Montréal, 17 mars 2001  /  No 79
 
 
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Gilles Guénette est diplômé en communications et éditeur du QL.
 
LIBRE EXPRESSION
 
CHRISTIANE CHARETTE VS BERNARD LANDRY: PAS DE QUOI FOUETTER UN CHAT!
 
par Gilles Guénette
  
  
          Le mois dernier, Christiane Charette recevait le « presque » premier ministre Bernard Landry – il a été couronné quelques jours plus tard – à son émission de télé hebdomadaire. Le lendemain, tout le milieu médiatique montréalais s'agitait. La raison? L'animatrice avait été « méchante » avec l'un des nôtres. Elle avait « attaqué » en public l'un de nos plus influents politiciens. Pourtant, à regarder l'émission, jamais on aurait cru qu'une tempête poignait à l'horizon...
 
Cris et hurlements 
  
          Au lendemain de la diffusion de Christiane Charette en direct, le 28 février dernier, le président du Mouvement souverainiste du Québec réclamait non seulement une intervention du Conseil de la radiodiffusion et des télécommunications canadiennes dans l'affaire Charette/Landry, mais il exigeait « une enquête indépendante pour que toute la lumière soit faite sur l'attitude de Radio-Canada dans sa mission d'informer et de divertir. »(1) 
  
          Pour Gilles Rhéaume, ardent défenseur du « Pays Québec », celui-là même qui l'automne dernier se rendait à Genève afin d'exposer aux bureaucrates de l'ONU – et au monde entier – « les violations des droits politiques des Québécois pratiquées par le Canada », « le mauvais goût n'a pas sa place sur les ondes publiques ». 
  
          « Rarement, déclare-t-il, a-t-on vu à la télé une telle hargne, une attitude aussi négative, un amateurisme aussi patent. » Mme Charette a le droit d'aimer qui elle veut, mais pas d'« utiliser sa fonction pour s'engager dans une vendetta qui déshonore, par son parti pris et sa mauvaise foi, l'activité télévisuelle canadienne. » 
  
          Pierre Bourgault, autre grand défenseur du « pays en devenir », a aussi vivement dénoncé Christiane Charette. Elle n'a pas commis une erreur, elle a commis une faute grave. « Une faute professionnelle grave. Une faute qui doit être sanctionnée. Je pense que Radio-Canada doit blâmer sévèrement Mme Charette. Je pense même que le Conseil de presse devrait être saisi de l'affaire. »(2) 
  
          Bourgault qualifie l'interview de « massacre à la scie », de « charge furieuse et sans précédent contre un homme sans doute médusé », d'attaque « ad hominem aussi imprévue que déplacée qui visait essentiellement à humilier et écraser le futur Premier ministre [sa majuscule]. » Ce genre de comportement ne doit pas être toléré, il risque « de compromettre à jamais le dialogue que doivent entretenir les citoyens avec leurs élus. » Hein, quel dialogue?! 
  
          « Si j'avais été à la place de Bernard Landry, poursuit le chroniqueur, je l'aurais frappée. » Bourgault continue comme ça en s'interrogeant sur les motifs de la journaliste et en encensant le calme et le sens de la répartie du futur/nouveau premier ministre. « Tous ceux qui ont vu le "show" de Charette avouaient, le lendemain, qu'ils avaient ressenti un malaise. Moi aussi. Mais je suis vite passé du malaise à l'indignation. » 
  
          Indignation? Malaise? Mais qu'est-ce qu'ils ont tous? Ça fait des années que Christiane Charette dit tout haut ce qu'elle pense. Avec Bernard Landry – qui semblait sur la défensive dès le début de l'émission –, elle a simplement tenté de comprendre pourquoi on le percevait comme quelqu'un de paternaliste, d'arrogant ou de froid. Elle a fait ce que des tas de journalistes et de pundits font à tous les jours entre eux, sauf qu'elle l'a fait avec le principal intéressé. 
  
 
     « On veut que les journalistes soient libres de dire ce qu'ils veulent, à condition qu'ils disent comme nous. On veut qu'ils puissent s'exprimer librement, mais aussitôt que l'un d'eux dit quelque chose qui détonne du discours officiel, on lui saute dessus. Dix contre un. » 
 
 
          Pour le reste, même si elle avoue elle-même avoir des réserves quant à la qualité de son entrevue (« C'est une entrevue qui m'a prise intensément. J'étais prise dans une relation antagonisante. Je n'ai aucune idée de la qualité de mon entrevue. »(3)), on peut dire qu'elle l'a menée de la même façon qu'elle mène toutes ses entrevues: des questions directes sur des préoccupations bien à elle. 
  
          Ceci dit, que plusieurs téléspectateurs aient éprouvé un malaise devant l'entrevue de Christiane Charette, et que quelques gros canons du mouvement séparatiste aient réagi avec autant de virulence, n'en dit-il pas long sur nous et notre télévision? 
  
