Montréal, 30 septembre 2000  /  No 68
 
 
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Jesús Huerta de Soto est professeur titulaire en économie politique à l'Universidad Complutense de Madrid.
 
 
 
 
 
MOT POUR MOT
  
LES DIFFÉRENCES ESSENTIELLES
ENTRE LES THÉORIES ÉCONOMIQUES AUTRICHIENNE ET NÉOCLASSIQUE*
  
par Jesús Huerta de Soto
  
 
          La chute du socialisme réel il y a quelques années ainsi que la crise de l'État-providence ont porté un dur coup au programme de recherche économique d'inspiration majoritairement néoclassique qui a jusqu'ici soutenu les tentatives d'ingénierie sociale, en plus de confirmer en grande partie les conclusions de l'analyse théorique autrichienne sur l'impossibilité du socialisme. L'École autrichienne, comme on le sait, a vu le jour en 1871 avec la publication de Grundsäätze(1) par Carl Menger. Cet article se penche sur les caractéristiques qui distinguent les deux approches.
 
La théorie autrichienne de l'action versus la théorie néoclassique de décision 
  
          Pour les théoriciens de l'École autrichienne, la science économique est conçue comme une théorie de l'action plutôt que comme une théorie de la prise de décision, et c'est là l'une des caractéristiques qui les distinguent le plus clairement de leurs collègues de tendance néoclassique. En fait, le concept d'action humaine renferme déjà celui de décision individuelle et plus encore. En premier lieu, pour les Autrichiens, il inclut non seulement le processus hypothétique de prise de décision dans un environnement où la connaissance des fins et des moyens est une variable « donnée », mais il inclut surtout, et c'est là le point crucial, « la perception même du cadre des fins et des moyens à l'intérieur duquel la répartition et l'économie des ressources doit avoir lieu »(2) 
  
          Qui plus est, le facteur le plus important pour les Autrichiens n'est pas qu'une décision soit prise, mais bien qu'elle le soit sous la forme d'une action par l'individu (une action qui peut arriver ou non à sa conclusion) dans le déroulement de laquelle se retrouvent une série d'interactions et de processus de coordination dont l'étude constitue précisément le sujet de recherche de la science économique. Ainsi, l'économique pour les Autrichiens, loin d'être une théorie du choix ou de la décision, est une théorie des processus d'interaction sociale, qui peuvent être coordonnés dans une plus ou moins large mesure selon le degré de vigilance dont font preuve les différents acteurs impliqués dans chaque action entrepreneuriale(3)  
  
          En conséquence, les Autrichiens sont particulièrement critiques de la conception étroite de l'économie qui découle de la fameuse définition qu'en a fait Lionel Robbins comme la science qui étudie l'utilisation des ressources rares pouvant être consacrées à divers usages dans le but de satisfaire les besoins humains(4). La conception de Robbins implique une connaissance donnée des fins et des moyens et donc, le problème économique est réduit à un simple problème technique d'allocation, de maximisation ou d'optimisation, sujet à des contraintes connues. Autrement dit, la conception de l'économique chez Robbins correspond à l'essence même du paradigme néoclassique et s'avère complètement étrangère à la méthodologie autrichienne telle qu'elle est comprise aujourd'hui.  
  
          En fait, l'homme robbinsien est un automaton ou une caricature d'un être humain qui ne fait que réagir passivement aux événements. La position de Mises, Kirzner et des autres Autrichiens doit être mise en lumière en opposition avec celle de Robbins. Ils considèrent plutôt que loin d'allouer des moyens donnés à des fins données, ce que l'homme fait réellement, c'est de constamment chercher de nouveaux buts et de nouveaux moyens d'y arriver en apprenant du passé et en usant de son imagination pour découvrir et créer (par l'action) le futur. Ainsi, pour les Autrichiens, l'économique n'est qu'une sous-catégorie ou une partie intégrée d'une science beaucoup plus large, une théorie générale de l'action humaine (non de la décision humaine). Selon Hayek, si, pour définir cette science générale de l'action humaine, « un nom s'avère nécessaire, le terme de science praxéologique qui a été clairement défini et amplement utilisé par Ludwig von Mises apparaît comme le plus approprié »(5). 
  
