Montréal, 3 février 2001  /  No 76
 
 
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Yvon Dionne est retraité. Économiste de formation, il a travaillé à la Banque du Canada puis pour le gouvernement du Québec. On peut lire ses textes sur sa page personnelle.
 
CE QUE J'EN PENSE
  
LA COMMISSION CLAIR: COMMENT LES BUREAUCRATES SE CRÉENT DU TRAVAIL
 
par Yvon Dionne
  
  
          La Commission d'étude sur les services de santé et les services sociaux (dite « Commission Clair ») a remis son rapport de 410 pages à la ministre, Pauline Marois, le 18 décembre 2000. Il a été rendu public le 17 janvier 2001. Suite à la démission de Lucien Bouchard, Mme Marois a bien sûr passé beaucoup de temps à réfléchir sur son avenir de sorte que, au moment d'écrire ces lignes, il n'y a toujours pas de réaction officielle du gouvernement. Le rapport de la commission semble d'ailleurs être déjà tabletté puisque de nouvelles compressions budgétaires ont été annoncées dans la santé et l'éducation. Or, le rapport Clair, même s'il promettait des économies à long terme, exigeait des mises de fonds substantielles à moyen terme.
 
          Ce n'est pas en nommant Michel Clair à la Santé, comme le veut une rumeur, que la contrainte budgétaire va être levée magiquement. C'est François Legault qui déclarait le 25 janvier que « les choix sont irréconciliables entre les baisses d'impôt, la santé et l'éducation »; lui bien sûr donne la priorité à l'éducation. 
  
Médecine soviétisée 
  
          La plupart des commentateurs ont louangé les recommandations de la commission, sauf celle de « l'assurance vieillesse » (qui n'est en fin de compte qu'une nouvelle taxe servant à constituer un fonds pour financer des dépenses déjà en partie assumées par le système public). La commission a redécouvert les vertus de la prévention, du médecin de famille et des cliniques privées – qu'elle propose toutefois d'étatiser dans leur fonctionnement en les soumettant aux directives de la régie régionale, pour ce qui est des cliniques de médecins, ou de l'hôpital dans le cas des cliniques de spécialistes! 
  
          Mais la commission est totalement passée à côté du problème de fond du système public. C'est ce que n'ont pas vu certains éditorialistes qui sont tombés en extase devant quelques arbres mais qui ont perdu de vue la forêt. C'est un régime où il y a une séparation presque totale entre les besoins, leur financement, et finalement les décisions prises pour satisfaire ces besoins selon les ressources disponibles. Ce système tant choyé, inspiré dit le rapport par des « valeurs fondamentales de solidarité, d'équité et de compassion », ne peut changer que suite à des études, des recommandations, des directives! Il ne peut s'adapter de lui-même. Des années s'écouleront et le gouvernement décidera de lancer une autre commission d'étude...  
  
          Dans un régime étatisé les problèmes de production sont toujours associés à un manque de planification. Donc pour préserver le régime (ses défenseurs ne sont pas nécessairement désintéressés...) les scribouillards qui vivent des taxes recommandent une meilleure et davantage de planification! Ce sont les planificateurs, dans cette médecine soviétisée, qui évaluent les besoins et décident comment les satisfaire (ou ne pas les satisfaire). 
  
  
     « De par sa nature même, la production étatisée ne réagit pas automatiquement à la demande. Tous les acteurs de la santé, les médecins, infirmières, etc., sont devenus des fonctionnaires et n'ont pour ainsi dire aucun pouvoir décisionnel. » 
 
  
          C'est ce qu'a fait la Commission Clair. Face à la montée incontrôlable des coûts qui prendront une part de plus en plus importante du budget du gouvernement, la commission admet enfin que les services devront être rationnés. Ils le sont d'ailleurs depuis longtemps malgré les fameux principes de la loi fédérale sur la santé. Et qui dit rationnement, dit « choix de société »... (i.e., des choix faits pour vous, mais non par vous).  
  
Captivité vs choix 
  
          La commission ne pouvait accepter d'offrir à la population le choix d'un régime privé (associé dans son esprit à un « régime à deux vitesses ») et sa 23e recommandation demande la formation d'un comité qui va décider de la couverture des soins, de l'adoption ou du rejet de nouvelles technologies médicales et des nouveaux médicaments; pour les services non couverts par le régime public parce que trop coûteux, vous devrez vous exiler aux États-Unis. « L'État a la responsabilité de mettre en place les mécanismes décisionnels permettant de faire de tels choix. » (p. 6). Ou encore: « Dans le domaine de la santé, les grands choix sont une responsabilité clairement politique. » (p. 135). La Commission Clair parle de l'État comme s'il s'agissait d'un être à part, ayant sa vie propre, une sorte de Big Brother veillant au bien de tous. 
  
          La commission a bien beau claironner que « l'argent doit suivre le client », à peu près rien n'est proposé pour qu'il en soit ainsi en pratique. En fait, le seul choix qu'aura le client, c'est celui de son médecin à qui il sera d'ailleurs lié dorénavant par un contrat pour une certaine période! Le régime public rend complexe ce qui en soi est très simple: la satisfaction du client. Dans un régime concurrentiel, de marché, si le client est insatisfait il achète un autre produit. Mais avec le « système » de « solidarité, équité et compassion » (les bonnes intentions justifient le larron) le client est captif.  
  
          Prenons l'exemple des soins dits de « première ligne »: pourquoi le régime public ne s'est-il pas adapté naturellement à ces besoins? Tout simplement parce que de par sa nature même, la production étatisée ne réagit pas automatiquement à la demande. Tous les acteurs de la santé, les médecins, infirmières, etc., sont devenus des fonctionnaires et n'ont pour ainsi dire aucun pouvoir décisionnel.  
  
          Pour que l'argent suive réellement le client, pour que l'offre de services s'ajuste à la demande et que l'on puisse enfin connaître et comparer les coûts, il faudrait instaurer une formule de facturation aux individus des services rendus (pour qu'ils en voient au moins le coût), qu'ils soient remboursés par une assurance publique (couverture de base) ou privée et que ces services soient produits par un établissement public ou privé (au choix du client). La Commission Clair parle de performance; un régime concurrentiel, qui permet de comparer et de choisir, est une condition sine qua non pour cette intention ne reste pas lettre morte. 
  
          Entre-temps, le ministère de la Santé va probablement créer un comité d'examen pour chacune des 36 recommandations et des 59 propositions de la Commission Clair! C'est de cette façon que les bureaucraties se créent du travail. Quand on nous parle de « valeurs de compassion », on peut penser à ces mots de Pascal Bruckner dans L'Euphorie perpétuelle (Éditions Grasset, 2000): « Méfions-nous des charognards du malheur ». 
 
 
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