Montréal, 5 août 2000  /  No 65
 
 
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Olivier Golinvaux est étudiant (DEA) à la faculté de Droit d'Aix-en-Provence.
 
À BON DROIT
  
LE SYNDICALISME DE GUERRE
 
par Olivier Golinvaux
  
  
          Le sieur Beulemans vend des frites à New York. Ses affaires tournent court et il décide donc, en entrepreneur avisé, d'arrêter les frais. Il signifie à son employé, John Doe, que leur collaboration va dès lors se terminer. John Doe, fou de rage, prend la boutique d'assaut, menace de l'incendier, de faire exploser quelques engins par-ci, par-là et de déverser l'huile de friture dans la fontaine du parc voisin. Doe, vitupérant qu'un capitaliste sauvage s'apprête à détruire « son » emploi, est alors prestement arrêté par Starsky et Hutch et l'affaire en reste là. 
 
          John Doe a commis une erreur de calcul impardonnable. Monumentale. Titanesque. Pensez: 10 000 kilomètres, une paille! Car c'est en France, patrie de la patate subventionnée et du Code du Travail que le coup de force de John aurait pris toute sa dimension héroïque. Ici, Starsky serait venu négocier poliment avec John la cessation des braillements de ce dernier en échange du pillage partiel et rigoureusement minuté des biens de Beulemans (un pillage sans risque qui plus est: Hutch aurait maîtrisé Beulemans en lui tordant le bras). À l'heure où j'écris ces lignes, un scénario parfaitement identique est en train de se dérouler en France, pour de bon. Beulemans fait partie d'une masse anonyme d'actionnaires; John Doe arbore l'étendard de la CGT (confédération générale des travailleurs); quant aux Starsky et Hutch du cru, ils ont troqué le jean et le cuir des héros contre le trois pièces des ronds de cuir d'une sous-préfecture de la République. 
  
La logique du droit du travail 
  
          Cent vingt sept ouvriers de l'usine sidérurgique Forgeval, que dis-je! un bataillon de cégétistes ont rempli d'huile une gigantesque cuve située sous une presse en menaçant de l'enflammer. Ils ont également préparé un remake du 14 juillet, à l'aide de pneus et de bouteilles d'oxygène et d'acétylène – un dispositif pouvant être actionné à distance précise la presse. Enfin, s'inspirant du bataillon qui avait sévit à la filature Cellatex de Givet, dans les Ardennes, ils menacent de déverser du liquide hydrocarbure dans un canal d'épuration voisin. Mais pourquoi diable ce déploiement stratégique me direz-vous? La réponse tombe sous le sens! Pour aller négocier avec les parasites de la sous-préfecture – vous savez, ces employés de l'agence monopolistique chargée de protéger la propriété des Beulemans de Forgeval... 
  
          D'ores et déjà, les représentants du bon ordre républicain ont accepté pour partie les revendications formulées par les représentants syndicaux. La première porte sur le calcul de la prime de licenciement, à effectuer sur la base de l'ancienne convention collective, plus avantageuse. Beulemans prend ici sa première leçon de droit du travail. Il faut oublier la logique des droits de propriété et celle du contrat, qui en découle. Les conventions collectives n'ont d'autre but que de régler un transfert de type redistributif. Il s'agit non pas d'échanger, mais de gratter autant que faire se peut – c'est-à-dire autant que les coups de gourdin et la position concurrentielle de l'entreprise le permettent.  
  