Le subjectivisme autrichien versus l'objectivisme néoclassique 
  
          Un second aspect d'une importance capitale pour les Autrichiens est le subjectivisme(6). Leur perspective subjectiviste s'incarne dans une tentative de fonder la science économique sur la réalité de vrais êtres humains faits de chair et d'os, définis comme des acteurs qui créent et qui dirigent tous les processus sociaux. C'est pourquoi, pour Mises, « l'économique ne se préoccupe pas des choses, des objets matériels tangibles. Elle concerne les hommes, leurs valeurs et leurs actions. Les biens, les commodités et la richesse, et tous les autres éléments qui touchent leur conduite ne font pas partie de la nature; ce sont des instruments rattachés à un sens ou à un agissement humains. Celui qui veut les analyser ne doit pas regarder le monde externe. Il doit voir en quoi ils consistent à travers le sens que leur donne l'homme qui agit »(7) 
  
          Ainsi, pour les Autrichiens, et en fort contraste avec les néoclassiques, les contraintes de la réalité économique ne sont pas imposées par des phénomènes objectifs ou des facteurs matériels du monde externe (par exemple, les réserves de pétrole), mais par le savoir subjectif de l'homme entrepreneur (par exemple, la découverte d'un carburateur qui double l'efficacité d'un moteur à combustion interne a le même effet économique que la duplication de toutes les réserves de pétrole).  
  
L'entrepreneur autrichien versus l'homo oeconomicus néoclassique 
  
          L'entrepreneurship est la force qui joue le rôle principal dans la théorie économique autrichienne alors qu'il se distingue surtout par son absence dans la théorie néoclassique. Pourtant, l'entrepreneurship est un phénomène typique du monde réel qui est constamment en déséquilibre, et ne peut jouer de rôle dans les modèle d'équilibre qui absorbent toute l'attention des auteurs néoclassiques. Qui plus est, les néoclassiques considèrent l'entrepreneurship comme un autre simple facteur de production qui peut être alloué en tenant compte de ses coûts et bénéfices attendus, sans se rendre compte qu'en analysant l'entrepreneur de cette façon, ils font preuve d'une contradiction logique insoluble: allouer les ressources entrepreneuriales selon leurs coûts et bénéfices attendus signifie qu'une information sur quelque chose (la valeur probable des futurs coûts et bénéfices) est disponible aujourd'hui avant même sa création par l'entrepreneur lui-même. En d'autres termes, la fonction première de l'entrepreneur consiste à créer et à découvrir de l'information qui n'existait pas auparavant et qui ne peut être connue, ce qui signifie qu'il est humainement impossible de prendre une décision préalable de type néoclassique sur l'allocation à faire sur la base des coûts et bénéfices prévus.  
  
          De plus, il y a unanimité aujourd'hui au sein des économistes autrichiens quant à reconnaître la fausseté de la croyance selon laquelle le profit entrepreneurial résulte uniquement de la prise de risque. Le risque au contraire ne fait que susciter un autre coût dans le processus de production, qui n'a rien à voir avec le profit entrepreneurial pur(8). 
  
L'erreur entrepreneuriale autrichienne versus la rationalisation ex post des décisions passées néoclassiques 
  
          Les rôles très différents que joue le concept de l'erreur dans les écoles autrichienne et néoclassique est rarement apprécié. Pour les Autrichiens, il est possible de commettre des erreurs véritablement entrepreneuriales(9) chaque fois qu'une occasion de gain dans le marché reste non découverte par les entrepreneurs. C'est précisément ce type d'erreur qui engendre le profit entrepreneurial pur. Pour les néoclassiques au contraire, il n'y a jamais d'erreur entrepreneuriale pure qui pourrait subséquemment être regrettée. Cela découle du fait que les néoclassiques rationalisent toutes les décisions prises dans le passé sur la base d'une présumée analyse de coûts-bénéfices faite à l'intérieur du cadre d'une maximisation contraignante. De cette façon, le profit entrepreneurial pur n'a aucune raison d'exister dans le monde néoclassique et, lorsqu'il est mentionné, est considéré comme un simple paiement pour les services d'un facteur de production ou comme un revenu découlant d'une prise de risque.  
 
L'information subjective autrichienne versus l'information objective néoclassique 
  
          Les entrepreneurs génèrent constamment de nouvelles informations qui sont essentiellement subjectives, pratiques, dispersées et difficilement exprimables(10). La perception subjective de l'information est ainsi un élément essentiel de la méthodologie autrichienne qui est absent de l'économie néoclassique, puisque cette dernière tend à considérer l'information de façon objective. En fait, la plupart des économistes ne se rendent pas compte que lorsque les Autrichiens et les néoclassiques utilisent le terme information, ils se réfèrent à deux choses qui diffèrent radicalement. Pour les néoclassiques en effet, l'information, comme les autres marchandises, est quelque chose d'objectif et qu'on peut acheter et vendre sur le marché suite à une décision de maximisation. Cette « information », qui peut être entreposée sur n'importe quel support, n'est d'aucune façon semblable à l'information dans le sens subjectif des Autrichiens, lequel consiste en une connaissance pratique et pertinente qui est créée, interprétée et utilisée par l'acteur dans le contexte d'une action spécifique.  
  
