Montréal, 31 mars 2001  /  No 80
 
 
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Gilles Guénette est diplômé en communications et éditeur du QL.
 
LIBRE EXPRESSION
 
LOTO-QUÉBEC ET LA PUBLICITÉ TÉLÉ
À DEUX VITESSES
 
par Gilles Guénette
 
But the game never ends
When your whole world depends
On the turn of a friendly card
Alan Parsons, Eric Woolfson 1997
 
 
          Le secteur de la publicité sur les boissons alcoolisées et les produits du tabac est fortement réglementé au Canada; celui de la loto ne l'est pas. Les brasseurs, distillateurs et fabricants de tabac doivent se plier à une réglementation des plus strictes quand vient le temps d'annoncer leurs produits sur la place publique; les sociétés de loteries sont à toute fin libres de faire ce qu'elles veulent. Se pourrait-il que la publicité de loteries ne soit pas réglementée au pays parce que les seuls fournisseurs autorisés sont publics? L'État posséderait-il différents standards pour établir qui peut annoncer quoi?
 
Piastre pour piastre 
  
          On sonne à la porte. Une vieille dame ouvre. « Aimée Lavoie comment ça va? » demande la visiteuse. « Eva Gagné t'es en retard » répond la visitée. Un mini chien dans une main, deux billets de Loto Bingo Domino dans l'autre, Eva Gagné entre – sur une musique des plus enlevantes. Les deux dames âgées s'installent devant une tasse de thé et leur billet de loterie instantanée et, toutes excitées, commencent à gratter. « C'est ben long ce jeu-là! » de dire Mme Lavoie. « Bingo! » de s'écrier Mme Gagné. « J'ai gagné le gros lot de 10 000 dollars! » Aimée Lavoie lève les yeux vers le plafond, Eva Gagné rayonne de joie et crie « 10 000 dollars! » une seconde fois. 
  
          Cette publicité est diffusée ces jours-ci sur les ondes des principales chaînes de télévisions francophones du Québec et vante les mérites d'une des nombreuses loteries instantanées – communément appelées « gratteux » – de Loto-Québec. La pub ne détonne en rien avec ce qu'on est habitué de voir en matière de promotions de loteries: elle est gentille, un peu bruyante et fait sourire à défaut de faire rire. 
 
          L'année dernière, Loto-Québec dépensait 20 millions $ en publicité pour aller chercher près de 3,5 milliards $ dans les poches des contribuables – somme qu'elle se targue de retourner « intégralement » à la collectivité en achats de biens et de services, en salaires et avantages sociaux à 5 974 employés, en taxes aux gouvernements, en aide à 2 148 organismes sans but lucratif, etc. En fait, la société d'État redonne d'une main ce qu'elle prend de l'autre – en se gardant quelques millions, mais bon... 
  
Les uns et les autres 
  
          Donc, en matière de publicité, la société d'État possède son propre code réglementaire qu'elle se charge elle-même de faire respecter. Celui-ci est constitué de onze « restrictions » toutes plus floues les unes que les autres: la publicité ne doit pas contenir de fausses affirmations; elle ne doit pas être trop suggestive lorsqu'elle montre ce que le joueur pourra se procurer s'il gagne; elle ne doit pas donner l'impression que le gain est garanti; elle ne doit pas plaire aux enfants ou mettre en scène des enfants; elle doit être de bon goût et refléter une bonne image corporative; etc. 
  
          Ces restrictions ne sont pas des plus restrictives. À part celle touchant aux enfants, elles laissent une très large marche de manoeuvre aux « créatifs » en charge des campagnes et leur permettent à peu près toutes les dérogations. La campagne publicitaire du jeu de loterie sur cédérom Trésor de la Tour l'an dernier démontre bien à quel point le code est « flexible »: elle mettait en scène des personnages de bandes dessinées... Celle de la loterie instantanée Pyramides de 1998 mettait en scène un équipage de petits bonhommes verts entassés dans leur ovni... 
  
           Loto-Québec n'a de comptes à rendre qu'à son unique actionnaire, le ministre des Finances du Québec. Elle n'est même pas tenue de donner aux téléspectateurs une idée (aussi vague soit-elle) de leurs chances de remporter un gros lot en jouant à tel ou tel jeu – soit une sur plusieurs millions. Dans d'autres domaines, une telle liberté promotionnelle n'est tout simplement pas imaginable. 

          Dans le domaine des boissons alcoolisées par exemple, les règles sont hyper strictes et ne peuvent être enfreintes. En tout, dix-sept restrictions forment le Code de la publicité radiodiffusée en faveur de boissons alcoolisées (voir PRENDS-EN DONC UNE VRAIE!, le QL, no 34), un code supervisé par un organe étatique dont la seule raison d'être est d'en assurer le respect. La même situation existe dans le domaine de la publicité des produits du tabac. « Oui mais il y a toute une différence entre annoncer de la petite bière ou des cigarettes et annoncer une Lotto 6/49! » diront certains. Pas tant que ça... 
  
Immunité publique 
  
          Depuis l'arrivée des casinos au Québec, le jeu, au même titre que l'alcoolisme ou la dépendance aux drogues fortes, a été promu au rang de « maladie » dans les cercles officiels de la santé. L'an dernier, le gouvernement annonçait une enveloppe de 44 millions $ pour la prévention, le dépistage et le traitement du jeu pathologique. La société d'État ne vend pas que du rêve, elle vend le suicide, la faillite personnelle, le divorce. Imaginez maintenant qu'il s'agit ici d'une entreprise privée. Nos élus la laisseraient-elle annoncer à sa guise sans bouger? 
  

