Montréal, 6 janvier 2001  /  No 74
 
 
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Martin Masse est directeur du QL. La page du directeur.
 
ÉDITORIAL
  
CHARITÉ CAPITALISTE VS
CHARITÉ ÉTATISTE
 
par Martin Masse
  
  
          Les anglophones la décrivent comme « a season for giving », une saison propice pour faire des dons. La période des Fêtes qui vient de se terminer n'est en effet pas uniquement le temps de faire des cadeaux, mais aussi un bon moment pour contribuer à des oeuvres de charité. La Guignolée, les paniers de Noël et autres campagnes de dons sont à l'honneur, année après année, pour solliciter notre conscience morale. 
 
          Au risque de déplaire à ceux qui aiment bien nous caricaturer comme de méchants égoïstes qui se réjouissent de voir les pauvres crever de faim et qui encouragent le travail des enfants du Tiers-Monde dans les mines si cela peut nous rapporter quelques profits, précisons que les libertariens sont tout à fait en accord avec ce type de partage.  
  
          La charité privée fonctionne sur la base du volontariat. Chacun décide librement de donner le montant ou les denrées qu'il juge appropriés pour la cause – et uniquement pour celle-ci – qu'il valorise. Les oeuvres se font concurrence pour obtenir la faveur des donateurs, et ceux-ci ont le choix de donner à celles qu'ils jugent bien gérées et efficaces dans l'atteinte d'un but précis. Un don n'est par ailleurs jamais purement « gratuit » mais rejoint plutôt les intérêts personnels des donateurs. Ceux-ci ont, sur la base de principes éthiques ou de croyances religieuses, le sentiment de contribuer d'une autre façon au bien-être de la communauté, et en retire des gratifications psychologiques. En ce sens, le fonctionnement du « marché de la charité privée » n'est pas si différent de celui des autres types de marché dans une économie capitaliste. 
  
Bill Gates, l'homme le plus charitable du monde 
  
          D'ailleurs, ceux qui voient les oeuvres de charité comme des façons de contrecarrer les « excès du néolibéralisme », comme l'antithèse de la « loi de la jungle capitaliste », ont une perception tout à fait à l'envers de la réalité. D'abord, le capitalisme est le seul système qui permet de créer de la richesse, richesse qui se répand bien sûr inégalement mais qui rejoint tout de même tout le monde. Les « pauvres » d'aujourd'hui en Occident vivent en fait mieux que les classes moyennes d'il y a 150 ans, dans un confort qui n'a pas d'égal dans toute l'histoire humaine. Ce qui nous choque, ce n'est pas l'état absolu de dénuement dans lequel ils se trouvent autant que le contraste entre leur pauvreté relative et la richesse environnante.  
  
          Ensuite, la charité est indissociable de l'accumulation de richesse qui caractérise le système capitaliste. Dans un régime politique où les citoyens sont moins libres (communiste ou socialiste), les inégalités sont moins criantes, mais on crée moins de richesse. Bref, c'est la pauvreté, et pas la richesse, qui est plus également répandue. Au contraire, le capitalisme permet l'accumulation de fortunes privées, mais ces fortunes finissent toujours par bénéficier à tout le monde. Les riches ne cachent pas leur fortune sous leur matelas. Ils dépensent et investissent, ils créent des emplois; ils la donnent aussi.  
  
          Le quotidien montréalais The Gazette titrait le 24 décembre dernier en manchette: « Gates outspends U.S. helping poor ». Avec son épouse Melinda, l'homme le plus riche au monde a en effet distribué l'an dernier plus d'argent pour lutter contre les maladies au Tiers-Monde que son propre pays, soit 1,44 milliard $. La Fondation Bill & Melinda Gates est devenue l'institution philanthropique la plus importante de l'histoire, avec un fonds de 21,8 milliards $.  
  
  
     « La charité publique n'est qu'une vaste tromperie socialiste. Ceux qui y contribuent sont forcés de le faire. Et ceux qui s'en attribuent le mérite, nos gouvernants, ne sont en réalité que des bandits de grand chemin et des hypocrites. » 
 
 
          Bill Gates peut prétendre agir moralement à double titre, non seulement comme donateur mais aussi comme entrepreneur capitaliste. S'il est devenu milliardaire, c'est en effet parce qu'il a offert des produits et services parmi ceux qui sont les plus fortement en demande sur la planète et qui comblent donc les besoins les plus impérieux de millions d'individus. Bill Gates a accumulé ses milliards parce que des millions de gens valorisaient l'achat de ces produits et services plus que d'autres alternatives disponibles. Quoi qu'en disent les bureaucrates et les juges américains qui persécutent Microsoft sur la base de lois antitrust injustes et contre-productives, personne n'a été forcé d'acheter ses produits (voir ANTITRUST LAWS SHOULD BE ABOLISHED, le QL, no 56, ainsi que les articles sur le site www.concurrence.org). Évidemment, on ne peut pas s'attendre à ce que des hommes de l'État, habitués à imposer leurs décrets au nom de la « volonté générale », saisisse la différence entre un échange sur une base volontaire et une directive appuyée par la coercition.  
  
Charitable avec l'argent des autres 
  
          Ce qui est plus malheureux, c'est que M. Gates lui-même, malgré ses bonnes oeuvres, ne voit pas la différence. Les très riches reconnaissent rarement les bienfaits du système capitaliste qui leur a permis de se hisser là où ils sont. Le financier George Soros ou les vedettes gauchistes d'Hollywood en sont de bons exemples. Bill Gates considère lui aussi que la social-démocratie et la redistribution de la richesse à l'échelle planétaire sont de nobles buts. Selon lui, les nations riches devraient avoir honte de donner si peu, en particulier d'allouer si peu d'aide internationale à la santé. « Rich governments should be doing more », affirme-t-il. 
  
