Montréal,
16 septembre 2000 / No 67 |
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ÉDITORIAL
LE
FÉDÉRALISME CENTRALISATEUR
ET
LES RATÉS DE LA SANTÉ
par
Martin Masse
Ceux qui croient que notre système de santé connaît
des ratés à cause des récentes coupures de budgets
imposés par les gouvernements ont eu l’occasion de se réjouir
ces derniers jours. Une entente est finalement intervenue entre Ottawa
et les provinces sur une augmentation du Transfert social canadien (TSC). |
Ces sommes sont redistribuées par le gouvernement fédéral
pour contribuer au financement de la santé, de l’éducation
post-secondaire et de l’aide sociale, trois secteurs de juridiction provinciale.
Le TSC avait été coupé de plusieurs milliards de dollars
au cours des années 1990 dans le but d’aider à assainir les
finances du gouvernement fédéral et d’éliminer le
déficit. Maintenant qu’Ottawa nage dans les surplus, on desserre
les cordons de la bourse. Le Québec recevra donc cinq milliards
$ de plus au cours des cinq prochaines années pour combler
le « sous-financement » de son système
de santé.
Ottawa se permet de s’ingérer dans ces domaines et ainsi d’outrepasser
sa juridiction en vertu de son « pouvoir de dépenser
». C’est ce pouvoir de dépenser qui a été
contesté par des gouvernements québécois successifs
et qui a été au coeur de multiples palabres constitutionnels.
Heureusement, le pire a été évité et cette
entente n’a pas permis aux politiciens et bureaucrates fédéraux
d’augmenter leur emprise sur la gestion de la santé, comme ils tentent
systématiquement de le faire depuis des décennies et surtout
depuis la réélection des libéraux en 1997. Jean Chrétien
avait promis de mettre sur pied des programmes nationaux pour les soins
à domicile, les soins communautaires, l’accès aux médicaments
et d’autres bidules interventionnistes à grande échelle.
Rien de tout cela n’est à l’ordre du jour pour le moment.
La seule nouvelle initiative pancanadienne qui émerge de l’entente
est la confection de données pour comparer la qualité des
soins entre les provinces, et dont celles-ci seront responsables. On n’en
a évidemment pas besoin: l’Institut Fraser produit déjà
de telles données et on peut s’attendre à ce que les bureaucrates
provinciaux ne pécheront pas par excès d’objectivité
en décrivant leur performance. Mais le pire aurait été
qu’Ottawa ait la main haute sur ce processus, définisse lui-même
les critères et s’en serve en bout de ligne pour justifier des interventions
toujours plus poussées au nom de l’« équité
inter-régionale ». Comme l’a déclaré
Sharon Sholzberg-Gray, présidente de l’Association canadienne des
soins de santé, « What this document doesn't
do is ensure that there's access to comparable services across a broad
range of services ». Dieu merci!
Le
nationalisme malsain
La pire chose à faire en effet pour améliorer les soins de
santé au Canada serait d’uniformiser encore plus la gestion et l’offre
de services. Comme pour tous les autres secteurs de l’économie,
on ne sait pas exactement quelle est la meilleure façon de gérer
les soins de santé. Les technologies changent, la composition démographique
et les besoins évoluent, l’administration doit continuellement s’adapter.
Même en gardant ce secteur principalement sous le contrôle
de l’État, il est possible d’imaginer de nombreux modèles
de gestion. Uniformiser et centraliser la gestion d’un océan à
l’autre, comme voudraient le faire les mandarins fédéraux,
c’est s’assurer qu’il n’y aura qu’un seul type d’expérimentation,
qui reproduira partout les mêmes erreurs et empêchera l’émergence
d’innovations susceptibles d’améliorer les choses. C’est garantir
l’imposition d’un système encore plus sclérosé.
Ce qu’il faut au contraire, c’est laisser chaque province développer
son propre modèle de gestion et voir ensuite quelles sont les forces
et faiblesses de chacun. On pourra alors constater ce qui fonctionne le
mieux et les gouvernements provinciaux subiront la sanction de leurs électeurs
s’ils persistent à appliquer de mauvaises méthodes et ignorent
ce qui se fait de mieux ailleurs.
« Ce qu'il faut au contraire, c'est laisser chaque province
développer son propre modèle de gestion et voir ensuite
quelles sont les forces et faiblesses de chacun. On pourra alors constater
ce qui fonctionne le mieux. »
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Pourquoi devrait-on se soucier que l’Alberta ait un système de santé
différent de celui du Québec ou de Terre-Neuve? C’est justement
là la logique du fédéralisme, qui permet en théorie
à chaque région constituante de se gouverner comme elle l’entend
dans la plupart des secteurs qui touchent directement la vie des citoyens,
tout en gardant une certaine cohérence à l’ensemble du pays
pour les questions plus générales ou qui touchent les relations
internationales. Seule l’obsession d’uniformité des nationalistes
canadiens – aussi absurde que celle des nationalistes québécois
à l’échelle de la province – perpétue cette guerre
de juridiction.
Devenu depuis peu chevalier défenseur du centralisme fédéral
dans ses chroniques au Globe and Mail, l’ex-président
du lobby subventionné des Anglo-Québécois, Bill Johnson,
a ainsi déploré que l’entente n’ait pas permis d’apporter
« une rationalité pancanadienne au système
de santé ». Selon lui, le Canada risque de passer
du fédéralisme au féodalisme si Ottawa ne reprend
pas le contrôle de la situation en cessant d’être victime du
chantage des provinces. M. Johnson est aussi obsédé par sa
vision nationaliste que le sont les adversaires qu’il affrontait il y a
quelque temps dans la bataille linguistique. Pour lui, l’important n’est
pas de savoir si nous aurons un système de santé qui fonctionne,
mais bien « Will Canada be a real country?