          C'est pourquoi les Autrichiens critiquent Stiglitz et d'autres théoriciens néoclassiques de l'information pour ne pas avoir été capables d'intégrer leur théorie de l'information avec la notion d'entrepreneurship, avec laquelle elle est toujours rattachée, comme les Autrichiens eux-même l'ont fait. De plus, pour les Autrichiens, Stiglitz ne comprend pas tout à fait que l'information est toujours subjective et que les marchés qu'ils désignent comme « imparfaits », loin de générer des « inefficacités » (dans le sens néoclassique) mènent au contraire à la formation d'occasions de gain entrepreneurial qui tendent à être découvertes et utilisées par les entrepreneurs dans le processus de coordination du marché qu'ils alimentent constamment(11). 
  
La coordination entrepreneurial autrichienne versus l'équilibre général et/ou partiel néoclassique 
  
          Les modèles d'équilibre des économistes néoclassiques ignorent habituellement l'aspect de force coordonnatrice que présente l'entrepreneurship pour les Autrichiens. Cette force ne fait pas que créer et transmettre de l'information mais, de façon plus importante, elle alimente en effet la coordination entre les comportements inadaptés des acteurs dans la société. De façon concrète, toute incoordination sociale se présente comme une occasion de gain qui reste latente jusqu'à ce qu'elle soit découverte par des entrepreneurs. Lorsque l'entrepreneur se rend compte de l'existence de cette occasion de gain et agit pour en tirer profit, celle-ci disparaît dans un processus spontané de coordination, ce qui explique la tendance à l'équilibre qui existe dans toute économie de marché.  
  
          Qui plus est, la nature coordinatrice de l'entrepreneurship est le seul facteur qui rend possible l'existence de la théorie économique en tant que science, comprise comme un corpus théorique de lois de coordination qui expliquent les processus sociaux(12). Cette approche explique pourquoi les économistes autrichiens sont intéressés à l'étude de la compétition comme réalité dynamique (définie comme un processus où joue la rivalité), alors que les économiques néoclassiques se concentrent exclusivement sur les modèles d'équilibre qui sont typiques de la statique comparée (compétition « parfaite », compétition « imparfaite » ou monopolistique)(13) 
  
          Pour Mises, il n'y a aucun sens à vouloir construire une science économique fondée sur le modèle de l'équilibre, dans lequel on présuppose que toutes les informations pertinentes pour étayer les fonctions d'offre et de demande sont considérées comme « données ». Le problème économique fondamental pour les Autrichiens est très différent: étudier les processus dynamiques de coordination sociale dans lesquels les individus sont constamment en train de générer de nouvelles informations (qui ne sont jamais « données ») lorsqu'ils tentent d'atteindre les fins et moyens qu'ils jugent importants dans le contexte de chaque action où ils sont impliqués, établissant ainsi sans s'en rendre compte un processus spontané de coordination.  
  
          Pour les Autrichiens donc, le problème économique fondamental n'est ni technique ni technologique, comme le conçoivent ordinairement les théoriciens du paradigme néoclassique lorsqu'ils supposent que les moyens et les fins sont « données » et qu'ils présentent le problème économique comme s'il s'agissait d'un simple problème de maximisation. En d'autres mots, pour les Autrichiens, le problème économique fondamental n'est pas la maximisation d'une fonction visant l'atteinte d'un but connu et sujette à des contraintes qui le sont aussi. Le problème est au contraire strictement économique: il émerge lorsqu'il y a plusieurs fins et moyens qui s'offrent comme alternatives, lorsque le savoir qui leur correspond n'est ni donné ni constant mais plutôt dispersé dans les esprits d'un nombre incalculable d'êtres humains qui le créent et le génèrent continuellement ex novo; conséquemment, toutes les alternatives possibles qui existent, toutes celles qui seront créées dans l'avenir, et l'intensité relative avec laquelle chacune sera poursuite, ne peuvent même pas être connues(14). 
  
          De plus, il est nécessaire de comprendre que même ce qui apparaît comme une simple action humaine visant à la maximisation ou à l'optimisation contient toujours un aspect entrepreneurial, puisque l'acteur qui y est engagé a dû se rendre compte auparavant que cette façon d'agir, qui est automatique, mécanique et réactive, est la plus recommandable dans les circonstances spécifiques où il se trouve. En d'autres termes, l'approche néoclassique n'est qu'un cas spécifique, d'importance relativement minime, à l'intérieur de la conception autrichienne, qui est beaucoup plus générale, riche et explique mieux le monde réel.  
  
          Il n'y a par ailleurs aucune raison pour les Autrichiens de séparer la micro-économique et la macro-économique en deux compartiments rigidement séparés comme le font les économistes néoclassiques. Au contraire, les problèmes économiques devraient être étudiés conjointement, sur une base d'inter-relations, sans distinguer leurs facettes micro et macro. Cette séparation radicale des aspects micro et macro de la science économique est l'une des déficiences les plus typiques des manuels d'introduction contemporains à l'économie politique. Au lieu d'offrir un traitement unifié des problèmes économiques, comme Mises et les économistes autrichiens tentent de le faire, ils présentent toujours une science économique divisée en deux disciplines différentes sans liens entre elles et qui peuvent donc être étudiées séparément.  
  