 
     « Loto-Québec n'a de comptes à rendre qu'à son unique actionnaire, le ministre des Finances du Québec. Elle n'est même pas tenue de donner aux téléspectateurs une idée (aussi vague soit-elle) de leurs chances de remporter un gros lot en jouant à tel ou tel jeu. » 
 
 
          Privée, Loto-Québec serait soumise, comme n'importe quels brasseurs, distillateurs ou fabricants de tabac, à des organismes externes chargés de s'assurer que ses concepts publicitaires répondent aux exigences de codes réglementaires. Mais parce qu'il s'agit d'un organisme public, il hérite d'un traitement de faveur. Pourtant, remplacez « billets de loterie » par « boissons alcoolisées » et une publicité comme celle d'Eva et Aimée ne passe plus la rampe... 

          Vu à travers le prisme d'un code comme celui de la publicité radiodiffusée en faveur de boissons alcoolisées, par exemple, cette pub serait vue comme incitant les non-joueurs de tous âges à jouer ou à acheter des billets (l'activité est présentée comme facile, plaisante et rassembleuse); établissant le produit comme une nécessité pour jouir de la vie ou un moyen de fuir les problèmes de la vie (le jeu chasse l'ennui); présentant une scène où le produit est véritablement consommé (les dames grattent leur billet à l'écran); créant l'impression que la présence du produit est essentielle pour prendre plaisir à une activité (le jeu sert de prétexte aux visites d'Eva); etc. 

          On peut faire dire n'importe quoi à n'importe quoi. Il s'agit de vouloir. Ce sont ces mêmes critères bidon qu'utilisent les bureaucrates des Normes canadiennes de la publicité par exemple pour nous « protéger » de tout et de rien. Ce sont ces mêmes règles bidon que veulent s'éviter les responsables des sociétés de loteries. Peut-on réellement les en blâmer?! 
  
Loto-Privilégiée 
 
          Le 11 mars dernier, à l'émission Undercurrents sur les ondes de la CBC, le directeur des communications à la Société des loteries et des jeux de l'Ontario, Jim Cronin, disait ne pas voir la nécessité d'une réglementation spéciale pour la publicité de loterie au pays: « [W]e use common sense and we use good taste when we are reviewing [our ads] » déclarait-il. « Oh is that all? » répliquait l'animatrice Wendy Mesley. « I think that's enough! » renchérit M. Cronin – tout étonné de la question. 
  
         « It's not that we don't have rules, s'empressait-il d'ajouter, we do have rules, guidelines. We have a corporate committee that reviews our advertising. [...] we have our corporate guidelines, if you like, that are ingrained in what we've done here for 25 years. » Le secteur public est qualifié pour s'auto-réglementer, mais pas le secteur privé. Le secteur public a des principes, pas le secteur privé. Hmm... 

          Quand vient le temps de réglementer la publicité, il y a définitivement deux poids, deux mesures. L'État impose des règles aux entreprises privées qu'il juge « à risques », mais n'impose pas ces mêmes règles à ses propres « entreprises » qui sont jugées tout aussi « à risques ». La solution? L'État doit se retirer complètement du secteur de la publicité et laisser les citoyens se protéger eux-mêmes s'ils se sentent menacés par de quelconques dangers. 
 
 

 
 
          Dans un même ordre d'idée, la Direction de la santé publique de la région de Toronto se paie présentement une campagne de publicité radio afin d'inciter les citoyens à ne plus tolérer les fumeurs dans leur demeure. Sous le thème « Take it outside! », ils sont invités à faire valoir leurs « droits » de citoyens à un air pur et à exiger que leurs amis, connaissances ou membres de la famille sortent sur le perron pour s'adonner à leur vice préféré. 
 
          Que nos grands guerriers de la santé choisissent de cibler les résidences privées plutôt que de s'attaquer aux endroits comme les bars, les salles de bingo ou les casinos n'a rien de bien mystérieux. Au Québec, par exemple, tous les endroits où l'on peut encore en griller une bonne – sans que la police du tabac ne vous colle une contravention – sont des endroits où Loto-Québec brasse de grosses affaires. Coïncidence? L'État, propriétaire de la société de loteries, s'est voté une loi exprès. 
 
          Selon l'article 8 de la Loi sur le tabac du Québec: L'exploitant d'un casino d'État ou d'une salle de bingo ou l'exploitant d'un lieu ou d'un commerce où les mineurs ne sont pas admis en vertu de la Loi sur les infractions en matière de boissons alcooliques (L.R.Q., chapitre I-8.1) peut permettre de fumer dans l'ensemble de son établissement ou de sa salle de bingo, sauf s'il est titulaire d'un permis d'établissement de la catégorie « établissement de restauration » auquel cas, les dispositions de l'article 7 s'appliquent à la partie de l'établissement ou de la salle où sont offerts les services de restauration. 
 
          Oui, le Québec est distinct! Ici, le vieil adage qui veut qu'il n'y ait pas de fumée sans feu se lit comme suit: « Au Québec, il n'y a pas de fumée sans jeu ». 
  
 
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