          Dans la logique stato-syndicaliste française, le rôle d'une entreprise – qu'on tolère en attendant l'avènement du messie communiste – est de procurer des fonds à trois catégories de personnages qui sont dans l'ordre: 
1. Les parasites du ministère des Finances: honneur au chef... 
2. Les employés de l'entreprise: la « justice sociale » et la théorie de la valeur travail exigent un traitement de faveur... 
3. L'entrepreneur-capitaliste lui-même: il peut ignominieusement conserver le reste et s'engraisser sur le dos de la collectivité. Qu'il en profite bien! Son heure va bientôt sonner...
          L'idée qui sert de fil rouge au processus dénommé « droit du travail » est fort simple: il s'agit de réduire autant qu'il est possible le (3) au bénéfice de (2) et de (1). Il s'agit donc bien d'un right as might, d'un droit de conquête. La bonne convention collective, c'est celle qui marque une « avancée sociale »; bref une redistribution – une distribution au-delà et par delà celle qui aurait été opérée par le fait des seuls contrats volontaires. Il n'y a rien d'étonnant à ce que des poings se serrent lorsqu'une nouvelle convention ne va pas dans ce sens – celui de l'histoire qui conduit implacablement à la fin du capitalisme, disent les légendes marxistes sur lesquelles s'endorment les petits Français. Alors, les hommes « de progrès » saisissent leur massues progressistes et s'en vont guerroyer pour remettre l'histoire sur ses rails. La leçon n° 1 de Beulemans était donc celle-ci: 
          Nulle convention collective moins lourde pour toi tu ne négocieras. À quoi bon? car de toute façon la massue sur la tête tu recevras. Ton sort de dinosaure capitaliste voué à l'extinction prochaine avec résignation tu accepteras.
Les oubliettes stato-syndicalo-médiatiques 
  
          La seconde revendication porte sur l'attribution d'une surprime de 50 000 FF per capita. En quel honneur mon général? D'une défunte parodie de contrat appelé convention collective? Même pas. Qu'à cela ne tienne! Tombons la tenue camouflage du droit du travail, camarades! C'est de « haute lutte » – comme dit l'expression syndicale désormais consacrée – que nous dépècerons l'ignoble animal licencieur! 
  
  
     « Dans la logique stato-syndicaliste française, le rôle d'une entreprise – qu'on tolère en attendant l'avènement du messie communiste – est de procurer des fonds à trois catégories de personnages: les parasites du ministère des Finances, les employés de l'entreprise et l'entrepreneur-capitaliste lui-même. » 
 
   
          Il est bien évident que si la logique qui anime le droit du travail est celle du rapport de force, celle-ci n'a que faire – en dernière analyse – du cadre formel du droit du travail. Le vernis de légitimité plaqué par la législation sur la conquête brutale peut fort bien sauter. Les juristes connaissent le problème. Ils y voient l'expression de l'adage selon lequel « le droit court après les faits ». C'est que le législateur a bien du mal à tisser le linceul paperassier dont il couvre pudiquement tant de forfaits à la vitesse à laquelle ceux-ci sont accomplis. La « haute lutte », ce n'est ni plus ni moins que prendre les devants. En montrant bien l'exemple, toutes les chances sont permises si suffisamment de camarades prennent la suite. Que le législateur s'active à tricoter ses textes! En attendant, il n'y a pas grand-chose à craindre. Starsky et Hutch ne lèveront pas le petit doigt de peur de ne pas avoir le dessus – politiquement j'entends, car un forcené malmené par la police devient un héros national ici, pour peu qu'il soit badgé CGT. 
  
          Et Beulemans dans tout ça? On s'en fout! Littéralement. Les journalistes vont jusqu'à oublier d'en mentionner l'existence même. De toute manière, ce n'est qu'un n° 3 jurassique condamné à l'extinction. Dès lors, à quoi bon s'en préoccuper? Bien plus intéressante est la passe d'arme entre la sous-préfecture et les butors syndicalistes – autrement dit entre les garants de « l'ordre public » et ceux de la « justice sociale ». Voilà bien, au passage, la démonstration éclatante des aléas de la sécurité telle que prodiguée par l'État. C'est la sous-préfecture seule qui va tenter, mollement, de limiter les dégâts face à la horde syndicaliste. Beulemans ne peut que se taire, privé de toute possibilité de s'adresser ailleurs pour se fournir en services de sécurité. Embaucherait-il une milice pour bouter les indésirables hors de chez lui? Alors Starsky et Hutch se décideraient enfin à cogner. Et dur ... Sur lui! 
  
