Montréal, 3 février 2001  /  No 76
 
 
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Martin Masse est directeur du QL. La page du directeur.
 
ÉDITORIAL
  
ÉCONOMIE SOCIALE OU
GASPILLAGE SOCIALISTE?
 
par Martin Masse
  
  
          La ministre au grand coeur Louise Harel et ses compères Diane Lemieux et André Boisclair annonçaient il y a quelques jours à Montréal l'octroi de nouveaux fonds publics au secteur dit de l'« économie sociale », ainsi qu'une entente régionale qui permettra d'« assurer une utilisation plus efficace des services et mesures actuellement disponibles dans les ministères concernés. »
 
          On se souviendra que l'économie sociale est entrée en grande pompe dans le jargon bureaucratique et politique lors du fameux Sommet sur l'économie et l'emploi de 1996, la grand-messe corporatiste organisée par le nouveau premier ministre d'alors (Lucien Bouchard, pour ceux qui l'auraient déjà oublié) pour trouver des « consensus » sur les façons dont l'État pourrait intervenir pour relancer l'économie québécoise. Le gouvernement avait trouvé une bonne façon de se faire des alliés chez les groupes communautaires en accordant beaucoup d'attention à Nancy Neantam, infatigable propagandiste de ce nouveau type de développement économique. Enfin... nouveau n'est peut-être pas le mot le plus approprié.  
  
          Le communiqué de presse du ministère des Affaires municipales et de la Métropole identifie l'économie sociale comme « les activités et les organismes issus de l'entrepreneuriat collectif sur la base des principes suivants: services aux membres ou à la collectivité, autonomie de gestion, processus de décision démocratique, primauté des personnes et du travail sur le capital, participation, prise en charge et responsabilité. Les entreprises de l'économie sociale produisent des biens et des services socialement utiles. Elles sont viables financièrement et procurent des emplois durables. Leurs sources de financement sont diversifiées et elles génèrent des revenus autonomes. » 
  
          Si l'on se fie à cette définition, il ne semble pas y avoir grand-chose qui différencie une entreprise privée ordinaire régie par les lois habituelles du marché dans une économie capitaliste d'une entreprise du secteur de l'économie sociale. Il est vrai que le concept d'« entrepreneuriat collectif » est plutôt bizarre, mais bon, venant d'apparatchiks socialistes qui placent les qualificatifs « collectif » et « social » après n'importe quel mot, il n'y a pas de quoi s'étonner.  
  
          Les entreprises d'économie sociale sont concentrés dans des secteurs de services comme l'aide aux personnes âgées à domicile, l'alimentation, etc., ce qui permet aussi de les qualifier de « socialement utiles ». Mais si les entreprises privées produisaient des choses « socialement inutiles », comment donc réussiraient-elles à les vendre, à faire des profits et à survivre? La distinction n'a aucun fondement ni pertinence.  
  
          Non, ce qui détonne surtout dans cette définition, c'est la « primauté des personnes et du travail sur le capital ». N'est-ce pas là un noble idéal? Au lieu d'avoir des préoccupations bassement monétaires, les entreprises d'économie sociale, nous dit-on, se préoccupent des besoins du vrai monde, en particulier de leur trouver du travail. La réinsertion au marché du travail de personnes sans emploi est en effet l'un des buts premiers de ces entreprises. Pour un défenseur du capitalisme comme votre serviteur, il est évident qu'il y a un problème là-dedans...  
  
Démoniaque Capital 
  
          La connotation démoniaque que la gauche a affublé au concept de capital (le Capital avec un C majuscule pour les marxistes) est certainement l'une des attitudes intellectuelles les plus profondément imbéciles de cette mouvance idéologique. Elle est la preuve, s'il en fallait une, que les gauchistes ne comprennent strictement rien au processus de développement économique sur lequel ils palabrent avec tant de ferveur.  
  
