Cris
et hurlements
Au lendemain de la diffusion de Christiane Charette en direct, le
28 février dernier, le président du Mouvement souverainiste
du Québec réclamait non seulement une intervention du Conseil
de la radiodiffusion et des télécommunications canadiennes
dans l'affaire Charette/Landry, mais il exigeait « une
enquête indépendante pour que toute la lumière soit
faite sur l'attitude de Radio-Canada dans sa mission d'informer et de divertir.
»(1)
Pour Gilles Rhéaume, ardent défenseur du « Pays
Québec », celui-là même qui l'automne
dernier se rendait à Genève afin d'exposer aux bureaucrates
de l'ONU – et au monde entier – « les violations des
droits politiques des Québécois pratiquées par le
Canada », « le mauvais goût
n'a pas sa place sur les ondes publiques ».
« Rarement, déclare-t-il, a-t-on vu à
la télé une telle hargne, une attitude aussi négative,
un amateurisme aussi patent. » Mme Charette a le droit
d'aimer qui elle veut, mais pas d'« utiliser sa fonction
pour s'engager dans une vendetta qui déshonore, par son parti pris
et sa mauvaise foi, l'activité télévisuelle canadienne.
»
Pierre Bourgault, autre grand défenseur du « pays
en devenir », a aussi vivement dénoncé
Christiane Charette. Elle n'a pas commis une erreur, elle a commis une
faute grave. « Une faute professionnelle grave. Une
faute qui doit être sanctionnée. Je pense que Radio-Canada
doit blâmer sévèrement Mme Charette. Je pense même
que le Conseil de presse devrait être saisi de l'affaire. »(2)
Bourgault qualifie l'interview de « massacre à
la scie », de « charge furieuse et
sans précédent contre un homme sans doute médusé
», d'attaque « ad hominem
aussi imprévue que déplacée qui visait essentiellement
à humilier et écraser le futur Premier ministre [sa majuscule].
» Ce genre de comportement ne doit pas être toléré,
il risque « de compromettre à jamais le dialogue
que doivent entretenir les citoyens avec leurs élus. »
Hein, quel dialogue?!
« Si j'avais été à la place de
Bernard Landry, poursuit le chroniqueur, je l'aurais frappée.
» Bourgault continue comme ça en s'interrogeant sur
les motifs de la journaliste et en encensant le calme et le sens de la
répartie du futur/nouveau premier ministre. « Tous
ceux qui ont vu le "show" de Charette avouaient, le lendemain, qu'ils
avaient ressenti un malaise. Moi aussi. Mais je suis vite passé
du malaise à l'indignation. »
Indignation? Malaise? Mais qu'est-ce qu'ils ont tous? Ça fait des
années que Christiane Charette dit tout haut ce qu'elle pense. Avec
Bernard Landry – qui semblait sur la défensive dès le début
de l'émission –, elle a simplement tenté de comprendre pourquoi
on le percevait comme quelqu'un de paternaliste, d'arrogant ou de froid.
Elle a fait ce que des tas de journalistes et de pundits font à
tous les jours entre eux, sauf qu'elle l'a fait avec le principal
intéressé.
« On veut que les journalistes soient libres de dire ce qu'ils veulent,
à condition qu'ils disent comme nous. On veut qu'ils puissent s'exprimer
librement, mais aussitôt que l'un d'eux dit quelque chose qui détonne
du discours officiel, on lui saute dessus. Dix contre un. »
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Pour le reste, même si elle avoue elle-même avoir des réserves
quant à la qualité de son entrevue (« C'est
une entrevue qui m'a prise intensément. J'étais prise dans
une relation antagonisante. Je n'ai aucune idée de la qualité
de mon entrevue. »(3)),
on peut dire qu'elle l'a menée de la même façon qu'elle
mène toutes ses entrevues: des questions directes sur des préoccupations
bien à elle.
Ceci dit, que plusieurs téléspectateurs aient éprouvé
un malaise devant l'entrevue de Christiane Charette, et que quelques gros
canons du mouvement séparatiste aient réagi avec autant de
virulence, n'en dit-il pas long sur nous et notre télévision?
Don't
make waves
Les Québécois, comme n'importe qui d'autre, entretiennent
une relation amour/haine avec leurs élus. Ils aiment bien, à
l'occasion, en voir un se faire brasser par un journaliste, à condition
qu'il ne soit pas de leur bord.