          Comme Mises le dit si bien, cette séparation provient de l'utilisation de concepts tels que le niveau général des prix qui ignorent l'application de la théorie de la valeur subjective et marginaliste à la monnaie et qui restent ancrés dans la phase pré-scientifique de l'économique, lorsqu'on tentait encore de faire des analyses en termes de classes globales ou d'agrégats de produits plutôt que d'unité additionnelle ou marginale. Cela explique le développement jusqu'à aujourd'hui d'une « discipline » entière fondée sur l'étude des relations mécaniques qui existent présumément entre les agrégats macro-économiques, dont le lien avec l'action humaine est difficile, sinon impossible, à comprendre(15). 
  
          Quoi qu'il en soit, les économistes néoclassiques ont fait du modèle d'équilibre le point de convergence de leurs recherches. Dans ce modèle, ils présument que toute l'information est « donnée » (soit de façon certaine, soit de façon probabiliste) et que les différentes variables sont parfaitement ajustées. Du point de vue autrichien, le principal désavantage de cette méthodologie est que, puisque les variables et paramètres sont considérés comme parfaitement ajustés, il est facile de tirer des conclusions erronées sur les relations de causes à effets entre les différents concepts et phénomènes économiques. Ainsi, l'équilibre tient lieu de voile qui empêche le théoricien de découvrir la direction véritable dans les relations de causes à effets des lois économiques. Au lieu de voir des tendances qui vont dans une direction unique, l'économiste néoclassique conçoit une détermination mutuelle (circulaire) entre les différents phénomènes, dont l'origine (l'action humaine) reste masquée ou est considérée comme sans intérêt(16). 
  
Les coûts subjectifs autrichiens versus les coûts objectifs néoclassiques 
  
          Un autre élément essentiel de la méthodologie autrichienne est sa conception purement subjective des coûts. Plusieurs auteurs croient qu'il ne serait pas très difficile de l'incorporer dans le paradigme néoclassique dominant. Toutefois, les néoclassiques n'incluent la nature subjective des coûts que de façon rhétorique et, en bout de ligne, même s'ils mentionnent l'importance des coûts d'opportunité, l'incorporent toujours sous une forme objectivée dans leurs modèles. Pour les Autrichiens cependant, le coût est la valeur subjective que l'acteur attribue aux fins auxquelles ils renoncent lorsqu'il décide d'entreprendre et de suivre une certaine logique d'action. En d'autres termes, il n'y a pas de coûts objectifs. Les coûts doivent plutôt être découverts grâce à la vigilance entrepreneuriale de chaque acteur. En fait, plusieurs alternatives possibles peuvent rester inaperçues mais, du moment qu'elles sont découvertes, elles changent radicalement la perception subjective des coûts de la part de l'entrepreneur.  
  
          Les coûts objectifs qui tendent à déterminer la valeur des buts à atteindre n'existent donc pas. La véritable situation est tout le contraire: les coûts sont conçus et donc déterminés comme valeur subjective selon la valeur subjective des fins recherchées (les biens de consommation) par l'acteur. Ainsi, pour les économistes autrichiens, c'est le prix définitif des biens de consommation, vu comme la matérialisation des évaluations subjectives dans le marché, qui détermine les coûts que l'acteur est prêt à supporter dans le but de les produire, et non le contraire comme le supposent si souvent les économistes néoclassiques. 
  
Le formalisme verbal autrichien versus le formalisme mathématique néoclassique 
  
          Un autre aspect intéressant des positions divergentes des deux écoles concerne l'utilisation du formalisme mathématique dans l'analyse économique. Depuis les origines de l'École autrichienne, son fondateur Carl Menger a pris soin de souligner que l'avantage du langage verbal est qu'il permet d'exprimer l'essence (das Wesen) des phénomènes économiques, ce que le langage mathématique ne peut faire. Dans une lettre à Walras écrite en 1884, Menger se demande: « Comment peut-on obtenir la connaissance de cette essence, par exemple l'essence de la valeur, l'essence de la rente foncière, l'essence des profits entrepreneuriaux, de la division du travail, du bimétallisme, etc., par la méthode mathématique? »(17) Le formalisme mathématique est particulièrement adapté pour exprimer des états d'équilibre comme ceux que les économistes néoclassiques étudient, mais il ne permet pas d'inclure la réalité subjective du temps et encore moins celle de la créativité entrepreneuriale, qui sont des caractéristiques essentielles du raisonnement analytique des Autrichiens.  
  
