Montréal, 25 novembre 2000  /  No 72
 
 
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Brigitte Pellerin est apprentie-philosophe iconoclaste, diplômée en droit et en musique. Elle poursuit des études supérieures en science politique. 
 
BILLET
  
BELLE DU JOUR
 
par Brigitte Pellerin
  
  
          On nous répète souvent qu'il faut souffrir pour être belle. Il y a des gens qui prennent ça plus au sérieux que d'autres. 
  
          Les journaux rapportaient, la semaine dernière, l'histoire abracadabrante d'une adolescente d'Angleterre qui est volontairement passée par toutes sortes de souffrances afin d'ajouter quelques centimètres à des jambes qu'elle considérait trop courtes. Vous avez vu cette histoire?
 
Le culte de la beauté 
  
          Emma Richards a 16 ans, les cheveux courts qui lui donnent un petit air tom-boy mignon comme tout. Emma, qui ne mesure « normalement » que 4 pieds 9 pouces, a un rêve qu'elle caresse depuis plusieurs années: devenir agent de bord – ce qu'on appelait, il n'y a pas si longtemps, hôtesse de l'air.  
  
          Seulement voilà, il y a un hic: pour devenir agent de bord en Angleterre, il faut mesurer au moins 5 pieds 3 pouces.  
  
          « Emma sait ce qu'elle veut dans la vie, raconte sa mère, et c'est pour cette raison qu'elle a subi cette opération. » L'opération en question, au coût de 26 300 $, visait à étirer (si, si) ses deux fémurs de six pouces. Pendant six longues heures, les chirurgiens se sont affairés à lui casser les os et à insérer six bidules en métal dans chaque jambe. On lui a ensuite retourné les bidules quatre fois par jour afin de séparer toujours plus les fragments d'os cassés. Et on espérait que de nouveaux os « pousseraient » pour boucher les trous.  
  
          (Je ne sais pas trop si vous comprenez la patente. Moi? Oh, je pense que je préfère m'en tenir à cette description sommaire – mon petit coeur devient plus sensible, en vieillissant.) 
  
          Après de multiples complications, Emma mesure aujourd'hui cinq pouces de plus qu'avant. Ce qui est toujours insuffisant pour devenir agent de bord.  
  
  
  
  
          Cette histoire me rappelle des souvenirs. Plus jeune, je rêvais d'être mannequin. Comme plusieurs petites filles, je me voyais me déhanchant sur les allées de Paris, Rome, Londres, Milan et New York, vêtue de machins bizarres qui donnent l'air aux femmes de sortir tout droit d'un film de Tarantino. Le jet-set, la vie de millionnaire, les voyages, les petits-déjeuners au lit dans les grands hôtels de la planète...  
  
          Seulement j'avais le même problème qu'Emma: je n'étais pas tout à fait assez grande pour être mannequin. Mes 5 pieds 6 pouces (et trois-quarts) ne font tout simplement pas le poids. J'ai bien essayé de me tirer sur la couette pour gagner un pouce ou deux; j'ai même enduré quelques coups de pieds bien placés, espérant que ça m'étirerait la colonne vertébrale. Rien n'y fit; je regarde toujours le monde de la même altitude.  
  
          Il a bien fallu que je change de rêve.  
  
N'importe quoi 
  
          Pourquoi diantre vous parler de tout ça? D'abord parce que cette histoire a fait couler beaucoup d'encre. Ensuite parce que comme vous, j'ai réagi avec effroi en lisant le compte-rendu de l'opération dans les journaux. « Wow, que je me suis dit, il y a des gens qui feraient vraiment n'importe quoi... »  
  
  
     « Comment concilier des instincts maternels avec des principes libertariens? Comment faire changer d'idée sa fille sans la barricader dans une prison dont elle finirait, de toutes manières, par sortir? » 
 
 
          Et certainement comme vous le faites, je me suis surprise à penser aux médecins et aux parents qui laissent les jeunes faire toutes les conneries qui leur passent par la tête (Heille, heureusement que mes parents-à-moi n'étaient pas aussi permissifs. Je ne serais probablement plus là pour en parler). Non mais tu parles d'une connerie, se faire étirer les jambes. Qui laisserait sa fille de 16 ans passer par toutes ces souffrances qui ne sont absolument pas nécessaires, médicalement parlant?  
  
          Hum?  
  
          Puis je me suis mise à réfléchir un peu plus (oui, ça m'arrive). Réfléchir, disais-je, à tous ces beaux principes libertariens dont je cause sans arrêt. Et à comment ces principes se traduisent dans la vie de tous les jours. Moi, par exemple, laisserais-je ma propre fille se faire opérer de la sorte? Mosus de bonne question.  
  
          Bien entendu que j'essaierais par tous les moyens de la faire changer d'idée. Libertarienne oui, mais pas complètement gaga. Enfin, pas encore. Mais si, après d'innombrables tentatives, ma fille était toujours aussi décidée à y passer?  
  
          Un beau dilemme, moi que je dis. Surtout quand on sait qu'un petit bout de femme, à cet âge-là et pour autant qu'elle ait un peu de caractère, ça ne se laisse pas mener par le bout du nez. Comment concilier des instincts maternels avec des principes libertariens? Comment la faire changer d'idée sans la barricader dans une prison dont elle finirait, de toutes manières, par sortir?  
  
          Je l'ignore. Aucune espèce d'idée. Ce que je sais par contre, c'est que les individus qui ont une tête forte finissent toujours par faire ce qu'eux, tous seuls comme des grands, ont décidé de faire. Et il ne se trouve jamais personne pour les en empêcher. Et je sais de quoi je parle hein; quand j'ai une idée dans la tête, je ne l'ai pas dans les pieds. Demandez à ma meuman si vous ne me croyez pas.  
  
  
  
  
          Je passe mon temps à vous radoter à quel point je suis maniaque de liberté, mais je réalise maintenant que je n'ai peut-être pas insisté suffisamment sur ce que je veux dire par là. 
  
          L'un des aspects de la liberté, c'est la faculté de choisir entre le bien et le mal. C'est également la responsabilité de vivre avec les conséquences de nos décisions. Chaque individu est la seule et unique personne à pouvoir faire ce choix. Certains ont moins de difficultés que d'autres à y arriver. Il y en a qui en arrachent, d'autres qui l'ont facile.  
  
          Choisir entre ce qui est bien et ce qui est mauvais. Plus facile à dire qu'à faire, n'est-il pas? J'ignore ce qu'il en est pour Emma. Ce que je sais, par contre, c'est que ce n'est pas moi qui ai la réponse.  
  
          C'est à elle seule de décider. Et je lui souhaite d'avoir bien choisi. 
 
 
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