          La leçon n° 2 de Beulemans pourrait ainsi se formuler: 
          Ce qu'ils te laisseront de ta propriété, entre les mains des hommes de l'État son sort tu remettras. Hé oui! Décidément, à l'extinction des dinosaures capitalistes avec fatalisme tu te résigneras.
Ce qu'on va voir et ce qu'on n'aura pas vu   
  
          Le sort lamentable de Beulemans est pourtant digne d'intérêt. En vérité, il l'est au plus haut point. Et il n'est nul besoin pour ce dire d'avoir une quelconque considération pour Beulemans lui-même – je suspecte en lui un colbertiste quémandeur de subventions, aussi méprisable que ses envahisseurs d'un jour... nous sommes en France après tout! Mais Beulemans aurait pu placer son capital dans d'autres activités, si d'aventure sa propriété sur celui-ci avait été reconnue et garantie. Oh bien sûr! cela implique que les employés qu'il aurait licenciés – c'est-à-dire avec lesquels il aurait cessé de collaborer – auraient dû chercher plus tôt un nouvel emploi et n'auraient pas pu emporter l'argenterie en souvenir. Mais cette recherche d'emploi en aurait été d'autant facilitée. 
  
          En effet, la facilité avec laquelle une personne sans emploi en retrouvera un autre dépend de la rapidité avec laquelle les entrepreneurs-capitalistes peuvent se départir des méthodes de production (et in fine des productions) ne répondant plus aux attentes des consommateurs – qui sont eux-mêmes littéralement les employeurs des entrepreneurs-capitalistes. Cette mobilité du capital, si elle ne « protège » en rien les emplois liés aux productions périmées, constitue cependant la meilleure « protection » des emplois à venir – ceux qui sont justement liés aux productions qui ont désormais la faveur des consommateurs. Par voie de conséquence, les entraves artificielles(1) à la mobilité des capitaux ne peuvent que flouer les consommateurs – dont les butors syndicalistes – et rendre la recherche d'un nouvel emploi plus ardue pour tous. L'intelligence aurait dicté aux employés de l'usine sidérurgique de Forgeval de s'en prendre, non à leur Beulemans d'employeur, mais bien aux ostrogoths du type de ceux qui ont déferlé sur la filature Cellatex, réduisant par-là même le champ du possible pour tout le monde.  
  
          La logique du Code du travail, nous l'avons vu plus haut, a en ligne de mire l'extinction pure et simple des revenus du capital, et donc en définitive la consommation du capital lui-même. Comme entrave, c'est l'arme absolue! Car comment entraver la mobilité plus sûrement qu'en détruisant ce qui pourrait bouger? La logique de guerre du syndicalisme s'en moque. Son objectif n'est rien d'autre que de maximiser la consommation immédiate de ses membres, au détriment de leur consommation future – ce qui ne regarde qu'eux – et de celle de l'ensemble de la population – ce qui devrait concerner tout le monde. C'est l'ignorance crasse et l'endoctrinement socialiste qui fait qu'un peuple prend ce genre de prédateurs pour ses héros. 
  
  
1. Il y a une entrave naturelle à la mobilité des biens de capitaux. Elle est liée au processus économique lui-même et est proprement incontournable. Il s'agit du problème de la conversion de biens de capitaux: on ne passe pas de la locomotive à vapeur à la locomotive électrique en un claquement de doigt. Aucun économiste n'ira raconter que la ré-affectation du capital n'est pas coûteuse – temps, énergie et pertes sèches. Le laisser faire économique n'est pas l'assurance que la mobilité des capitaux sera instantanée – impossibilité pure. Néanmoins, il est l'assurance qu'elle sera la plus rapide possible.  >>
 
 
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