          Hans Meyer a sans doute résumé les insuffisances du formalisme mathématique mieux que quiconque lorsqu'il a dit qu'« il y a une fiction immanente, plus ou moins dissimulée, au coeur même des théories mathématiques d'équilibre: elles lient ensemble, dans des équations simultanées, des ordres de grandeur non-simultanés qui interviennent dans une suite d'événements de nature génétique-causale comme s'ils existaient tous au même moment. Une situation apparaît comme synchronisée dans cette approche "statique" alors qu'en réalité nous avons affaire à un processus. Mais on ne peut tout simplement pas considérer un processus générateur de changement comme s'il s'agissait d'un état de repos sans précisément éliminer ce qui en fait ce qu'il est. »(18) 
 
  
     « Le formalisme mathématique est particulièrement adapté pour exprimer des états d'équilibre comme ceux que les économistes néoclassiques étudient, mais il ne permet pas d'inclure la réalité subjective du temps et encore moins celle de la créativité entrepreneuriale, qui sont des caractéristiques essentielles du raisonnement analytique des Autrichiens. » 
 
 
          Pour les Autrichiens, cela signifie que plusieurs des théories et conclusions de l'analyse néoclassique de la consommation et de la production n'ont aucun sens. C'est le cas par exemple pour ce qu'on appelle la « règle de l'égalité des utilités marginales pondérées (par les prix) », dont les fondements théoriques sont extrêmement douteux. En effet, cette règle tient pour acquis que l'acteur est capable d'évaluer simultanément l'utilité de tous les biens dont il dispose, ce qui ignore le fait que toute action est nécessairement séquentielle et créative. Les biens ne sont pas évalués en même temps, ce qui permettrait d'égaliser leur présumée utilité marginale, mais bien les uns après les autres, dans le contexte de différentes étapes et différentes actions, ce qui fait que les utilités marginales peuvent être non seulement différentes, mais qu'on ne peut sans doute même pas les comparer(19) 
  
          En bref, pour les Autrichiens, l'utilisation des mathématiques en économie est une mauvaise méthode parce qu'elles lient de façon synchronique des variables qui sont pourtant hétérogènes du point de vue de la temporalité et de la créativité entrepreneuriale. Pour la même raison, le critère de rationalité axiomatique souvent utilisé par les économistes néoclassiques n'a pas plus de sens. En effet, si un acteur préfère A à B et B à C, il est tout à fait possible qu'il préfère C à A, et cela ne fait pas de lui un être « irrationnel » ou incohérent s'il a simplement changé d'idée (même si cela ne prend que le centième de seconde nécessaire pour que ce problème soit soumis à son raisonnement)(20). Du point de vue autrichien, le critère néoclassique de la « rationalité » tend à confondre la notion de constance avec celle de cohérence.  
  
Le lien avec le monde empirique: les sens variés du mot « prédiction » 
  
          Enfin, le rapport distinct avec la réalité empirique et l'approche différente concernant la possibilité de prédire l'avenir situent le paradigme autrichien en opposition radicale aux positions de l'École néoclassique. Dans les faits, l'impossibilité dans laquelle se trouve le chercheur qui « observe » d'obtenir l'information pratique qui est constamment en train d'être créée et découverte d'une façon décentralisée par les acteurs-entrepreneurs « observés » explique l'impossibilité théorique de tout type de vérification empirique en économie. Les Autrichiens considèrent en effet que les mêmes raisons qui déterminent l'impossibilité théorique du socialisme expliquent également pourquoi l'empirisme et les analyses de coûts-bénéfices ou l'utilitarisme dans sa conception la plus stricte ne sont pas des approches scientifiques convenables. Il importe peu de savoir s'il s'agit d'un chercheur qui tente vainement d'obtenir l'information pratique pertinente à chaque cas dans le but de vérifier la justesse de théories ou d'un gouvernant qui tente de doter ses ordres d'une nature coordinatrice. S'il était possible d'obtenir cette information, on pourrait l'utiliser tout autant pour coordonner la société par des commandements coercitifs (socialisme ou interventionnisme) que pour vérifier empiriquement des théories économiques.  
  
          Cependant, pour les mêmes raisons, premièrement à cause de l'immense volume d'information en jeu; deuxièmement, à cause de la nature de l'information pertinente (disséminée, subjective et tacite); troisièmement, à cause de la nature dynamique du processus entrepreneurial (l'information qui n'a pas encore été générée par les entrepreneurs dans leur quête constante d'innovation créatrice ne peut pas être transmise); et quatrièmement, à cause de l'effet de la coercition et de l'« observation » scientifique elle-même (qui crée de la distorsion, corrompt, entrave ou rend tout simplement impossible la création entrepreneuriale d'information), aussi bien l'idéal socialiste que l'idéal positiviste ou strictement utilitariste sont irréalisables du point de vue de la théorie économique autrichienne.  
  