Tous ceux qui se sont dits indignés ou mal à l'aise auraient
sans doute eu une tout autre réaction si par exemple le ministre
fédéral des Affaires intergouvernementales, Stéphane
Dion, avait été assis à la place de M. Landry. Bourgault
et Rhéaume n'auraient certainement pas monté sur leurs grands
chevaux pour réclamer la tête du messager et/ou l'intervention
de tout un chacun. Ils auraient joui bien tranquillement dans leur coin.
Mme Charette aurait traîné un Jean Chrétien ou une
Sheila Copps dans la boue et tous ces articulés offensés
auraient salué son audace, son sens critique, son indépendance
d'esprit. Mais parce qu'il s'agit d'une « attaque »
contre « l'un des nôtres »
par « l'une des nôtres », tout
ce beau monde monte aux barricades.
Comment se fait-il que personne ne crie lorsque nos humoristes se paient
ouvertement – et pas très subtilement – la tête des politiciens
non nationalo-gauchistes? Comment se fait-il que personne ne s'offusque
devant le flot constant de petits commentaires désobligeants de
la part de journalistes et de commentateurs francophones sur tout ce qui
n'est pas péquiste et/ou séparatiste?
Il y a à peine quelques semaines, à la demande des journalistes,
une commission gouvernementale avait lieu afin qu'on se penche «
collectivement » sur les effets de la concentration de la
presse. Tout se qui grouille de syndicats et d'associations professionnelles
s'y est rendu pour réclamer de l'État qu'il intervienne davantage.
Intéressant de voir comment la liberté de presse est la première
à prendre le bord lorsque ça fait plus notre affaire.
On veut que les journalistes soient libres de dire ce qu'ils veulent, à
condition qu'ils disent comme nous. On veut qu'ils puissent s'exprimer
librement, mais aussitôt que l'un d'eux dit quelque chose qui détonne
du discours officiel, on lui saute dessus. Dix contre un. Vous avez le
droit de dire ce que vous voulez, mais sortez des chantiers balisés
et on réclamera l'intervention du Conseil de presse, du CRTC, on
exigera des sanctions de l'employeur, des enquêtes indépendantes...
On peut reprocher bien des choses à Mme Charette sauf un manque
de professionnalisme. Notre télé doit être drôlement
pépère pour qu'une telle entrevue secoue de leur torpeur
tous ces téléspectateurs. Pour une fois que quelqu'un nous
offre de la télé qui bouscule un peu, de grâce, ne
lui tapez pas dessus.
1.
Louise Cousineau, « Rhéaume réclame une
enquête, Charette admet un certain excès »,
La Presse, 6 mars 2001. >> |
2.
Pierre Bourgault, « Une faute grave »,
Journal de Montréal, 3 mars 2001, p. 6. >> |
3.
Louise Cousineau, « Christiane Charette: des réactions
surtout négatives », La Presse, 3 mars
2001. >> |
Bernard Landry, pour continuer avec lui, a présenté son
cabinet ce mois-ci. Sans rentrer dans le détail des résultats
du jeu de chaise musicale, soulignons qu'il a remplacé la ministre
de la Culture et des Communications, Agnès Maltais, par sa collègue
Diane Lemieux, ministre de l'Emploi sous Lucien Bouchard et présidente
du Conseil du statut de la femme dans une autre vie. Le moins qu'on puisse
dire, c'est qu'elle a fait une arrivée remarquée!
« Je crois qu'il n'y a pas vraiment de culture ontarienne
» a-t-elle déclaré lors de son premier point
de presse – point de presse qu'elle a ensuite consacré à
se justifier. « On est moins capable de la nommer [la
culture ontarienne] que la culture québécoise. [...] La culture
québécoise a un sens en soi [alors que la culture ontarienne]
se situe dans un univers nord-américain. » Et
cetera, et cetera. Des clichés tous plus gros les uns
que les autres.
Le lendemain, on s'en doute, les quotidiens anglophones soulignaient la
gaffe. Une petite mention dans l'article de The Gazette fait sourire:
« Lemieux said yesterday that "she gets by"
in English. "It depends on the context." »
Si la ministre ne peut que se débrouiller en anglais, d'où
sort-elle cette idée qu'il n'y a pas de culture ontarienne? De toute
évidence, elle ne sait pas de quoi elle parle. Peut-être qu'un
petit séjour d'immersion s'impose... Pourquoi ne pas opter pour
l'Ontario! La ministre pourrait 1) apprendre une langue seconde et 2) vérifier
sur le terrain s'il est vrai que nos voisins n'ont pas de littérature,
pas de théâtre, pas de vins, pas de musique...
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