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Montréal, 14 octobre 2000 / No 69 |
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par
Gilles Guénette
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Il n'en fallait pas plus pour qu'un ultimatum soit servi à tous
ces entrepreneurs sans scrupules qui polluent la tête de nos tout-petits:
s'il est élu président des États-Unis, Al Gore s'engage
à interdire le marketing de tout ce flot de films, de musique et
de jeux vidéo qui exploitent la violence ou la sexualité
auprès des jeunes. On peut comprendre que des parents soient sincèrement
inquiets devant ce phénomène et que les politiciens exploitent
cette inquétude, mais la censure est-elle vraiment la seule solution?
Le pouvoir de la retenue
Dans son livre The Lost City: The forgotten virtues of community in
America(1),
Alan Ehrenhalt se penche sur la détérioration du
Pour remédier à la situation, Ehrenhalt suggère un
retour vers ce qu'il appelle the limited life (la vie limitée).
Contrairement aux tenants du discours dominant qui veut que nous soyons
victimes de notre environnement et que la seule façon d'améliorer
notre sort c'est que les autorités en place nous imposent savoir-vivre
et lignes de conduite, l'auteur soutient qu'il revient à chacun
de nous de
Dans le milieu du cinéma, le Hays Code
était l'équivalent de cette limited life. Il s'agissait
d'un code de conduite élaboré pour l'industrie du film par
la Motion Picture Producers and Distributors of America et son porte-parole,
le Républicain Will Hays, au début des années 1930.
Jusque dans les années 1960, le cinéma américain a
été régi par ce Code qui interdisait, entre autre,
le blasphème, la nudité, les scènes où drogue,
sexe et/ou criminalité étaient présents, et encadrait
le recours
Comment traiter du viol sans le mentionner? Comment effleurer l'homosexualité sans la nommer? Comment parler d'un meurtre sans le montrer? Pour plusieurs, il s'agissait ni plus ni moins d'un outil de censure. Pour d'autres, le Hays Code n'était qu'une série de restrictions qu'il suffisait de contourner avec le plus de tact et de créativité possible. Cinéma
There was a film made in Germany – 1931 – called M, by Fritz Lang, which is about a child murderer. You can't picture a more horrible subject – Peter Lorre played the part. And, there is no violent scene in the picture. One of the most terrifying moments in the film is when Peter Lorre takes a little girl of about five behind a bush – he's been carrying a ball, bouncing a little ball, and he buys her a balloon. He takes her behind the bush and the camera holds on the bush. The ball rolls out. And stops. The camera pans up and you see the balloon flying up and it gets caught up in some electrical wires... holds for a moment... and then is released and continues. Now Fritz Lang said to me:Pour Bogdanovich, comme pour bien d'autres réalisateurs de l'époque, la force du cinéma résidait dans le fait que ses artisans ne pouvaient faire ce qu'ils voulaient. Qu'ils ne pouvaient qu'évoquer les pires horreurs, les plus torrides scènes d'adultère, pour laisser aux cinéphiles le soin de se les imaginer – chaque cinéphile ayant en tête des images bien plus terrifiantes (ou torrides) que tout ce que la Les interdits du Hays Code étaient en fait générateurs de contrastes et de nuances. Ils forçaient les réalisateurs à trouver d'autres façons de rendre ce qu'ils voulaient communiquer sans transgresser les règles établies. Ce qui donnait un cinéma souvent riche en allusions et en métaphores. Un cinéma qui s'imposait beaucoup plus par son intelligence et son imagination que par ses images dures ou choquantes. Dogme, ou voeu de chasteté Quarante ans après la mort du Hays Code, certains essaient de réintégrer la notion de
Né en 1956, le réalisateur est l'instigateur de Dogme95,
une série de règles élaborées afin d'encadrer
le travail de réalisation de ses signataires et ainsi contribuer
à la création d'un cinéma sans 1- Tourner les scènes sur place, sans changer les décors ou utiliser des parties de décors venues d'ailleurs;On le voit, à part la sixième règle qui rejoint un peu l'esprit du Hays Code, les interdits du Dogme95 se limitent presque exclusivement à l'aspect visuel de la production. Mais le but de l'exercice est sensiblement le même pour le réalisateur ou le scénariste: s'imposer des limites afin d'intervenir dans le processus de création et modifier l'apparence du produit final. Le réalisateur Thomas Vinterberg, a qui l'on doit entre autres le film Festen, avait ceci à dire sur le sujet: En attendant
Contrairement à une censure pure et dure, des initiatives comme
le code américain et le dogme danois ont l'avantage d'être
élaborées par la base et non imposées par le haut
(i.e. les gouvernements). Elles sont donc beaucoup plus faciles à
vendre à n'importe quel adepte de la libre expression. Et contrairement
à l'approche Au lieu de servir des ultimatums à l'industrie de l'entertainment toute entière et de tenter de changer les choses de l'extérieur, Gore et Lieberman gagneraient à utiliser leurs nombreux contacts dans le milieu hollywoodien et tenter d'influencer les bonnes personnes aux bons endroits pour tenter de changer les choses de l'intérieur. Ils pourraient aussi laisser le temps faire son travail...
Si les statistiques de fréquentation des salles de cinéma
nous indiquent quelque chose, c'est que le degré d'insatisfaction
du public est grandissant. Comment expliquer que les meilleures années
d'Hollywood aient été celles du cinéma limité?
En attendant, à tous ceux qui en ont assez de l'interminable crise
d'adolescence que traverse Hollywood – et du lot de films prévisibles
et faibles en contenu qu'elle provoque –, vous pouvez toujours vous rabattre
sur les vieux classiques. Rien de tel qu'un bon porto et un vieux noir
& blanc pour passer vos longues soirées d'automne...
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