          Ces mêmes arguments peuvent aussi être utilisés pour appuyer la croyance des Autrichiens selon laquelle il est théoriquement impossible de faire des prédictions spécifiques (i.e., qui réfèrent à des coordonnés de temps et d'espace spécifiques avec un contenu empirique quantitatif) en économie. Ce qui arrivera demain ne peut jamais être connu scientifiquement aujourd'hui, puisque cela dépend d'un savoir et d'une information qui n'ont pas encore été générés par les entrepreneurs et qui, donc, ne peuvent encore être transmis. Ainsi, seuls des « prédictions tendancielles » générales peuvent être faites par la science économique (ce qu'Hayek appelait pattern predictions). Celles-ci sont de nature essentiellement théorique et se limitent tout au plus à annoncer les désordres et effets de discoordination sociale produits par la coercition institutionnelle (le socialisme et l'interventionnisme) sur le marché.  
  
          On doit en plus se rappeler qu'en économie, les faits objectifs pouvant être directement observés dans le monde extérieur n'existent pas, puisque, selon la conception subjectiviste autrichienne, les « faits » de la recherche économique ne sont en fin de compte que des idées que d'autres personnes ont sur les buts qu'ils poursuivent et les actions qu'ils entreprennent. Ils ne peuvent jamais être observés directement, mais seulement interprétés dans une perspective historique. Il faut au préalable avoir une théorie si l'on veut pouvoir interpréter la situation sociale qui constitue l'histoire et, de plus, un jugement pré-scientifique sur la pertinence des choses (verstehen ou compréhension) est requis. Il ne s'agit pas là d'une attitude d'objectivité mais plutôt d'une perspective qui peut varier d'un historien à l'autre, et qui fait de cette discipline (l'histoire) un art véritable.  
  
          Enfin, les Autrichiens considèrent que les phénomènes empiriques varient constamment, de telle sorte qu'il n'existe aucun paramètre ou aucune constante dans les événements de nature sociale, tout est une « variable ». Cela rend l'atteinte des objectifs traditionnels de l'économétrie difficile, sinon impossible, tout comme les autres versions du programme méthodologique positiviste (du vérificationnisme le plus naïf jusqu'aux exercices de falsification popperienne). En contraste avec l'idéal positiviste des néoclassiques, les économistes autrichiens tentent de développer leur discipline avec les outils intellectuels que sont l'apriorisme et la déduction. En bref, leur but est de construire un arsenal logico-déductif(21) sur la base d'un savoir évident en soi (des axiomes tels que le concept subjectif de l'action humaine elle-même, avec ses éléments essentiels) qui découle par introspection de l'expérience personnelle du scientifique ou est vu comme évident parce que personne ne peut contester l'axiome sans se contredire lui-même(22) 
  
          Cet arsenal théorique est, selon les Autrichiens, indispensable à une interprétation adéquate de la masse apparemment incohérente de phénomènes historiques complexes qui constituent le monde social et à la construction d'une vision historique ou d'une vision d'un futur prévisible (ce qui constitue la mission typique de l'entrepreneur) avec un minimum de cohérence et de chances de succès. On peut ainsi comprendre pourquoi les Autrichiens accordent une grande importance à l'histoire comme discipline et pourquoi ils tentent de la différencier de la théorie économique, tout en indiquant comment on peut relier les deux disciplines de façon appropriée(23) 
  
          Hayek utilise le terme scientisme pour parler de l'application indue aux sciences sociales de la méthode appropriée pour les sciences de la nature. Dans le monde naturel, il existe des constantes et des relations fonctionnelles qui permettent l'application du langage mathématique et l'exécution d'expérimentations quantitatives en laboratoire. En économie toutefois, les relations fonctionnelles (et donc, les fonctions d'offre, de demande, de coût ou de quelque autre type) n'existent pas.  
  
          Rappelons que mathématiquement, selon la théorie des ensembles, une fonction n'est qu'une correspondance entre les éléments de deux ensembles dont l'un est l'ensemble initial et l'autre l'ensemble final. Si l'on tient compte de la capacité créatrice innée de l'être humain, qui est continuellement en train de générer et de découvrir de nouvelles informations dans chaque circonstance spécifique où il agit, en rapport avec les fins qu'il poursuit et les moyens de les atteindre qu'il considère à sa portée, il est évident qu'on ne retrouve aucun des trois critères nécessaires à l'existence d'une relation fonctionnelle: a) les éléments qui constituent l'ensemble initial ne sont ni donnés ni constants; b) les éléments qui constituent l'ensemble final ne sont ni donnés ni constants; et, ce qui constitue le point le plus important, c) les correspondances entre les éléments des deux groupes elles non plus ne sont pas données, mais varient plutôt continuellement par suite de l'action et de la capacité créatrice de l'être humain 
  
          Ainsi, selon les Autrichiens, l'utilisation de fonctions dans la science économique exige l'introduction d'une présupposition de constance qui élimine radicalement le protagoniste de tout le processus social: l'être humain doté d'une capacité entrepreneuriale créatrice innée. Le grand mérite des Autrichiens est d'avoir montré qu'il est tout à fait possible de créer tout un corpus de théorie économique logiquement(24), sans avoir à utiliser de fonctions ou à établir des postulats de constance qui sont contraires à la nature créatrice de l'être humain.  
  