          Qu'est-ce donc que le capital? Le terme a plusieurs acceptions spécifiques, mais du point de vue de l'acteur économique, ce sont des ressources qui ne servent pas à la consommation immédiate mais plutôt à accroître la capacité productive à plus long terme. Le capital provient nécessairement de revenu qu'on a épargné. Si tout le monde dans une économie donnée consomme immédiatement tout ce qui est produit et ne met aucun surplus de côté, il ne peut y avoir d'accumulation de capital. Conséquemment, aucune ressource ne peut être investie dans de nouveaux outils, de nouvelles machines, de nouvelles technologies, de nouveaux produits, de nouvelles usines, etc. Les processus économiques ne peuvent se renouveler, on produit toujours la même chose, comme des chasseurs-cueilleurs préhistoriques ou des paysans qui vivent constamment au bord de la famine et ne changent rien à leurs façon de faire de génération en génération.  
  
          Dès qu'on vit au-dessus de ce niveau minimal de subsistance, on peut toutefois commencer à accumuler du capital et à l'investir dans des méthodes plus productives. Ainsi, le paysan qui récolte plus de nourriture qu'il n'en a besoin pour nourrir sa famille (ou qui se prive de consommer d'une façon ou d'une autre pour accumuler un peu d'épargne) peut se permettre de s'acheter une bête ou des outil de labour, ce qui le rendra plus productif et augmentera sa récolte l'année suivante. Quel que soit le stade de développement, c'est en se privant de consommation à court terme et en investissant une partie de son revenu dans une production plus grande qu'on peut s'enrichir et donc se permettre de consommer davantage plus tard. Sans capital, il ne peut y avoir de développement économique.  
  
  
     « On nous dit que "les entreprises de l'économie sociale produisent des biens et des services socialement utiles". Si ces biens et services sont tellement utiles, tellement en demande, il devrait être relativement aisé de trouver du financement pour ces entreprises. » 
 
 
          Dans une société riche comme la nôtre, des tas de gens ont des épargnes et les ressources qui peuvent être investies sont énormes si on les comparent à celles d'une économie agraire primitive. Mais comme elles sont également en forte demande, elles restent rares, comme toute ressource qui n'est pas infinie. Des millions d'entreprises existantes et potentielles voudraient bien pouvoir emprunter sans limite à des taux d'intérêt de 0,1%. La rareté relative du capital fait pourtant en sorte que les taux d'intérêt sont beaucoup plus élevés et que ce sont les projets qui ont le potentiel de rapporter le plus qui ont le plus de chance de se voir confier ces fonds.  
  
          Parce que le capital est rare, il serait en effet absurde de le consacrer à des projets qui ne produiront qu'une augmentation de richesse marginale, alors que d'autres projets potentiellement plus profitables devront s'en passer. Les investissements qui auront pour effet d'augmenter la production des biens et services les plus en demande – ce dont on aura la preuve lorsqu'ils généreront des profits élevés – sont ceux qui doivent avoir la priorité. Évidemment, l'avenir est incertain, tout projet est de par sa nature risqué, mais les investisseurs qui risquent leur propre capital ou qui jouent leur propre salaire et leur emploi en le faisant pour d'autres ont intérêt à porter les jugements les plus judicieux possibles. Ce qui n'est bien sûr pas le cas des politiciens et des bureaucrates. 
  
Demi-vérités et propagande 
  
          Revenons donc à nos moutons sociaux. On nous dit que « les entreprises de l'économie sociale produisent des biens et des services socialement utiles ». Si ces biens et services sont tellement utiles, tellement en demande, il devrait être relativement aisé de trouver du financement pour ces entreprises. Les investisseurs ne sont pas des imbéciles, s'ils voient un rendement alléchant quelque part, ils y mettent leur capital, que ça s'appelle économie sociale ou économie capitaliste. Or, comme l'explique l'article de La Presse qui rapporte la nouvelle mentionnée plus haut, « leur constant défi est de trouver du financement et gérer leurs fonds, difficulté qui pourrait être aplanie avec une nouvelle entente de régionalisation signée hier. »  
  
          Voilà bien le coeur du problème. Les entreprises d'économie sociale ne produisent en fait rien qui soit très en demande, en tout cas pas suffisamment pour que les consommateurs soient prêts à en payer le coût véritable sur le marché, ce qui nécessite qu'on les subventionne pour qu'elles survivent. Si elles peuvent accorder la « primauté des personnes et du travail sur le capital », c'est donc pour une raison bien simple: elles n'ont pas à prouver quoi que ce soit sur le marché financier pour obtenir du capital, c'est le gouvernement qui le siphonne de l'économie privée pour leur remettre sans aucune préoccupation de rendement.  
  