Don't make waves 
  
          Les Québécois, comme n'importe qui d'autre, entretiennent une relation amour/haine avec leurs élus. Ils aiment bien, à l'occasion, en voir un se faire brasser par un journaliste, à condition qu'il ne soit pas de leur bord. 
  
          Tous ceux qui se sont dits indignés ou mal à l'aise auraient sans doute eu une tout autre réaction si par exemple le ministre fédéral des Affaires intergouvernementales, Stéphane Dion, avait été assis à la place de M. Landry. Bourgault et Rhéaume n'auraient certainement pas monté sur leurs grands chevaux pour réclamer la tête du messager et/ou l'intervention de tout un chacun. Ils auraient joui bien tranquillement dans leur coin. 
  
          Mme Charette aurait traîné un Jean Chrétien ou une Sheila Copps dans la boue et tous ces articulés offensés auraient salué son audace, son sens critique, son indépendance d'esprit. Mais parce qu'il s'agit d'une « attaque » contre « l'un des nôtres » par « l'une des nôtres », tout ce beau monde monte aux barricades. 

          Comment se fait-il que personne ne crie lorsque nos humoristes se paient ouvertement – et pas très subtilement – la tête des politiciens non nationalo-gauchistes? Comment se fait-il que personne ne s'offusque devant le flot constant de petits commentaires désobligeants de la part de journalistes et de commentateurs francophones sur tout ce qui n'est pas péquiste et/ou séparatiste? 
  
          Il y a à peine quelques semaines, à la demande des journalistes, une commission gouvernementale avait lieu afin qu'on se penche « collectivement » sur les effets de la concentration de la presse. Tout se qui grouille de syndicats et d'associations professionnelles s'y est rendu pour réclamer de l'État qu'il intervienne davantage. Intéressant de voir comment la liberté de presse est la première à prendre le bord lorsque ça fait plus notre affaire. 
  
         On veut que les journalistes soient libres de dire ce qu'ils veulent, à condition qu'ils disent comme nous. On veut qu'ils puissent s'exprimer librement, mais aussitôt que l'un d'eux dit quelque chose qui détonne du discours officiel, on lui saute dessus. Dix contre un. Vous avez le droit de dire ce que vous voulez, mais sortez des chantiers balisés et on réclamera l'intervention du Conseil de presse, du CRTC, on exigera des sanctions de l'employeur, des enquêtes indépendantes... 

          On peut reprocher bien des choses à Mme Charette sauf un manque de professionnalisme. Notre télé doit être drôlement pépère pour qu'une telle entrevue secoue de leur torpeur tous ces téléspectateurs. Pour une fois que quelqu'un nous offre de la télé qui bouscule un peu, de grâce, ne lui tapez pas dessus. 
  
  
1. Louise Cousineau, « Rhéaume réclame une enquête, Charette admet un certain excès », La Presse, 6 mars 2001.  >>
2. Pierre Bourgault, « Une faute grave », Journal de Montréal, 3 mars 2001, p. 6.  >>
3. Louise Cousineau, « Christiane Charette: des réactions surtout négatives », La Presse, 3 mars 2001.  >>
  
  

  
  
          Bernard Landry, pour continuer avec lui, a présenté son cabinet ce mois-ci. Sans rentrer dans le détail des résultats du jeu de chaise musicale, soulignons qu'il a remplacé la ministre de la Culture et des Communications, Agnès Maltais, par sa collègue Diane Lemieux, ministre de l'Emploi sous Lucien Bouchard et présidente du Conseil du statut de la femme dans une autre vie. Le moins qu'on puisse dire, c'est qu'elle a fait une arrivée remarquée! 
  
          « Je crois qu'il n'y a pas vraiment de culture ontarienne » a-t-elle déclaré lors de son premier point de presse – point de presse qu'elle a ensuite consacré à se justifier. « On est moins capable de la nommer [la culture ontarienne] que la culture québécoise. [...] La culture québécoise a un sens en soi [alors que la culture ontarienne] se situe dans un univers nord-américain. » Et cetera, et cetera. Des clichés tous plus gros les uns que les autres. 
  
          Le lendemain, on s'en doute, les quotidiens anglophones soulignaient la gaffe. Une petite mention dans l'article de The Gazette fait sourire: « Lemieux said yesterday that "she gets by" in English. "It depends on the context." » Si la ministre ne peut que se débrouiller en anglais, d'où sort-elle cette idée qu'il n'y a pas de culture ontarienne? De toute évidence, elle ne sait pas de quoi elle parle. Peut-être qu'un petit séjour d'immersion s'impose... Pourquoi ne pas opter pour l'Ontario! La ministre pourrait 1) apprendre une langue seconde et 2) vérifier sur le terrain s'il est vrai que nos voisins n'ont pas de littérature, pas de théâtre, pas de vins, pas de musique... 
  
 
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