» Un « vrai » pays, dans sa vision
trudeauiste, ça impose des normes et des programmes centralisés.
Et puis, tant qu’à y être, les cancéreux devraient
se laisser chanter un vigoureux et national Oh Canada! comme thérapie
musicale au lieu d’attendre de vulgaires radio-thérapies administrées
par des baronnets provinciaux...
Le
nationalisme positif
Disons-le toutefois, dans cette dynamique politique pancanadienne, le nationalisme
québécois s’avère une force positive, à tout
le moins lorsque le gouvernement québécois s’allie aux autres
gouvernements provinciaux de tendance décentralisatrice au lieu
de rester seul dans son coin. C’est ce qui est arrivé cette fois,
l’alliance entre Lucien Bouchard et son collègue Mike Harris de
l’Ontario ayant mis en échec les prétentions fédérales.
Cette dynamique constructive, seule alternative au fédéralisme
centralisateur comme à un séparatisme dont une majorité
de Québécois ne veut pas, a maintenant un puissant moteur
derrière elle, l’Alliance canadienne. Si les Québécois
décident d’embarquer dans ce train au lieu de reporter au pouvoir
des marionnettes bloquistes et libérales, comme il est souhaitable
qu’ils le fassent, des ententes de ce genre pourraient devenir choses plus
fréquentes dans l’avenir et sortir enfin la province du marasme
constitutionnel dans lequel elle languit depuis 30 ans.
Il faudra aller beaucoup plus loin en effet pour éliminer complètement
l’influence néfaste d’Ottawa dans la santé. D’abord, abolir
la Loi canadienne sur la santé, adoptée en 1983, et qui impose
cinq principes de gestion aux provinces en contrepartie des transferts
fédéraux (l'universalité, l'accessibilité,
l'intégralité, la transférabilité et la gestion
publique du système). Cette loi est le principal obstacle aux tentatives
d’innover des provinces, comme on l’a vu il y a quelques années
quand Ottawa s’est opposé au projet albertain de privatiser certains
services.
Ensuite, éliminer carrément les TSC eux-mêmes, qui
constituent en fait la massue financière qui permet au gouvernement
fédéral d’imposer ses volontés. Il n’y a aucune logique
à ce système, où l’argent qu’Ottawa nous soutire est
ensuite redistribué aux provinces, à part bien sûr
le désir fédéral de s’ingérer dans des compétences
qui ne sont pas les siennes. Les points d’impôt qui correspondent
à ces montants devraient tout simplement être transférés
en permanence aux provinces, qui en feront ce qu’elles voudront. C’est
ce que propose le Parti libéral du Québec, qui pour une fois
appuie une bonne idée. Et on peut aussi s’attendre à ce qu’un
futur gouvernement allianciste appuie une telle mesure.
Il s’agit là d’une simple première étape pour qu’on
puisse éventuellement régler les ratés de la santé.
L’autre réforme essentielle, c’est bien sûr celle de la privatisation
des systèmes par les provinces. Les fonds supplémentaires
qui commenceront bientôt à arriver dans les hôpitaux
ne sont en effet qu’un plaster sur un gros bobo. Comme le montre
justement une étude récente de l’Institut Fraser (voir SPEND
MORE, WAIT LESS? THE MYTH OF UNDERFUNDED MEDICARE IN CANADA),
les listes d’attente ne sont pas moins longues dans les provinces qui dépensent
plus sur la santé que dans celles qui dépensent moins. En
fait, il n’y a aucune relation entre les deux variables. La gestion bureaucratique
des soins de santé est tellement inefficace que des fonds supplémentaires
se perdent tout simplement dans les méandres administratifs, sans
vraiment avoir d’impact pour les patients. C’est la médiocrité
qui règne partout.
En décentralisant complètement la gestion de la santé
au Canada, et en laissant les provinces expérimenter chacune à
sa façon, nous pourront enfin constater que ce sont celles qui vont
le plus loin dans la privatisation des services qui ont les meilleurs résultats.
C’est à ce moment qu’une véritable réforme pourra
avoir lieu.
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Le
Québec libre des nationalo-étatistes |
L'ÉTAT,
NOTRE BERGER?
« Après
avoir pris ainsi tour à tour dans ses puissantes mains chaque individu,
et l'avoir pétri à sa guise, le souverain étend ses
bras sur la société tout entière; il en couvre la
surface d'un réseau de petites règles compliquées,
minutieuses et uniformes, à travers lesquelles les esprits les plus
originaux et les âmes les plus vigoureuses ne sauraient faire jour
pour dépasser la foule; il ne brise pas les volontés, mais
il les amollit, les plie et les dirige; il force rarement d'agir, mais
il s'oppose sans cesse à ce qu'on agisse; il ne détruit point,
il empêche de naître; il ne tyrannise point, il gêne,
il comprime, il énerve, il éteint, il hébète,
et il réduit enfin chaque nation à n'être plus qu'un
troupeau d'animaux timides et industrieux, dont le gouvernement est le
berger. »
Alexis
de Tocqueville
DE
LA DÉMOCRATIE EN AMÉRIQUE (1840) |
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