  
(*) Cet article est une partie d'un texte plus long intitulé THE ONGOING METHODENSTREIT OF THE AUSTRIAN SCHOOL qui est disponible sur le Web à http://www.ucm.es/info/econap4/archivos/ongoing.htm. Il a été traduit par Martin Masse (sauf les notes qui suivent) et est reproduit avec l'aimable autorisation de l'auteur. 
1. Carl Menger, Grundsätze der Volkswithschaftslehre, ed. Wilhelm Braumüller, Vienna 1871. Translated by James Dingwall and Bert F. Hoselitz, with and « Introduction » by F.A. Hayek, Principles of Economics, New York University Press, New York and London 1981.  >>
2. Israel M. Kirzner, Competition and Entrepreneurship, Chicago University Press, Chicago 1973, p. 33.  >>
3. Israel M. Kirzner, The Meaning of Market Process: Essays in the Development of Modern Austrian Economics, Routledge, London 1991, pp. 201-208.  >>
4. Lionel Robbins, An Essay on the Nature and Significance of Economic Science, Macmillan, London 1932 and 1972.  >>
5. F.A. Hayek, The Counter-Revolution of Science: Studies in the Abuse of Reason, Free Press of Glencoe, Illinois 1952, p. 209.  >>
6. The Austrian subjectivist concept allows economics to be generalized into a science that deals with all human actions and has full objective validity, which is paradoxical only in appearance.  >>
7. Ludwig von Mises, Human Action: A Treatise on Economics, 4th revised edition, The Foundation for Economic Education, New York 1996, p. 92.  >>
8. Ludwig von Mises, Human Action, op. cit., pp. 809-811.  >>
9. Israel M. Kirzner, « A Tale of Two Worlds », Advances in Austrian Economics, Jay Press, Greenwich, Connecticut 1994, Vol. I, pp. 223-226.  >>
10. See Jesús Huerta de Soto, « The Economic Analysis of Socialism », Chap. 14 of New Perspectives on Austrian Economics, Gerrit Meijer (ed.), Routledge, London and New York 1995.  >>
11. Regarding the Austrian criticism of Grossman-Stiglitz's theory of information, see Esteban Thomsen, Prices and Knowledge: A Market Process Perspective, Routledge, London 1992; and also Israel M. Kirzner, « Entrepreneurial Discovery and the Competitive Market Process », The Journal of Economic Literature, March 1997, volume XXXV, no. 1, pp. 60-85.  >>
12. Rothbard and Kirzner have criticized the extreme subjectivist position held by some theorists who, like Lachmann and Shackle, believe that there is no coordinating tendency in the market. This error originates from ignorance of the coordinating force of all entrepreneurial human action. See Murray N. Rothbard, « The Present State of Austrian Economics », in Journal des Économistes et des Études Humaines, Vol. 6, No. 1, March 1995, especially pp. 56-59; and Israel M. Kirzner, "The Subjectivism of Austrian Economics", Chap. 1 of New Perspectives on Austrian Economics, op. cit., pp. 11-22.  >>
13. My Austrian School colleagues usually refer to the fact that entrepreneurial processes tend to lead the system towards equilibrium, although they acknowledge that this is never reached. I prefer to talk about a different model, which I have described as the « social big bang », that allows unlimited growth of knowledge and civilization in a way that is as adjusted and harmonious (i.e. coordinated) as is humanly possible in each historical situation. This is the case because the entrepreneurial process of social coordination never ceases or becomes exhausted. In other words, the entrepreneurial act consists basically of creating and transmitting new information that will inevitably modify the general perception of goals and means of all the actors involved in society. This in turn leads to the unlimited appearance of new disorders which imply new opportunities of entrepreneurial gain that tend to be discovered and coordinated by the entrepreneurs. This repeats itself successively, in a never-ending dynamic process that constantly makes civilization advance (model of the coordinated « social big bang »). See Jesús Huerta de Soto, Socialismo, cálculo económico y función empresarial, Unión Editorial, Madrid 1992, pp. 78-79.  >>
14. A.M. Endres even refers to the « Mengerian principle of non-maximization ». See his article « Menger, Wieser, Böhm-Bawerk and the Analysis of Economic Behaviour », History of Political Economy, Vol. 23, No. 2, Summer 1991, pp. 275-295, especially footnote 5 on p. 281.  >>
15. « Modern economics does not ask what 'iron' or 'bread' is worth, but what a definite piece of iron or bread is worth to an acting individual at a definite date and a definite place. It cannot help proceeding in the same way with regard to money. The equation of exchange is incompatible with the fundamental principles of economic thought. It is a relapse to the thinking of ages in which people failed to comprehend praxeological phenomena because they were committed to holistic notions. It is sterile, as were the speculations of earlier ages concerning the value of 'iron' and 'bread' in general ». Ludwig von Mises, Human Action, op. cit., p. 400.  >>