          Voici le bilan des annonces des gentils ministres, tel que décrit dans le communiqué de presse:  
          (...) le ministère des Affaires municipales et de la Métropole injecte 750 000 $ sur une base annuelle, somme qui s'ajoute aux 2,5 M$ déjà versés. Pour sa part, Emploi-Québec assurera un soutien financier pouvant atteindre 2 M$ par le biais de la mesure Subvention salariale. Dans le cadre de l'entente spécifique, Emploi-Québec assouplira les modalités d'application de la mesure Subvention salariale permettant le financement de postes pour une troisième année, assurant ainsi la sauvegarde des emplois en vue d'une consolidation des entreprises d'économie sociale. Le Fonds de lutte contre la pauvreté par la réinsertion au travail réservera 1 M$ à l'économie sociale par l'entremise du budget alloué à la région de Montréal. Enfin, le CRDIM accorde 300 000 $ à l'entente afin d'assurer le développement et la promotion de l'économie sociale.
          Parmi le ramassis de demi-vérités et de propagande mensongère que comprend ce communiqué, on dit pourtant ailleurs que les entreprises de l'économie sociale sont « viables financièrement et procurent des emplois durables »; pourquoi alors leur donner tant d'argent et étirer la durée des subventions salariales? On dit également que « leurs sources de financement sont diversifiées »; elles sont tellement diversifiées en effet que, selon Le Devoir, l'entente annoncée prévoit que ce sont les Centre locaux de développement qui serviront désormais de porte d'entrée pour les demandes, de telle sorte que « les entrepreneurs sociaux n'auront plus à courir d'un organisme à l'autre pour adhérer à un programme gouvernemental ou pour réclamer une subvention » 
  
          La conclusion est facile à tirer. Les soi-disant entreprises de l'économie sociale ne sont en fait que des organismes communautaires patentés qui visent à offrir des emplois subventionnés, artificiels et temporaires à quelques décrocheurs et chômeurs, et à entretenir des parasites professionnels comme Nancy Neantam et les faux gestionnaires qui administrent ces fausses entreprises. Ces machins n'ont aucune véritable utilité économique ni sociale, et en gaspillant des fonds publics qui auraient été mieux investis ailleurs, détruisent du capital nécessaire à notre développement économique. L'économie sociale, comme toutes les autres pratiques interventionnistes de ce gouvernement, ce n'est en bout de ligne que du gaspillage socialiste. 
  
  
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Le Québec libre des nationalo-étatistes  
L'ÉTAT, NOTRE BERGER?
  
        « Après avoir pris ainsi tour à tour dans ses puissantes mains chaque individu, et l'avoir pétri à sa guise, le souverain étend ses bras sur la société tout entière; il en couvre la surface d'un réseau de petites règles compliquées, minutieuses et uniformes, à travers lesquelles les esprits les plus originaux et les âmes les plus vigoureuses ne sauraient faire jour pour dépasser la foule; il ne brise pas les volontés, mais il les amollit, les plie et les dirige; il force rarement d'agir, mais il s'oppose sans cesse à ce qu'on agisse; il ne détruit point, il empêche de naître; il ne tyrannise point, il gêne, il comprime, il énerve, il éteint, il hébète, et il réduit enfin chaque nation à n'être plus qu'un troupeau d'animaux timides et industrieux, dont le gouvernement est le berger. »    

Alexis de Tocqueville   
DE LA DÉMOCRATIE EN AMÉRIQUE (1840) 

 
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