Montréal, 11 novembre 2000  /  No 71
 
 
<< page précédente 
 
 
 
 
Brigitte Pellerin est apprentie-philosophe iconoclaste, diplômée en droit et en musique. Elle poursuit des études supérieures en science politique. 
 
BILLET
  
EMINEM ET LA LANGUE DE CHEZ NOUS
 
par Brigitte Pellerin
  
  
          Je dois vous faire un aveu: je suis allée voir, il y a deux semaines, le spectacle de Eminem. Quoi? Un show rap? 
 
          Eh oui, personne n'est parfait. Je ne connais pas ses chansons (j'ai l'habitude de patauger dans l'univers de l'ôôpéra, moi), mais je sais que le Slim Shady a le don de toujours se retrouver au centre d'une controverse quelconque, rapport aux paroles de ses chansons qui sont plutôt vulgaires merci.
 
Du Québec au Michigan 
  
          En plein milieu du show, je me suis mise à divaguer quelque peu sur les comparaisons amusantes entre Eminem et, disons, un roi du patois local comme Éric Lapointe ou encore chose, là, Kevin Parent. Divaguer, dis-je, puisque le Centre Molson baignait solide ce soir-là dans un océan de fumée subversive (Yes mama, j'étais un tantinet stone). 
 
          Une différence majeure cependant entre la vulgarité étrangère et locale: alors qu'on tente par tous les moyens d'empêcher Eminem de présenter ses spectacles, personne ne trouve rien à redire aux gueulages de Lapointe & Co. Vous ne trouvez pas ça bizarre, vous? 
 
          N'allez surtout pas imaginer que c'est différent au Québec que dans le Michigan d'Eminem. Pas du tout – c'est aussi plus pire icitte qu'ailleurs. Demandez à Guy Bertrand [est-ce que quelqu'un sait quand est-ce qu'il prend sa retraite, celui-là?] L'inévitable avocat a présenté un mémoire, lors des états généraux sur la situation du français – dont tout le monde se fout éperdument –, critiquant la généralisation du jargon (qu'il décrit comme une prononciation avachie rappelant le créole) qui, apparemment, condamne le français à la disparition. 
 
          [Pardon, permettez-moi d'ajouter un commentaire...] 

          J'en ai marre, mais marre, de leurs palabres. Vont-ils un jour finir par nous laisser vivre en paix, nom d'un petit bonhomme? La qualité du français n'est pas une affaire d'État, alors qu'on cesse de vouloir en faire une préoccupation nationale. Enfin, merde. 
 
Élucubrations larosiennes 
 
          Je ne sais pas si vous avez suivi les élucubrations de Gérald Larose dans les journaux. L'ancien président de la CSN en mène large, au cas où vous l'ignoriez. Et attention, l'homme a une mission: faire du Québec un pays « normal », c'est-à-dire un pays dans lequel il n'y aurait qu'une seule langue officielle, le français. 
 

  
     « Ça m'ennuie de jeter de l'eau sur le feu de joie du PQ, mais il me semble que le français n'a aucunement besoin d'eux pour attirer l'attention. Sortez un peu de chez vous, et vous verrez à quel point les gens s'intéressent à la langue française. » 
 
 
          Pour y arriver, M. Larose compte écouter les différents « intervenants » qui s'exprimeront durant les audiences, pour ensuite suggérer des « voies d'avenir », et enfin « proposer des règlements ». 

          Minute, est-ce que ça veut dire d'autres règlements, en plus de ceux qui existent déjà? Arrghh. 

          Vraisemblablement. C'est M. Larose lui-même qui le disait, dans La Presse du 2 novembre: « Lors des audiences, les Québécoises et les Québécois seront invités à sonder leur volonté collective de vivre en français sur le continent nord-américain. À réfléchir aussi sur les moyens qui s'imposent pour assurer la vitalité et le pouvoir d'attraction de la langue française. » 
 
          Il y a plusieurs trucs qui m'embêtent dans le paragraphe précédent. D'abord, d'où vient cette idée selon laquelle les Québécois auraient comme « volonté collective » de vivre en français? Personne ne m'a demandé mon avis, à moi. Évidemment, je vis en français. Mais je vis (et travaille) aussi en anglais. Et je ne m'en porte que mieux. 
 
          Ensuite, il y a cette histoire du « pouvoir d'attraction » de la langue française. Ça m'ennuie de jeter de l'eau sur le feu de joie du PQ, mais il me semble que le français n'a aucunement besoin d'eux pour attirer l'attention. Sortez un peu de chez vous, et vous verrez à quel point les gens s'intéressent à la langue française. 
 
Chic le français 
 
          J'étais à Calgary il y a quelques semaines. À l'épicerie, le bidule de paiement direct disait: BIENVENUE CHEZ SAFEWAY – Welcome to Safeway. Le français prenait plus d'espace que l'anglais! [Et vlan, dans les dents.] Un anglophone qui a de la culture, qu'il soit Canadien ou Américain, se fait un point d'honneur d'utiliser tout plein de mots et d'expressions en français dans ses conversations de tous les jours, en plus d'envoyer ses marmots en immersion française. Pourquoi? Parce que c'est très chic, ma chère. 
 
          Et ça n'a rien à voir avec Gérald Larose. 
 
          Tout ça pour dire: laissez-nous donc tranquilles avec vos états généraux et autres cirques linguistiques. Le français est à ce point charmant qu'il n'a pas besoin du PQ pour « survivre ». En fait, ce serait plutôt le contraire: la qualité de la langue, autant parlée qu'écrite, n'a jamais été si pauvre que depuis l'entrée en vigueur de la Loi 101. 
 
         Ce n'est pas un mystère. Les gens comme Kevin Parent ou Eminem sont populaires pour une raison bien simple: c'est tout ce que les enfants de la Loi 101 sont à même de comprendre. 
 
          Téléphone maison? 
 
 
Articles précédents de Brigitte Pellerin
 

 
<< retour au sommaire
 PRÉSENT NUMÉRO