16. Mises calls equilibrium an « evenly rotating economy » and considers it an imaginary construction with a strictly instrumental value for improving the analytical comprehension of only two problems in our science: the emergence of entrepreneurial profits in a dynamic environment and the relationship that exists between the price of consumer goods and services and the price of the production factors necessary to produce them. In this specific aspect, I would go even further than Mises himself, as I believe that it is perfectly possible to explain the emergence of entrepreneurial profits and the trend toward fixing the prices of the production factors in accordance with the discounted value of their marginal productivity, without any reference to models of equilibrium (either general or partial), but merely to the dynamic process which tends towards what Mises calls a « final state of rest » (which is never reached). See Ludwig von Mises, Human Action, op. cit., p. 248.  >>
17. L. Walras, Correspondence of Léon Walras and Related Papers, W. Jaffé (ed.), North Holland, Amsterdam, Vol. II, 1965, p. 3.  >>
18. Hans Mayer, « The Cognitive Value of Functional Theories of Price: Critical and Positive Investigations concerning the Price Problem », Chap. XVI of Classics in Austrian Economics: A Sampling in the History of a Tradition, Israel M. Kirzner (ed.), William Pickering, London 1994, Vol. II, p. 92.  >>
19. Hans Mayer tells us that when « all wants differing in kind or quality are not reciprocally present to one another, then the postulate of the law of equal marginal utility becomes impossible in the real world of the psyche ». And he very descriptively adds, commenting on the theoretical absurdity of the forced synchronization of utility estimations, that « It is as if one were to express the experience of aesthetic value of hearing a melody – an experience determined by successive experiences of individual notes – in terms of the aesthetic value of the simultaneous harmonization of all notes of making up the melody ». Hans Mayer, « The Cognitive Value of Functional Theories of Price », op. cit., pp. 81 and 83. Very similar critical analyses may be made with regard to the indifference-preference curves and the income effect-substitution effect. See, in this respect, Pascal Salin, « The Myth of the Income Effect », The Review of Austrian Economics, Vol. IX, No. 1, 1996, pp. 95-106.  >>
20. Ludwig von Mises, Human Action, op. cit., pp. 102-104. And, likewise, Murray N. Rothbard, « Toward a Reconstruction of Utility and Welfare Economics », in Austrian Economics, Stephen Littlechild (ed.), Edward Elgar, Aldershot, England 1990, Vol. III, p. 228 onwards. On the use of mathematics in economics, see, in addition, our comments on pp. 24-25.  >>
21. Thus, an outstanding example is the demonstration of the Law of Diminishing Returns which Mises sets out in exclusively logical terms (point 2 of Chapter VII of Human Action). This logical demonstration is based on the fact that, in sensu contrario, if the mentioned law were not true in the world of human action, the production factor considered as fixed would have an unlimited production capacity and, therefore, would be a free good. Karl Menger, the son of the great Austrian economist, has tried, in our opinion fruitlessly, to refute Mises' theorem on the strictly praxeological nature of the Law of Diminishing Returns. See Carl Menger, « Remarks on the law of Diminishing Returns. A Study in Meta-Economics », Chapter 23 of Selected Papers in Logic and Foundations, Didactics, Economics, D. Reidel Publishing Co., Dordrecht, Holland, 1979, pp. 279-302.  >>
22. The former is the position upheld by Rothbard and the latter by Mises. See the summary of the Austrian methodological position by Hans-Hermann Hoppe in his Economic Essence and the Austrian Method, The Ludwig von Mises Institute, Auburn University, Auburn 1995, as well the most recent and clarifying article of Barry Smith « In Defense of Extreme (Fallibilistic) Apriorism », The Journal of Libertarian Studies, vol. 12, No 1, Spring 1996, pp. 179-192.  >>
23. A favourable and dispassionate explanation of the methodological paradigm of the Austrians may be found in Bruce Caldwell, Beyond Positivism: Economic Methodology in the Twentieth Century, Routledge, 2nd edition, London 1994, pp. 117-138. On the relationship between theory and history, the most important work is Ludwig von Mises, Theory and History, Yale University Press, Yale 1957, together with Hayek's classic work The Counter-Revolution of Science, Liberty Press, Indianapolis 1979.  >>
24. It would be preferable to say « praxeological ». According to Mises, logic may be distinguished from praxeology because the former is constant and atemporal and the latter includes time and creativity. Ludwig von Mises, Human Action, op. cit., pp. 99-100.  >>
 
  
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