin. Doe, vitupérant qu'un capitaliste sauvage s'apprête à détruire |
John Doe a commis une erreur de calcul impardonnable. Monumentale. Titanesque.
Pensez: La logique du droit du travail Cent vingt sept ouvriers de l'usine sidérurgique Forgeval, que dis-je! un bataillon de cégétistes ont rempli d'huile une gigantesque cuve située sous une presse en menaçant de l'enflammer. Ils ont également préparé un remake du 14 juillet, à l'aide de pneus et de bouteilles d'oxygène et d'acétylène – un dispositif pouvant être actionné à distance précise la presse. Enfin, s'inspirant du bataillon qui avait sévit à la filature Cellatex de Givet, dans les Ardennes, ils menacent de déverser du liquide hydrocarbure dans un canal d'épuration voisin. Mais pourquoi diable ce déploiement stratégique me direz-vous? La réponse tombe sous le sens! Pour aller négocier avec les parasites de la sous-préfecture – vous savez, ces employés de l'agence monopolistique chargée de protéger la propriété des Beulemans de Forgeval... D'ores et déjà, les représentants du bon ordre républicain ont accepté pour partie les revendications formulées par les représentants syndicaux. La première porte sur le calcul de la prime de licenciement, à effectuer sur la base de l'ancienne convention collective, plus avantageuse. Beulemans prend ici sa première leçon de droit du travail. Il faut oublier la logique des droits de propriété et celle du contrat, qui en découle. Les conventions collectives n'ont d'autre but que de régler un transfert de type redistributif. Il s'agit non pas d'échanger, mais de gratter autant que faire se peut – c'est-à-dire autant que les coups de gourdin et la position concurrentielle de l'entreprise le permettent. Dans la logique stato-syndicaliste française, le rôle d'une entreprise – qu'on tolère en attendant l'avènement du messie communiste – est de procurer des fonds à trois catégories de personnages qui sont dans l'ordre: 1. Les parasites du ministère des Finances: honneur au chef...L'idée qui sert de fil rouge au processus dénommé Nulle convention collective moins lourde pour toi tu ne négocieras. À quoi bon? car de toute façon la massue sur la tête tu recevras. Ton sort de dinosaure capitaliste voué à l'extinction prochaine avec résignation tu accepteras.Les oubliettes stato-syndicalo-médiatiques La seconde revendication porte sur l'attribution d'une surprime de
Il est bien évident que si la logique qui anime le droit du travail est celle du rapport de force, celle-ci n'a que faire – en dernière analyse – du cadre formel du droit du travail. Le vernis de légitimité plaqué par la législation sur la conquête brutale peut fort bien sauter. Les juristes connaissent le problème. Ils y voient l'expression de l'adage selon lequel Et Beulemans dans tout ça? On s'en fout! Littéralement. Les journalistes vont jusqu'à oublier d'en mentionner l'existence même. De toute manière, ce n'est qu'un La leçon n° 2 de Beulemans pourrait ainsi se formuler: Ce qu'ils te laisseront de ta propriété, entre les mains des hommes de l'État son sort tu remettras. Hé oui! Décidément, à l'extinction des dinosaures capitalistes avec fatalisme tu te résigneras.Ce qu'on va voir et ce qu'on n'aura pas vu Le sort lamentable de Beulemans est pourtant digne d'intérêt. En vérité, il l'est au plus haut point. Et il n'est nul besoin pour ce dire d'avoir une quelconque considération pour Beulemans lui-même – je suspecte en lui un colbertiste quémandeur de subventions, aussi méprisable que ses envahisseurs d'un jour... nous sommes en France après tout! Mais Beulemans aurait pu placer son capital dans d'autres activités, si d'aventure sa propriété sur celui-ci avait été reconnue et garantie. Oh bien sûr! cela implique que les employés qu'il aurait licenciés – c'est-à-dire avec lesquels il aurait cessé de collaborer – auraient dû chercher plus tôt un nouvel emploi et n'auraient pas pu emporter l'argenterie en souvenir. Mais cette recherche d'emploi en aurait été d'autant facilitée. En effet, la facilité avec laquelle une personne sans emploi en retrouvera un autre dépend de la rapidité avec laquelle les entrepreneurs-capitalistes peuvent se départir des méthodes de production (et in fine des productions) ne répondant plus aux attentes des consommateurs – qui sont eux-mêmes littéralement les employeurs des entrepreneurs-capitalistes. Cette mobilité du capital, si elle ne La logique du Code du travail, nous l'avons vu plus haut, a en ligne de mire l'extinction pure et simple des revenus du capital, et donc en définitive la consommation du capital lui-même. Comme entrave, c'est l'arme absolue! Car comment entraver la mobilité plus sûrement qu'en détruisant ce qui pourrait bouger? La logique de guerre du syndicalisme s'en moque. Son objectif n'est rien d'autre que de maximiser la consommation immédiate de ses membres, au détriment de leur consommation future – ce qui ne regarde qu'eux – et de celle de l'ensemble de la population – ce qui devrait concerner tout le monde. C'est l'ignorance crasse et l'endoctrinement socialiste qui fait qu'un peuple prend ce genre de prédateurs pour ses héros.
|
<< retour au sommaire |
|