          Mais comment des entités politiques abstraites nommées « nations » pourraient-elles avoir honte parce que quelques bureaucrates et politiciens ont convenu qu'il n'était pas dans l'intérêt du gouvernement en place d'octroyer plus de fonds à l'aide internationale? En quoi le transfert forcé – jusqu'à nouvel ordre, nous n'avons pas le choix de payer taxes et impôts – de richesse appartenant aux contribuables d'un pays pour le bénéfice de citoyens d'autres pays constitue-t-il un acte moral, charitable?  
  
          Les ministères et organismes gouvernementaux qui aident les pauvres à l'étranger ne pratiquent pas la charité, ils volent leurs citoyens pour des fins de politiques intérieures ou internationales. De la même façon, lorsqu'ils aident les « pauvres » dans leurs propres pays, les gouvernements ne pratiquent pas la charité; ils achètent des votes avec l'argent d'une partie de la population et entretiennent une classe de parasites bureaucratiques qui administrent les programmes. Programmes dont l'efficacité n'a par ailleurs jamais été démontrée, au contraire. Les oeuvres comme Jeunesse au Soleil, la Maison du Père ou Moisson Montréal contribuent sans doute plus à la lutte contre la pauvreté réelle que tous les programmes bureaucratiques réunis (voir l'étude L'ÉTAT-PROVIDENCE ET LES PAUVRES).  
  
          Tout ce beau monde, politiciens et bureaucrates, fait grand état de la « solidarité » et de la « compassion » dont fait preuve le gouvernement – eux-mêmes, faut-il comprendre. Mais cette charité n'est que pure tromperie. Nos gouvernants n'ont aucun sacrifice personnel à faire pour distribuer ces dons, puisque cet argent ne leur appartient pas. Au contraire, ils tirent un profit personnel de ce système de charité publique, politiquement et financièrement. Qui plus est, cette charité publique immorale corrompt la véritable charité, celle des individus qui choisissent volontairement de faire un don.  
  
Corruption morale 
  
          On pourrait croire qu'une société comme le Québec, où les mots solidarité, équité et compassion sont sur toutes les bouches, une société qui « résiste au vent froid de droite qui souffle sur le reste du continent » comme se plaisent à nous répéter nos politiciens défenseurs du « modèle québécois », est un endroit où les individus font preuve d'une plus grande générosité qu'ailleurs. Comparés à ces Anglos matérialistes et individualistes du reste du continent, ne sommes-nous pas une grande famille généreuse et tricotée serrée? D'ailleurs, les Canadiens dans leur ensemble, citoyens d'un pays « kinder and gentler » que celui plus au sud, ne sont-ils pas plus charitables que leurs voisins américains? 
  
          Eh bien non. Comme des sondages et études le montrent année après année, les Canadiens sont moins généreux que les Américains, et les Québécois sont les moins généreux des Canadiens. Ils sont donc les Nord-Américains qui contribuent le moins aux oeuvres de charité. Une étude du Fraser Forum de décembre 2000 (Canadian & American Monetary Generosity) qui compare tous les États américains et provinces canadiennes en termes de générosité (nombre de donateurs et montants données) place les provinces au bas de la liste. C'est l'Alberta, paradis du conservatisme et de la fiscalité minimale au pays, qui fait meilleure figure. Le Québec est bon dernier.  
  
          Cette réalité n'est pas si surprenante et l'explication en est fort simple. Le contribuable québécois doit supporter l'État le plus lourd sur le continent et est forcé de contribuer au financement d'un tas de programmes sociaux pour les plus démunis, dont un Fonds spécial de lutte contre la pauvreté. Logiquement, il se dit qu'il fait déjà sa part. Pourquoi donner une seconde fois à des oeuvres privées, alors qu'on est déjà obligé de donner pour des programmes publics?  
  
          Les Québécois ne sont pas plus égoïstes que les autres Nord-Américains, ils agissent de façon rationnelle dans le contexte socialiste qui est le leur. Les Albertains aussi, eux qui sont les moins taxés au pays. Ils se sentent logiquement plus responsables et contribuent donc plus à des oeuvres privées.  
  
          Le résultat est cependant loin d'être le même sur le plan de la moralité. Les donateurs privés peuvent prétendre être véritablement généreux: c'est leur argent à eux qu'ils donnent, de façon libre et volontaire. Au contraire, la charité publique n'est qu'une vaste tromperie socialiste. Ceux qui y contribuent sont forcés de le faire. Et ceux qui s'en attribuent le mérite, nos gouvernants, ne sont en réalité que des bandits de grand chemin et des hypocrites.  
  
  
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Le Québec libre des nationalo-étatistes  
L'ÉTAT, NOTRE BERGER?
  
        « Après avoir pris ainsi tour à tour dans ses puissantes mains chaque individu, et l'avoir pétri à sa guise, le souverain étend ses bras sur la société tout entière; il en couvre la surface d'un réseau de petites règles compliquées, minutieuses et uniformes, à travers lesquelles les esprits les plus originaux et les âmes les plus vigoureuses ne sauraient faire jour pour dépasser la foule; il ne brise pas les volontés, mais il les amollit, les plie et les dirige; il force rarement d'agir, mais il s'oppose sans cesse à ce qu'on agisse; il ne détruit point, il empêche de naître; il ne tyrannise point, il gêne, il comprime, il énerve, il éteint, il hébète, et il réduit enfin chaque nation à n'être plus qu'un troupeau d'animaux timides et industrieux, dont le gouvernement est le berger. »    

Alexis de Tocqueville   
DE LA DÉMOCRATIE EN AMÉRIQUE (1840) 

 
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